LIVRE DEUXIÈME. ERREURS DE VINCENT VICTOR.
Augustin invite Pierre à se défier des deux livres de Vincent Victor sur l'origine de l'âme, et lui fait observer qu'ils sont loin de formuler à ce sujet la doctrine catholique. Il lui signale quelques-unes des principales erreurs qui y sont contenues et les réfute en quelques mots.
Enfin il le conjure d'amener leur auteur à une rétractation.
A notre bien-aimé confrère et prêtre, Pierre (1), Augustin, évêque, salut en Notre-Seigneur.
1. Les deux livres que Vincent Victor vous avait adressés, m'ont été envoyés par notre frère René, simple laïque, il est vrai, mais à qui la foi la plus vive inspire pour ses amis la sollicitude la plus prudente et la plus religieuse. Je n'ai connu l'auteur qu'en lisant ses ouvrages, dont le style révèle une grande suffisance, qui va quelquefois jusqu'à la redondance et la diffusion. Quant aux matières qu'il y traite, il est trop facile de voir qu'il manque de la science nécessaire et compétente; et cependant, si Dieu lui en fait la grâce, il pourra devenir plus lard un écrivain de quelque mérite et vraiment utile. En effet, il jouit d'une grande facilité d'élocution qui lui permettrait d'expliquer parfaitement et même d'orner sa pensée, s'il s'occupait d'abord de rendre cette pensée conforme à la vérité et à la foi. Ce qui m'effraie le plus, ce sont ces beaux diseurs de mensonges et d'erreurs qui trouvent dans une certaine habileté de langage un moyen si puissant d'en imposer aux hommes simples et ignorants. Qu'avez-vous pensé de ces livres, je l'ignore; cependant, si j'en crois les bruits qui me sont parvenus, il parait qu'à mesure que ce jeune homme vous lisait ses écrits vous vous seriez abandonné à tous les ravissements de la joie; dans votre enthousiasme vous auriez été jusqu'à donner à ce jeune homme et à ce laïque le baiser d'un vieillard et d'un prêtre, le remerciant avec effusion de vous avoir révélé ce que vous aviez ignoré jusque-là: Je suis loin de désapprouver l'humilité dont vous avez fait preuve, et les louanges dont vous avez comblé votre jeune docteur ; rien de tout cela, sans doute, ne s'adressait à l'homme, mais uniquement à la vérité qui avait daigné vous parler par sa bouche; cependant je serais heureux d'apprendre quelles sont les vérités qu'il vous a
révélées. Veuillez donc, en me répondant, m'apprendre à moi-même ce qu'il vous a appris. Vous n'avez pas rougi de vous faire le disciple d'un laïque, pourrais-je rougir de me faire le disciple d'un prêtre? Si vous avez appris à cette école quelque vérité, je ne puis mieux faire que de louer et d'imiter votre humilité.
2. Je désire donc, frère bien-aimé, savoir ce qu'il vous a appris, afin de vous en féliciter généreusement, si ces vérités m'étaient déjà connues, et afin de les apprendre à mon tour, si je les ignorais encore. Ignoriez-vous donc l'existence de l'âme et de l'esprit qui nous sont révélés dans cette parole : « Vous avez détaché mon âme de mon esprit (2)? » Ne saviez-vous pas que ces deux choses constituent la nature humaine, en sorte que l'homme est tout à la fois esprit, âme et corps? Cependant ces deux choses, l'esprit et l'âme, sont souvent prises l'une pour l'autre et désignées l'une par l'autre. Ainsi quand nous lisons : « L'homme a été fait âme vivante (3)», ces mots s'appliquent également à l'esprit. De même ces autres paroles : « Ayant incliné la tête, il rendit l'esprit (4) », ne désignent-elles pas clairement l'âme elle-même ? Est-ce que ces deux choses ne sont pas de la même substance ? Je pense que vous n'ignoriez pas ces vérités élémentaires. Si vous les ignoriez; sachez que vous avez appris ce que vous ne pouviez ignorer sans compromettre votre salut. Mais s'il s'agit, au sujet de l'esprit et de l'âme, d'entrer dans des discussions plus subtiles, je préféré en conférer avec l'auteur lui-même dont je connais le. talent. Le mot âme est-il une expression générique s'appli. quant à l'âme et à l'esprit, en sorte que l'esprit soit une portion de l'âme, et qu'ainsi le tout soit pris pour la partie ? ou bien est-ce l'esprit qui serait le terme générique, en sorte que l'âme ne soit plus qu'une partie de l'esprit et qu'en nommant l'esprit on nomme implicite. ment l'âme elle-même ? Ce sont là, je l'ai dit,
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de pures subtilités, que l'on peut fort bien ignorer sans courir aucun danger pour son salut.
3. Je m'étonnerais également qu'il vous eût appris que les sens du corps sont autres que les sens de l'âme. A votre âge, et revêtu du sacerdoce; avant d'avoir entendu votre docteur, pouviez-vous croire qu'il n'y a en nous qu'un seul et même organe, un seul et même principe pour distinguer le blanc du noir, comme le font les passereaux, et le juste de l'injuste, comme le faisait Tobie après avoir perdu les yeux de son corps? En admettant que vous en eussiez été là, quand vous entendiez ou que vous lisiez ces paroles : « Eclairez mes yeux, de crainte que je ne m'endorme dans la mort (1) », vous ne pensiez donc qu'aux yeux de votre corps ? Admettons même que ce texte ne soit pas encore assez explicite ; quand se présentaient à vous ces paroles de l'Apôtre : «Qu'il éclaire les yeux de votre coeur (2) », vous croyiez donc que notre coeur est placé entre notre bouche et notre front? Je me garde bien d'avoir sur vous de semblables idées, et j'en conclus que ce n'est point là ce que votre docteur vous a appris.
4. Peut-être qu'avant d'avoir eu le plaisir de l'entendre vous pensiez que notre âme est une portion. de la nature de Dieu ; oh ! alors, vous couriez grand risque pour votre salut si vous ne saviez pas que c'est là une erreur profonde. Si donc il vous a appris que notre âme n'est point une partie de Dieu, remerciez vivement le Seigneur de ne vous avoir point arraché à cette vie, avant d'avoir appris cette vérité. Car alors vous seriez mort en hérétique et en blasphémateur. Mais je ne croirai jamais à une telle ignorance de votre part; un catholique, un prêtre estimable pouvait-il penser que notre âme est une partie de Dieu ? Permettez-moi donc de vous dire que je crains plutôt qu'il ne vous ait donné sur ce point un enseignement contraire à la foi et à vos anciennes convictions.
5. Je ne puis croire que, membre de l'Eglise catholique, vous ayez jamais cru que l'âme fût une partie de Dieu ou de la même nature que Dieu. Mais aujourd'hui je crains que, docile à la voix de cet homme, vous ne croyiez que ce n'est pas du néant que Dieu a tiré l'âme, mais de lui-même, en sorte
qu'elle ne serait qu'une émanation de Dieu ». C'est là en effet une des nombreuses erreurs qu'il â émises dans une question qui fait courir à son salut les plus grands dangers. Si donc c'est là ce qu'il vous a appris, je ne veux pas que vous me l'appreniez à moi-même, et même je veux que vous oubliiez ce que vous avez appris. Après tout ce serait bien peu encore de ne pas croire et de ne pas dire que l'âme soit une partie de Dieu. Nous ne disons même pas du Fils de Dieu et du Saint-Esprit qu'ils sont une partie de Dieu, et cependant nous confessons que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'une seule et même nature. Disons donc d'abord que l'âme n'est point une partie de Dieu, mais il faut que nous ajoutions que l'âme n'est point d'une seule et même nature avec Dieu. Aussi j'approuve cette parole de Vincent Victor: «Les âmes sont la race de Dieu, non par nature, mais par grâce », ce qui ne peut se dire évidemment que des âmes fidèles et non de toutes les âmes en général. Pourquoi donc suis-je condamné à le voir rouler dans l'erreur qu'il semblait vouloir éviter, et à l'entendre proclamer que Dieu et l'âme sont de la même nature? s'il ne le dit pas en propres termes, c'est la conclusion rigoureuse que l'on doit tirer de ses principes. Ne dit-il pas que l'âme vient tellement de Dieu, qu'il ne l'a créée ni d'une autre nature, ni du néant, mais de lui-même ? N'est-ce point enseigner clairement que l'âme est de la même nature que Dieu, quoique dans les termes il semble repousser cette conclusion? En effet, toute nature, ou bien est Dieu qui existe par lui-même, ou bien vient de Dieu en ce sens qu'elle a Dieu pour auteur. Or, en tant qu'elle a Dieu pour auteur, toute nature se présente à nous ou bien comme n'ayant pas été faite, ou bien comme ayant été faite. Quant à la nature qui n'a pas été faite, ou bien elle a été engendrée par lui, ou bien elle procède de lui ; la nature qui a été engendrée se nomme le Fils unique de Dieu ; et la nature qui procède de Dieu se nomme le Saint-Esprit; telle est la Trinité chrétienne d'une seule et même substance. En effet, ces trois personnes n'ont qu'une seule nature; chacune d'elles est Dieu et ensemble elles ne font qu'un seul Dieu, immuable, éternel, n'ayant ni commencement ni fin. Quant à la nature qui a été faite, elle se nomme créature, qui a pour
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Créateur Dieu lui-même ou la trinité. Quand donc nous disons que la créature vient de Dieu, nous entendons qu'elle n'a pas été faite de la nature même de Dieu, mais par Dieu. Elle vient de Dieu, parce qu'elle a Dieu pour auteur de son existence, et non point parce qu'elle est née ou qu'elle procède de Dieu; elle a été créée par lui, formée et faite par lui, soit qu'il l'ait directement tirée du néant, comme il a fait pour le ciel et la terre, ou plutôt pour la masse de la matière universelle ; soit qu'il l'ait tirée d'une autre nature déjà créée et existante, comme il l'a fait pour l'homme, qu'il a tiré du limon de la terre, pour la femme, qu'il a tirée de l'homme, pour les enfants, qu'il tire de leurs parents. Cependant, de quelque manière qu'elle soit faite, toute créature vient de Dieu, qui lui a donné l'existence soit. en la tirant du néant, soit en la tirant d'une autre nature, mais jamais en l'engendrant ou en la tirant de lui-même.
6. En parlant de ce sujet avec un catholique, je ne fais que réveiller ses souvenirs, et ne lui enseigne rien de nouveau. Je ne crois pas, en effet, que ce soit là pour vous des choses nouvelles,'ou des vérités que vous auriez déjà entendues, mais sans les croire ; je suis, au contraire, intimement persuadé qu'en lisant ma lettre vous y reconnaîtrez votre propre croyance, ou plutôt la croyance qui nous est commune à tous, dans l'Église catholique, par l'effet mystérieux de la grâce de Dieu. Par conséquent, puisque je traite ce sujet avec un catholique, veuillez me dire, je vous prie, de quoi l'âme a été tirée, je ne parle pas de l'âme de chacun d'entre nous, mais de l'âme dû premier homme? Si vous croyez qu'elle a été tirée du néant, qu'elle a été faite et inspirée par le souffle de Dieu, vous croyez ce que je crois moi-même. Mais si vous admettez qu'elle a été formée de quelque créature ou matière préexistante, devenue ensuite une âme par la toute-puissance de Dieu, comme la poussière entre les mains de Dieu est devenue le premier homme, comme la côte du premier homme est devenue Eve, comme les eaux forment les pois. sons ou les oiseaux, comme la terre forme les animaux terrestres; si c'est là ce que vous croyez, vous n'êtes plus catholique, vous n'êtes plus dans la vérité. Enfin, si vous pensez que l'âme n'a été tirée par Dieu ni du néant, ni d'aucune créature, mais de sa propre nature à lui-même; si c'est là ce que votre jeune docteur vous a appris, je ne puis ni vous en louer ni vous en féliciter, car vous l'avez suivi bien loin du cercle des vérités catholiques. De ces deux erreurs, la moins funeste, tout en restant une erreur, serait celle qui vous enseignerait que Dieu a formé nos âmes d'une autre nature, créée par Dieu et déjà préexistante ; car alors je comprendrais qu'une nature qui est changeante, qui pèche, qui dévient impie et qui s'obstine jusqu'à la fin dans l'impiété, pût être soumise à une éternelle réprobation. Mais faire l'application de ces caractères à la nature même de Dieu, ce serait non-seulement une erreur, mais un horrible blasphème. Secouez, je vous en conjure, ô mon frère, secouez cette erreur d'une effrayante impiété; ne souffrez pas que, grâce aux séductions d'un jeune homme et d'un laïque, un vieillard, un prêtre prenne le mensonge pour l'exposé de la foi catholique et se voie retranché du nombre des fidèles ! Que Dieu éloigne de vous ce malheur ! Je ne dois pas procéder avec vous comme avec ce jeune homme, car l'erreur dé- votre part, vous fût-elle inspirée par lui, vous rendrait indigne de la commisération que l'on peut encore avoir pour ce jeune homme. Il n'est entré que depuis peu dans le bercail catholique, pour y trouver sa guérison, tandis que vous avez rang parmi les pasteurs de l'Église. Si une brebis malade quitte l'erreur pour entrer dans le troupeau du Seigneur, nous ne voulons pas que sa guérison soit achetée au prix de la perte d'un pasteur qui aurait subi les atteintes empoisonnées de la contagion.
7. Dites-moi que ce n'est point là ce qu'il vous a enseigné; dites-moi que vous n'avez prêté l'oreille à aucune erreur de ce genre, malgré le charme et la séduction de son langage, et je rends à Dieu d'abondantes actions de grâces. Mais alors, je vous demande pourquoi ce baiser que, dit-on, vous avez déposé sur son front; pourquoi dans votre enthousiasme l'avoir remercié de vous avoir appris ce que vous ignoriez jusqu'alors? Et si ces bruits sont menteurs, si vous n'avez ni rien dit ni rien fait de semblable, veuillez me l'affirmer, et dans votre lettre réfutez ces rumeurs calomniatrices. Au contraire, si c'est là ce que vous avez dit et fait, je me réjouirai encore qu'il ne vous ait point enseigné les erreurs détestables que je viens de vous signaler.
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Je ne vous reproche pas de lui avoir témoigné votre gratitude avec tous les élans d'une humilité si profonde, pourvu que vous ayez retiré de sa discussion quelque enseignement vrai et utile. Mais qu'avez-vous donc appris ? Serait-ce, par exemple, que l'âme n'est point un esprit, mais un corps? Je ne vois pas qu'il y ait pour la doctrine catholique un si grand mal à ignorer une telle absurdité; et si à ce sujet on se livre à certaines subtilités de discussion sur les différents genres de corps, c'est s'engager dans d'inextricables difficultés sans qu'on puisse en retirer aucune utilité. S'il plaît au Seigneur que j'écrive à ce jeune homme, comme j'en ai le vif désir, votre charité apprendra peut-être combien il a été loin de vous apprendre cela, s'il est vrai toutefois que vous vous félicitiez de l'avoir appris de lui. Mais enfin, peut-être vous a-t-il instruit sur quelque autre matière, réellement utile et nécessaire à la foi, alors soyez assez généreux pour m'en informer.
8. Il enseigne avec beaucoup de raison et de vérité que les âmes sont jugées aussitôt après leur sortie du corps et avant de se présenter à cet autre jugement qu'elles devront subir aussitôt que leurs corps leur seront rendus, et qu'alors elles seront tourmentées ou glorifiées dans la chair qui leur était unie sur la terre. Est-ce que c'est là ce que vous ignoriez? Se peut-il donc que l'on s'obstine contre l'Evangile, au point de ne pas entendre cette vérité; et si on l'entend, de ne pas la croire, dans la parabole de ce pauvre qui, après sa mort, est transporté dans le sein d'Abraham, et de ce riche qui est cruellement tourmenté dans les enfers ? Est-ce lui qui vous a appris comment l'âme du riche, séparée de son corps, a pu demander que le doigt du pauvre laissât tomber sur elle une goutte d'eau (1)? Cependant, n'a-t-il pas avoué lui-même que l'âme ne cherche les aliments corporels que pour réparer les ruines et les pertes d'un corps corruptible? Voici ses paroles : «Parce que nous voyons l'âme chercher la nourriture ou le rafraîchissement, en conclurons-nous que cette nourriture ou ces rafraîchissements passent jusqu'à elle? u Un peu plus loin il ajoute : «Il est donc bien prouvé que les aliments sont préparés non pas pour l'âme, mais pour le corps; c'est pour le corps également que les
vêtements sont employés, car le corps en a besoin comme il a besoin de nourriture ». Il confirme par un exemple cette doctrine déjà si claire par elle-même. «Pourquoi n; dit-il, les soins dont un locataire entoure la maison qu'il habite ? S'il s'aperçoit que la toiture vacille, que les murs chancellent, que les fondations s'abaissent, il emploie des ligatures et des supports, pour empêcher cette ruine imminente dont il aurait peut-être à subir les tristes suites et les cruelles conséquences. Sachez donc que c'est dans un motif semblable que l'âme cherche pour son corps la nourriture nécessaire et quelquefois la désire avec tant d'ardeur n. Impossible d'exprimer sa pensée plus clairement que ne l'a fait ce jeune homme, pour prouver que ce n'est point à l'âme, mais au corps, que les aliments sont nécessaires; l'âme. éprouve alors les véritables sollicitudes d'un locataire, et doit apporter tous les soins nécessaires pour réparer les pertes et les ruines de la maison qu'elle habite. Après cela, qu'il vous explique donc lui-même pourquoi l'âme du mauvais riche désirait le modeste rafraîchissement d'une goutte d'eau; elle était alors sortie de la maison de son corps, et cependant elle avait soif et demandait que le doigt du pauvre Lazare laissât tomber sur elle une goutte d'eau. Ce jeune maître des vieillards a sur ce point de quoi exercer sa sagacité; qu'il cherche donc et qu'il trouve, s'il le peut, le motif pour lequel cette âme jetée en enfer et dépouillée de son habitacle ruiné désirait si vivement le rafraîchissement d'une goutte d'eau.
9. Vincent Victor proclame hautement la spiritualité de Dieu, et eu cela je le félicite de ne point partager les erreurs de Tertullien, qui affirme que Dieu et l'âme sont des êtres corporels. Mais comment ne pas s'étonner que, en admettant la spiritualité de Dieu, ce jeune homme soutienne que Dieu tire de sa propre nature, et non pas du néant, un souffle corporel? Une telle doctrine ferait dresser les oreilles à tous les âges; comment donc lui supposer pour disciples des vieillards, voire même des prêtres ? Qu'il lise dans une assemblée publique ce qu'il a écrit; qu'il invite à cette lecture ses amis et les étrangers, les savants et les ignorants. Vieillards, rassemblez-vous avec les jeunes gens, apprenez ce que vous ignoriez, entendez ce que jamais (656) vous n'avez entendu. Voici que ce jeune docteur vous enseigne que Dieu crée un souffle, non pas en le tirant d'une autre nature déjà existante, non pas même du néant, mais de lui-même, de sa propre nature, et quoique sa nature soit essentiellement spirituelle , le souffle qu'il en tire est réellement un corps. Il change donc en un corps sa propre nature, avant qu'elle soit changée en un corps de péché. L'auteur dit-il que Dieu ne change rien dans sa nature, lorsqu'il en forme le souffle? Mais ce n'est donc pas de lui-même que Dieu forme ce souffle, puisqu'il ne saurait être différent de sa propre nature. Se peut-il une 'absurdité plus grande? S'il nous répond que Dieu tire son souffle de sa nature, en demeurant intégralement ce qu'il est ; ce n'est point là la question; il s'agit de savoir si Dieu tire ce souffle non pas d'une autre nature, non pas du néant, mais de lui-même, en sorte néanmoins que ce souffle ne soit pas de la même nature que Dieu. En engendrant son Fils, le Père reste intégralement ce qu'il est; mais parce qu'il l'engendre de lui-même, il l'engendre de sa propre nature. Car, sans parler de son Incarnation, sans rappeler que le Verbe s'est fait chair, le Fils de Dieu est une personne différente de son Père, mais il n'est pas d'une autre nature que lui. Et cela parce que le Fils de Dieu n'a pas été engendré ni d'une autre créature, ni du néant, mais du Père; étant ainsi engendré du Père, il ne devait être ni plus parfait, ni d'une autre nature , mais égal, coéternel, absolument semblable, également immuable, également invisible, également incorporel, également Dieu; en un mot, il devait être absolument ce qu'est le Père, excepté qu'il est le Fils et non pas le Père. Mais si, tout en protestant que Dieu reste intégralement le même, vous soutenez qu'il crée non pas du néant, non pas d'une créature, mais de lui-même quelque chose qui est essentiellement différent de lui-même; si vous soutenez que d'un Dieu absolument incorporel peut émaner un corps, tout coeur catholique se révoltera contre une telle assertion; il y verra, non pas un oracle divin, mais le rêve d'un esprit en délire.
10. S'il s'agit des efforts surhumains qu'il tente inutilement pour prouver que l'âme, quoique étant corporelle, est étrangère aux passions du corps; s'il s'agit de discuter sur l'enfance de l'âme, sur la paralysie et l'oppression des sens de l'âme, sur l'amputation possible des membres du corps sans porter aucune atteinte à l'âme; ce n'est pas avec vous, mais avec l'auteur lui-même que je veux engager ce débat. Je le verrais volontiers suer sang et eau pour rendre raison de ses paroles, mais je me reprocherais de fatiguer un vieillard, en réfutant les écrits d'un jeune homme. Parlant de la similitude de moeurs que l'on trouve entre les enfants et leurs parents, il soutient qu'elle ne résulte pas de la génération de l'âme; en cela il est conséquent avec lui-même, puisqu'il nie la transmission des âmes par voie de génération; quant aux partisans de cette transmission, ce n'est pas dans cette similitude qu'ils cherchent leur principal argument. Ne voit-on pas des enfants dont les moeurs sont toutes différentes de celles de leurs pères ? Ils expliquent ce phénomène en disant qu'il provient de ce que le même homme change lui-même souvent de conduite, tout en conservant toujours la même âne; cette conduite seule devient pire ou meilleure. Ils en concluent qu'il est très-possible qu'une âme n'ait point les mêmes moeurs que celui dont elle est sortie, puisque cette âme elle-même peut avoir le lendemain des moeurs toutes différentes de la veille. Si donc votre docteur vous a appris que l'âme ne se transmet point par voie de génération, puissiez-vous avoir reçu sur ce point des preuves irréfutables, vous me rendriez heureux en me les communiquant. Mais autre chose est d'apprendre, autre chose de paraître avoir appris. Si vous croyez avoir appris ce que vous ignorez encore, votre science n'a pas été complète, vous n'avez fait que croire témérairement ce que vous avez entendu avec plaisir, et le mensonge s'est glissé en vous sous les beaux dehors d'une parole séduisante. Je ne veux point dire pour cela que je condamne les partisans de l'insufflation nouvelle des âmes, plutôt que les partisans de la transmission des âmes ; j'en suis encore aujourd'hui à attendre des uns et des autres des preuves évidentes de leur système. Ma réflexion s'appliquait uniquement à ce jeune homme qui, loin de résoudre la question en litige, émet des idées dont la fausseté ne saurait être douteuse. En voulant prouver une thèse douteuse, il est tombé dans des erreurs certaines.
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11. Hésiterez-vous à réprouver un langage comme celui-ci : «Vous ne voulez pas, » dit-il, « qu'une âme reçoive la santé d'une chair de péché; mais ne voyez-vous pas que c'est par la chair que cette même âme reçoit à son tour la sanctification, de telle sorte qu'elle se trouve réintégrée par l'instrument même a de sa déchéance ? C'est le corps qui est lavé par le baptême, et pourtant la grâce conférée parle baptême ne pénètre-t-elle point jusqu'à l'âme ou l'esprit? Il est donc tout naturel que ce soit par la chair que l'âme recouvre son premier état, sa première habitude, comme c'est par la chair qu'elle avait paru déchoir et mériter d'être souillée (1) ». De telles paroles vous font comprendre dans quelle erreur grossière votre docteur est tombé. Il ose dire que « c'est par la chair a que l'âme est réintégrée dans son état primitif, comme c'est par elle qu'elle avait été déchue ». Avant d'être unie à la chair l'âme jouissait donc d'un état parfait, et avait acquis quelque mérite précieux, état et mérite qui lui sont rendus par la chair quand celle-ci est purifiée par le bain de la régénération. Avant d'être unie à la chair, l'âme avait donc aussi vécu quelque part dans un état de perfection et de mérite, dont elle avait été déchue par son union avec la chair. Vincent Victor dit expressément : «C'est par la chair que l'âme recouvre l'ancienne habitude qu'elle avait paru perdre insensiblement par la chair ». Avant d'être unie à la chair l'âme possédait donc déjà une ancienne habitude, et que pouvait être cette habitude, sinon heureuse et louable? Il assure qu'elle l'a recouvrée par le baptême; cependant il ne veut pas que cette âme tire son origine de. celle qui existait dans le paradis et qui y jouissait du bonheur. Comment donc, dans un autre passage, ose-t-il dire qu'il a toujours affirmé que l'âme n'existe pas par voie de transmission originelle, qu'elle n'a pas été tirée du néant, qu'elle n'est point par elle-même, et qu'elle n'a pas été avant le corps? Ici, au contraire, il soutient que les âmes ont vécu quelque part avant le corps, qu'elles étaient heureuses, et que ce bonheur leur est rendu par le baptême. Puis, oubliant ce qu'il vient de dire, il ajoute que c'est par la chair que l'âme renaît, comme « c'est par la chair qu'elle avait mérité a d'être souillée ». Précédemment il faisait
entendre que l'âme avait perdu son mérite par la chair; maintenant il suppose qu'elle avait démérité, et qu'en punition de sa faute elle avait été condamnée à habiter la chair et à y contracter une souillure. Mériter d'être souillée, c'est assurément démériter. Qu'il nous dise donc quel péché l'âme avait commis avant d'être souillée par la chair, et par suite duquel elle a mérité d'être souillée par la chair. Qu'il réponde, s'il le peut; mais il en est incapable, puisqu'il a contre lui la vérité.
12. Un peu plus loin il ajoute : «Quoique l'âme qui ne pouvait être pécheresse (sans la chair) ait mérité de devenir pécheresse a (par la chair), cependant elle n'est point demeurée dans le péché, parce que, préfigurée en Jésus-Christ, elle n'a pas dû demeurer dans le péché, pas plus qu'elle n'avait pu s'y jeter d'elle-même (1) ». Veuillez me dire, je vous prie, si par la suite vous avez du moins lu et pesé ces paroles, et si vous vous êtes demandé ce que vous avez pu y louer quand on les lisait, ou ce qui vous avait arraché des élans si vifs d'actions de grâces après la lecture. Que signifient, dites-moi, des paroles telles que celles-ci : «Quoique l'âme, qui n'a pu être pécheresse, ait mérité d'être pécheresse? » « Elle a mérité de l'être, elle n'a pas pu l'être? » Comment pouvait-elle mériter de devenir pécheresse, si ce n'est parce qu'elle avait déjà commis le péché ou qu'elle était déjà pécheresse? et si elle l'était, c'est donc qu'elle pouvait l'être. Par conséquent, avant d'avoir autrement démérité, elle avait déjà péché, et en péchant elle avait mérité d'être abandonnée par Dieu, et de se précipiter dans d'autres péchés. Ces mots : « L'âme ne pouvait être pécheresse », signifient-ils dans sa pensée que si l'âme n'avait point été unie à la chair, elle n'aurait pu devenir pécheresse? Mais alors, comment donc l'âme a-t-elle pu mériter d'être envoyée dans la chair où elle devait trouver le triste pouvoir de devenir pécheresse, pouvoir qu'autrement elle n'aurait jamais possédé ? Qu'a-t-elle donc mérité ? Si elle a mérité de devenir pécheresse, comment l'a-t-elle mérité si ce n'est par le péché ? Toutes ces propositions peuvent paraître obscures ou être présentées comme telles, et cependant elles sont en elles-mêmes de la dernière évidence. En effet, si l'âme, avant d'être unie à la chair, n'a
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pu acquérir ni mérite ni démérite, comment peut-on dire qu' « elle a mérité de devenir pécheresse par la chair ? »
13. Mais abordons des matières plus claires et plus faciles. Notre jeune docteur se trouvait en proie à de cruelles angoisses au sujet du péché originel. En effet, comment s'expliquer que des âmes soient coupables de ce péché, si elles ne tirent pas leur origine de la première âme qui s'est rendue pécheresse ? D'un autre côté, soutenir que quand le Créateur les a soufflées dans une chair pécheresse, elles étaient pures de toute contagion et de toute propagation du péché, n'est-ce pas laisser croire que c'est Dieu lui-même qui les a rendues coupables parce mode d'insufflation? Le premier moyen de défense qu'il invoque, c'est la prescience de Dieu, et il s'écrie que « Dieu leur avait préparé la rédemption ». En vertu de cette rédemption, les enfants sont baptisés, afin que le péché originel qu'ils ont contracté par la chair soit effacé. En vérité, ne dirait-on pas que Dieu s'empresse de corriger sa faute et de purifier ceux qu'il avait souillés? Mais la question devait naturellement tomber sur les enfants privés de ce secours et qui meurent avant d'avoir reçu le baptême. « Sur ce point » , dit-il, « je ne prends pas la responsabilité d'auteur, je me contente d'invoquer un exemple. Je l'emprunte à ces enfants qui, prédestinés au baptême, sont arrachés à la vie présente avant d'avoir été régénérés en Jésus-Christ. Au sujet de ces enfants, voici ce que nous lisons : Il a été ravi à la terre de peur que la malice ne changeât son intelligence, ou que le mensonge ne trompât son âme. Voilà pourquoi le Seigneur s'est empressé de le faire sortir du milieu de l'iniquité; car son âme était agréable à Dieu; il s'est rapidement éteint, mais il a rempli un long espace de temps (1) ». Qui oserait mépriser un tel docteur ? Voici des enfants que l'on va présenter au baptême; on court, mais ils meurent avant de l'avoir reçu. Si leur vie s'était prolongée de quelques instants, s'ils n'étaient morts qu'immédiatement après avoir reçu le baptême; est-ce que la malice aurait changé leur intelligence, est-ce que le mensonge aurait trompé leur âme; est-ce pour leur venir en aide contre ce danger qu'ils ont été ravis à la vie avant d'avoir reçu le baptême? Ce serait donc dans le
baptême que leur intelligence aurait été déchue, que le mensonge les aurait trompés, si la mort était venue les frapper aussitôt après le baptême ? O l'admirable et séduisante doctrine ! Mais il n'avait pas trop présumé de la prudence de tous ceux qui assistaient à sa lecture, de la vôtre surtout, car c'est pour vous qu'il avait composé ces deux livres, et il ne vous les remit qu'après vous les avoir lus. Il était assuré de votre assentiment et il ne se trompait pas; sur sa parole vous deviez croire que c'était aux enfants morts sans le baptême que s'appliquait ce passage spécialement écrit pour les saints que Dieu moissonne avant l'âge de la maturité, sauf à soulever les blasphèmes de tous ces insensés qui reprochent au Tout-Puissant d'arracher trop promptement ses élus à la vie, et de ne pas leur permettre de parvenir à cet âge avancé que tant d'hommes regardent comme le plus grand bienfait du ciel. Comment oser dire : « Les enfants prédestinés au baptême sont ravis à la vie présente avant d'avoir été régénérés en Jésus-Christ? » Ne dirait-on pas que quelque puissance de la fortune, ou du hasard, ou de tout autre chose, n'a pas permis à Dieu de réaliser ce qu'il avait prévu ? Est-ce parce qu'ils lui ont plu qu'il les moissonne prématurément? Peut-on dire qu'il les prédestine au baptême, et que lui-même ne permet pas que cette prédestination s'accomplisse?
14. Il rougit pour moi de l'hésitation plus prudente que savante dont je fais preuve sur une question aussi profonde; voyez au contraire jusqu'à quel point il pousse la témérité: « Je n'hésite pas à avancer », dit-il, «que ces enfants peuvent obtenir la rémission du péché originel, quoique cependant ils ne soient point encore introduits dans le royaume des cieux, mais uniquement dans le paradis, comme c'est le paradis qui a été promis par le Sauveur au bon larron pour avoir confessé sa divinité, avant qu'il eût reçu le baptême (1). Ce n'est point le royaume des cieux qui lui est promis, car le Sauveur avait déjà proclamé cette sentence : Celui qui n'aura pas été régénéré dans l'eau et le Saint-Esprit n'entrera pas dans le royaume des cieux (2). Et puis le Sauveur ne dit-il pas qu'il y a plusieurs demeures dans la maison « de son Père , pour désigner qu'elles sont a appropriées au nombre et à la diversité des
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qui meurent avant d'avoir reçu le baptême. «Sur ce point » , dit-il, je ne prends pas la responsabilité d'auteur, je me contente d'invoquer un exemple. Je l'emprunte à ces enfants qui, prédestinés au baptême, sont arrachés à la vie présente avant d'avoir été régénérés en Jésus-Christ. Au sujet de ces enfants, voici ce que nous lisons : « Il a été ravi à la terre de peur que la malice ne changeât son intelligence, ou que le mensonge ne trompât son âme. Voilà pourquoi le Seigneur s'est empressé de le faire sortir du milieu de l'iniquité; car son âme était agréable à Dieu; il s'est rapidement éteint, mais il a rempli un long espace de temps (1) ». Qui oserait mépriser un tel docteur ? Voici des enfants que l'on va présenter au baptême; on court, mais ils meurent avant de l'avoir reçu. Si leur vie s'était prolongée de quelques instants, s'ils n'étaient morts qu'immédiatement après avoir reçu le baptême; est-ce que la malice aurait changé leur intelligence, est-ce que le mensonge aurait trompé leur âme; est-ce pour leur venir en aide contre ce danger qu'ils ont été ravis à la vie avant d'avoir reçu le baptême? Ce serait donc dans le
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mérites de ceux qui y sont appelés? Ainsi, celui qui n'est pas baptisé peut parvenir au pardon de son péché, tandis que celui qui est baptisé peut parvenir à la palme qui lui est préparée par la grâce ». Voici donc un nouveau docteur qui sépare du royaume des cieux le paradis et les différentes demeures de la maison du Père, et cela sans doute pour pouvoir fournir d'abondants séjours de félicité même à ceux qui meurent sans baptême. Il ne voit donc pas que, tout en admettant les enfants baptisés dans le royaume des cieux; il ne craint pas d'en séparer la maison du Père ou les différentes demeures qui la composent. En effet, quand le Sauveur nous parle « de ces nombreuses demeures », il les place, non pas dans l'univers en général ou dans telle partie de l'univers, mais « dans la maison de mon Père (1) ». Comment donc placer dans la maison du Père un enfant non baptisé, puisqu'il ne peut avoir Dieu pour Père qu'autant qu'il a été régénéré dans l'eau et le Saint-Esprit ? Et comment se montrerait ingrat envers Dieu celui que Dieu a daigné soustraire à la division des Donatistes ou des Rogatistes ? Comment oserait-il diviser la maison même de Dieu le Père, et en placer une certaine portion en dehors du royaume des cieux pour en faire la demeure de ceux qui meurent sans baptême? De quel droit se flatterait-il d'entrer un jour dans le royaume des cieux, s'il exclut de telle partie qu'il voudra de ce royaume la demeure du roi lui-même? Quant au bon larron qui, suspendu à la croix, tout près du Sauveur, a espéré dans le Sauveur crucifié ; quant à Dinocrate, frère de sainte Perpétue, il en conclut que ceux qui ne sont pas baptisés peuvent obtenir la rémission de leurs péchés et une place avec les bienheureux me paraît quelque peu téméraire. Est-ce que quelqu'un dont la parole doit être crue sous peine de blasphème lui a révélé que le bon larron et Dinocrate n'ont pas été baptisés? Au sujet de ces deux personnages j'ai clairement formulé ma pensée dans le livre que j'ai adressé à notre frère René (2); si vous n'en méprisez pas la lecture; vous pourrez prendre connaissance de cet ouvrage, car en le lui demandant, vous le mettrez dans l'impossibilité de vous le refuser.
15. Mais le voici qui s'échauffe, oppressé sous le poids d'horribles angoisses. En effet,
mieux que vous il a compris quel crime c'était pour lui d'affirmer que le péché originel peut être effacé dans les enfants sans le baptême de Jésus-Christ. Comme pour se soulager, il recourt, quoiqu'un peu tard, aux sacrements de l'Eglise et s'écrie : «Je juge que les saints prêtres doivent offrir sans cesse, pour ces enfants, des oblations et des sacrifices u. Si vous croyez qu'il ne soit point assez honoré par le titre de docteur, ne lui refusez pas le titre de censeur, et vous serez autorisé à offrir le sacrifice du corps de Jésus-Christ, même pour ceux qui ne sont pas incorporés à Jésus-Christ. Il émet dans ses livres une opinion nouvelle et toute contraire à la discipline ecclésiastique et à la règle de la vérité; croyez-vous qu'il va se servir d'une expression qui révèle en lui une certaine hésitation, comme je pense, je crois, il me semble, je suggère, je dis ? Non, se décernant à lui-même une sorte d'infaillibilité, il s'écrie: «Je juge, censeo » ; la nouveauté ou la perversité de son opinion aurait pu nous révolter; c'est en vain, car nous n'avons plus qu'à trembler devant son autorité de censeur. Voyez, mon frère, comment vous pouvez l'autoriser à soutenir de semblables doctrines; quant aux prêtres catholiques restés fidèles à l'enseignement traditionnel auquel vous devriez vous rallier vous-même, loin d'approuver son langage, ils implorent pour lui la grâce de la conversion et du repentir, et une rétractation franche et sincère des idées qu'il a conçues et des ouvrages qu'il a écrits. Il continue : «La proposition que j'avance est confirmée par un passage du livre des Macchabées, dans lequel nous lisons que les prêtres conçurent le projet d'offrir des sacrifices pour ceux qui étaient tombés sur le champ de bataille et qui pouvaient être coupables de quelques crimes (1) ». Mais ce fait ne pourrait avoir quelque valeur qu'autant que ces sacrifices auraient été offerts pour des incirconcis , comme il prétend que nous devons en offrir pour des enfants morts sans baptême. Chez les Juifs, la circoncision était une sorte de sacrement qui préfigurait le baptême des chrétiens.
16. Toutefois les erreurs précédentes ne sont rien en comparaison de ce qui suit. En effet, après avoir soutenu que les enfants obtiennent sans baptême la rémission du péché
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originel et de tous leurs autres péchés, de telle sorte qu'ils méritent d'entrer dans le paradis pour y jouir d'un immense bonheur et posséder les demeures qui se trouvent nombreuses dans la maison du Père céleste, il se prend tout à coup à regretter de ne leur avoir accordé qu'un bonheur trop faible en dehors du royaume des cieux. Pour réparer sa faute il,s'écrie : «Quelqu'un me reprochera peut-être d'avoir placé temporairement dans le paradis l'âme du bon larron et celle de Dinocrate; mais je soutiens en même temps que le royaume des cieux leur sera ouvert à la résurrection, malgré l'apparente contradiction de cette maxime fondamentale : Celui qui ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit n'entrera pas dans le royaume des cieux. «Quoi qu'il en soit de cette sentence, qu'il ne craigne pas d'embrasser mon opinion, pourvu qu'il n'ait d'autre désir que de donner plus d'extension et plus de charmes aux effets de la miséricorde et de la prescience divines ». Ces paroles se trouvent textuellement dans le second livre. Sur une telle matière peut-on porter plus loin l'audace de l'erreur, la témérité et la présomption? Il a présente à la pensée la maxime du Sauveur; il la cite même dans son ouvrage: «Malgré », dit-il, « l'apparente contradiction de cette maxime fondamentale : Celui qui ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit n'entrera pas dans le royaume des cieux » ; et cependant il n'hésite pas à opposer à cette maxime principale l'orgueil de sa propre censure. «Qu'il ne craigne pas », dit-il, « d'embrasser ma doctrine » ; une doctrine qui soutient que les âmes des enfants morts sans baptême méritent temporairement le paradis, comme l'ont mérité le bon larron et Dinocrate, dont il invoque le fait pour établir sa thèse; et que ces âmes, après la résurrection, seront transférées dans une région encore meilleure et posséderont le royaume des cieux, « malgré », dit-il, « la contradiction de la maxime fondamentale émise par le Sauveur ». Veuillez, je vous prie, mon frère, vous demander si l'on peut croire à la parole d'un homme qui se met en contradiction manifeste avec une maxime fondamentale du Sauveur.
17. Les conciles et le Siège apostolique ont justement condamné les Pélagiens parce qu'ils soutenaient qu'en dehors du royaume des cieux les enfants morts sans baptême jouis
sent du repos et du salut. Ces nouveaux hérétiques n'auraient pas émis cette erreur, s'ils n'avaient pas nié l'existence du péché originel, dont la rémission ne pourrait s'opérer que par le. sacrement de baptême. Or, voici un auteur qui soutient, comme catholique, l'existence du péché originel dans les enfants, et qui cependant soutient que ces enfants peuvent être justifiés sans le baptême, les envoie miséricordieuse ment en paradis après leur mort, et après la résurrection les introduit plus miséricordieusement encore dans le royaume des cieux. Cette miséricorde lui est inspirée sans doute par l'exemple de Saül épargnant un roi que le Seigneur lui avait ordonné d'immoler; oublierait-il que cette désobéissance miséricordieuse, ou cette miséricorde désobéissante fut réprouvée et con. damnée (1) ? Quelle leçon donnée à l'homme de ne pas espérer d'obtenir miséricorde en résistant à celui qui l'a fait ce qu'il est ! Que la vérité redise donc dans la personne du Verbe incarné : «Si quelqu'un ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit il n'entrera pas dans le royaume des cieux (2) ! » Voulant ensuite nous faire entendre que de cette règle étaient exceptés les martyrs qui avaient versé leur sang pour le nom de Jésus-Christ avant d'avoir été purifiés par le baptême de Jésus-Christ, le Sauveur nous dit dans un autre passage : «Celui qui aura donné sa vie pour moi, la retrouvera (3) ». Pour nous montrer que celui qui n'a pas repris naissance dans le bain de la foi chrétienne n'a pas à espérer la rémission du péché originel, l'Apôtre s'écrie: «Par le péché d'un seul tous les hommes ont été condamnés (4) ». Contre cette condamnation le Sauveur proclame qu'il n'y a qu'un seul remède pour le salut : «Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné (5) ». Le mystère de cette foi s'accomplit dans les enfants par la réponse que font pour eux ceux qui les tiennent sur les fonts du baptême, car sans l'accomplissement de ce mystère tous subiraient la condamnation attirée sur toute l'humanité par un seul homme. Et cependant, malgré des oracles aussi manifestes, voici que, s'inspirant d'une vanité sans entrailles, plutôt que ,miséricordieuse, votre docteur s'écrie : Non-seulement les enfants
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ne sont pas condamnés, quoiqu'ils n'aient été plongés dans aucun bain de la foi chrétienne pour y trouver la rémission de leur péché originel, mais aussitôt après leur mort ils jouissent temporairement de la félicité du paradis, et après la résurrection ils goûteront toutes les délices du royaume des cieux. Se peut-il une doctrine plus manifestement opposée aux principes les plus fondamentaux de la foi catholique? Mais je ne crains pas de dire que jamais il n'aurait osé l'émettre, s'il n'avait eu la témérité d'entreprendre la solution d'une question de beaucoup supérieure à ses forces, la question de l'origine de l'âme.
18. Ses angoisses redoublent quand il s'entend dire: «Pourquoi de la part de Dieu cette injuste animadversion dont il poursuit une âme, jusqu'à l'enchaîner à une chair de péché, jusqu'à la rendre pécheresse par cette union avec la chair, sans laquelle cette âme n'aurait pu devenir pécheresse ? » Il s'entend dire également : «L'âme ne pouvait devenir pécheresse, si Dieu ne l'avait unie à une chair pécheresse ». Comment concilier cette conduite avec la justice de Dieu? C'est ce qu'il ne saurait faire, surtout qu'on ne laisse pas de lui mettre sous les yeux l'éternelle damnation des enfants qui meurent sans baptême, et par là même sans avoir obtenu la rémission du péché originel.. Pourquoi donc un Dieu juste et bon, qui dans sa prescience infinie savait que les âmes de tels enfants resteraient privées du sacrement de la grâce chrétienne, les a-t-il enchaînées innocentes et pures, dans une chair coupable issue du premier homme ; pourquoi les avoir ainsi souillées du péché originel et précipitées dans une éternelle condamnation? Ne sachant que répondre, et d'un autre côté s'obstinant à nier que ces âmes fussent issues de la première âme pécheresse, il a mieux aimé courir toutes les horreurs d'un malheureux naufrage, que de plier ses voiles, de suspendre sa course, de déposer les rames perfides de la discussion, et de jeter l'ancre pour se livrer à une étude sérieuse. L'hésitation d'un vieillard a soulevé les mépris de ce jeune homme, comme si dans une question aussi épineuse et aussi difficile, les flots tumultueux de l'éloquence devaient être plus utiles que les méditations de la prudence. Il pressentait lui-même les dangers de son entreprise, mais ce fut en vain. En effet, il se pose à lui-même les objections que doivent lui soumettre ses adversaires : «D'autres opprobres », dit-il, « attendent les plaintifs murmures des crieurs médisants, et alors, semblables à des hommes tombés d'un épais tourbillon, nous roulons tristement au sein de rochers escarpés ». C'est après avoir ainsi posé ses prémisses, qu'il engage cette dangereuse question dans laquelle sa foi catholique a fait naufrage et restera engloutie jusqu'à ce qu'il rétracte toutes les erreurs qu'il a soutenues. Saisi d'horreur pour ce tourbillon et pour ce rocher, j'ai refusé de leur confier le navire, et si je me suis engagé dans la discussion, c'est moins pour dévoiler la témérité de leur présomption, que pour justifier mes doutes et mes hésitations (1). Trouvant chez vous un de mes ouvrages, il se prit d'un rire de mépris et se lança contre ces rochers avec plus d'impétuosité que de prudence. A quels excès l'entraîna sa présomption, je pense que vous vous en apercevez aujourd'hui; si vous vous en êtes aperçu longtemps auparavant, n'en rendez à Dieu que des actions de grâces plus abondantes. En effet, ne voulant pas enchaîner sa course pour n'avoir point à démentir sa première audace, il heurta contre de redoutables écueils et vint échouer devant cette proposition : Aux enfants morts sans la régénération chrétienne, Dieu accorde immédiatement le paradis, et plus tard le royaume des cieux.
19. Quant aux passages de la sainte Ecriture, qu'il a invoqués pour prouver que ce n'est point par voie de. génération que Dieu nous donne notre âme, mais par voie d'insufflation nouvelle et particulière à chaque homme, j'ai montré que ces passages, sur la question qui nous occupe, sont incertains et ambigus et pourraient très-facilement s'interpréter dans un sens différent de celui qu'il leur donne. Je me suis livré à cette discussion de détail dans le livre que j'ai adressé à René, et je crois que ma démonstration a été complète (2). Ces témoignages prouvent que c'est Dieu qui nous donne, crée et forme notre âme, mais ils ne disent ni de quoi ni comment il la forme; est-ce par voie de génération, est-ce par voie d'insufflation spéciale ?
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Parce que votre docteur a lu que c'est Dieu qui nous donne, crée et forme notre âme (1), il en conclut que la propagation des âmes est formellement niée. Mais l'Ecriture ne dit-elle pas aussi clairement que c'est Dieu qui nous donne, crée et forme notre corps? et cependant personne ne doute de la propagation originelle des corps.
20. Nous lisons également : «Dieu créa le genre humain d'un seul sang (2) ; voici l'os de mes os et la chair de ma chair (3) ». Comme il n'est pas dit que c'est d'une seule âme que Dieu créa le genre humain; comme Adam ne dit pas : Voici l'âme de mon âme, il voit dans ces passages la négation de la transmission des âmes par voie de génération. Mais supposons qu'au lieu de ces mots « d'un seul sang », nous lisions; D'une seule âme, en conclurait-il qu'il ne s'agit pas de l'homme tout entier, ou que la propagation du corps y est formellement niée? De même si Adam avait dit: Voici l'âme de mon âme, il se garderait bien de trouver dans ces paroles une exclusion formelle de la chair, dont le mode de transmission était évident. En effet, l'Ecriture, dans son langage, prend très-souvent le tout pour la partie et la partie pour le tout. Si, au lieu de ces mots: «D'un seul sang », le texte portait : D'un seul homme, ce passage ne serait pas en opposition avec les adversaires de la transmission des âmes, quoique l'homme soit composé non pas d'une âme seulement, ou seulement d'un corps, mais à la fois d'un corps et d'une âme. Ils répondraient alors que le tout est pris pour la partie, c'est-à-dire que cette expression : L'homme, désigne seulement la chair. De même les partisans de la propagation des âmes, rencontrant ces mots : « D'un seul sang », les interprètent comme désignant l'homme tout entier, ou prenant la partie pour le tout. Les premiers se croient forts parce qu'il est dit : «D'un seul sang », et non pas d'un seul homme ; les seconds appliquent à leur système les paroles suivantes: «Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (4) » ; car il n'est pas dit : En qui la chair de tous a péché. Les premiers font bruit de ces mots : «Voici l'os de mes os et la chair
de ma chair », car il n'y est question que de la chair et non de l'homme tout entier. Les seconds répliquent par les paroles qui suivent immédiatement : «Elle sera appelée femme parce qu'elle a été tirée de l'homme », car pourquoi n'est-il pas dit: Parce que sa chair a été tirée de l'homme, s'il n'y a que la chair qui soit tirée de l'homme et non pas la femme tout entière? En écoutant les deux côtés, sans aucun parti pris, on voit clairement qu'on ne saurait opposer aux partisans de la transmission des âmes les passages qui ne prennent dans l'homme que l'une des deux parties qui le constituent. Est-ce que ce n'est pas en prenant la partie pour le tout, que l'Ecriture a pu dire : «Le Verbe s'est fait chair (1) », cette chair désignant évidemment l'homme tout entier ? Quant aux adversaires de la transmission des âmes, on ne saurait non plus leur opposer les passages où il est fait mention non plus de l'une ou de l'autre des deux parties constitutives de l'homme, mais de l'homme tout entier, car alors l'Ecriture a pu prendre le tout pour la partie, comme quand nous confessons que Jésus-Christ â été enseveli, ce qui ne peut s'appliquer qu'à son corps. De là je conclus que la transmission des âmes ne doit être ni témérairement affirmée, ni témérairement condamnée; et avant de se prononcer absolument pour l'une ou l'autre de ces deux opinions, il faudrait citer des témoignages explicites et formels.
21. J'ignore donc encore ce qu'il vous a appris et ce qui a pu soulever en vous les élans d'une ainsi vive reconnaissance. En effet, la question de l'origine des âmes reste toujours ce qu'elle était; on peut toujours demander si Dieu nous les donne par voie de transmission originelle, ou par une insufflation nouvelle et spéciale à chaque homme ; tout ce que nous enseigne la foi, c'est que Dieu est l'auteur de ces âmes. Avant de consulter ses forces votre docteur essaya la solution de celte grande question. Il nia donc la propagation de âmes et affirma que Dieu les tire pures et sans tache, non pas du néant, mais de lui-même, par un souffle créateur. Etait-il donc nécessaire de rabaisser la nature de Dieu jusqu'à lui faire subir les hontes de la mutabilité? En voulant prouver que Dieu n'est point injuste en jetant les liens du péché originel sur des âmes jusque-là pures de tout péché,
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et qui ne sont point destinées à trouver dans la régénération chrétienne la purification de leur souillure originelle, il a formulé devant vous des propositions dont je ne veux pas qu'il vous ait convaincu. A l'égard, par exemple, des enfants morts sans baptême, il fait profession de leur accorder un salut plus complet et un bonheur plus grand que n'a jamais osé le faire l'hérésie pélagienne. Et cependant parmi ces enfants, combien de milliers issus de parents impies et morts dans cet état, non-seulement sans qu'on ait pu penser à leur conférer le baptême, mais même sans qu'on ait offert pour eux, ou sans qu'on doive jamais offrir le sacrifice de Jésus-Christ, quoiqu'il soutienne que ce sacrifice doit être offert pour ceux mêmes qui n'ont pas été baptisés ! Interrogez-le sur là destinée des âmes de ces enfants, il reste sans réponse. Demandez-lui comment ces âmes ont pu mériter de ne pas être purifiées par le baptême ou par le sacrifice expiatoire du corps et du sang de Jésus-Christ et d'être jetées dans une chair pécheresse pour y contracter le droit à une éternelle condamnation, ou bien il se taira, ou bien il partagera, bien tard il est vrai, notre hésitation, ou bien il soutiendra que l'on doit offrir le sacrifice du corps de Jésus-Christ pour tous ces enfants qui sur toute l'étendue de l'univers meurent sans le baptême chrétien , et sans avoir été incorporés à Jésus-Christ. Il permet cependant de taire leurs noms, puisque ces noms sont inconnus dans l'Eglise de Jésus-Christ.
22. Dieu vous garde, mon frère, d'approuver une semblable doctrine, de vous réjouir de l'avoir apprise, ou d'entreprendre de l'enseigner vous-même; si vous succombiez à ce danger, vous seriez de beaucoup inférieur à ce jeune homme. En commençant son premier livre, cédant à un beau mouvement de modestie et d'humilité, ne s'est-il pas, écrié «En cherchant à vous obéir, j'encours la note de présomption ? » Il ajoute un peu après: «Je n'ai pas pour moi-même la crédulité de penser que je puisse prouver ce que j'avance ; je suis donc disposé à ne point soutenir mon opinion particulière, si je découvre qu'elle soit improbable; et condamnant mon propre jugement, j'embrasserai de grand coeur le sentiment qui me paraîtra le meilleur et le plus vrai. En effet, comme c'est faire preuve de sagesse et de prudence de suivre sans difficulté le parti de la vérité, ce serait montrer de là à folie et de l'obstination que de ne pas se ranger immédiatement du côté de la raison ». Si ce langage était sincère de sa part, s'il sentait réellement ce qu'il disait, il faisait preuve de grandeur et de noblesse dans ses espérances. A la fin du livre second il dit également : «Ne croyez pas que je pousse la flatterie à votre. égard, jusqu'à croire que mon langage n'a besoin que d'être sanctionné par votre propre jugement. Dans là crainte qu'aux yeux de certain lecteur curieux il ne se trouve dans mes écrits quelques passages capables de le blesser et l'offenser, faites preuve dans la correction de toute la sévérité possible, retranchez impitoyablement tout ce qui vous paraîtra faux ou inconvenant. Je ne voudrais pas qu'à l'occasion de ce livre et par suite d'une trop grande bienveillance de votre part, des inepties jusque-là inconnues vinssent me couvrir du ridicule universel ».
23. Des restrictions aussi formelles au début et à la fin de son ouvrage vous imposent le religieux fardeau de l'examen et de la correction. Que ses espérances ne soient point déçues; restez juste et même miséricordieux, mais. reprenez et corrigez; que l'huile du pécheur dont sa tête pourrait être ointe (1), ne coule sur lui ni de vos mains ni de vos yeux, c'est-à-dire d'un assentiment adulateur et d'une douceur séductrice et flatteuse. Si vous négligez de corriger ce qui vous parait défectueux, vous violez les lois de la charité ; et si vous ne voyez rien à corriger, par suite du parti de croire à la vérité de tout ce qu'il avance, vous allez directement contre les lois de la vérité. Il suivrait de là que cet auteur qui est tout disposé à corriger son travail pourvu qu'il trouve un correcteur, vous serait de beaucoup supérieur si, connaissant ses erreurs, vous vous contentiez d'en rire, ou si, ne les connaissant pas, vous les embrassiez aveuglément. Etudiez donc avec le plus grand soin ces livres écrits pour vous et remis entre vos mains; cette étude attentive vous révélera peut-être plus de taches que je n'ai pu en trouver dans une simple lecture. Si vous y trouvez des propositions vraiment belles et louables que vous ignoriez jusque-là et que vous n'avez apprises
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que par lui, montrez-les sans déguisement; alors du moins vous ne serez plus soupçonné d'avoir applaudi ce qui est vraiment condamnable dans cet ouvrage, et ce soupçon, croyez-le, était partagé par ceux qui en ont entendu la lecture avec vous, et par Ceux qui l'ont lu dans la suite. Si vous laissez ignorer aux lecteurs ce que vous avez puisé dans cet ouvrage et ce que vous n'y avez pas puisé, les louanges dont vous l'avez couvert exposeront ces lecteurs à tout accepter et à boire ainsi sur la foi de votre exemple le poison dans la coupe précieuse de son style enchanteur. Ecouter, lire, fixer dans sa mémoire ce qu'on a lu et entendu, n'est-ce pas boire la doctrine? Or, parlant des fidèles, le Seigneur a prédit que a le poison qu'ils auraient bu ne a leur nuira pas (1) ». Dès lors, ceux qui lisent avec discernement et s'appuient sur la règle
de la foi pour approuver ce qui est à approuver et pour condamner ce qui est à condamner, lors même que leur mémoire conserverait le souvenir de ce qui est condamnable, n'éprouveront aucune atteinte du poison renfermé dans ces doctrines erronées et perverses. Je ne me repentirai pas d'avoir obéi à une charité mutuelle ou prévoyante en me permettant de donner ces conseils à votre révérence et à votre religion; car, comptant sur la miséricorde de Dieu, je savais comment vous les accepteriez. Mais je rendrai de ferventes actions de grâces à Dieu, dont on ne doit jamais révoquer en doute l'infinie miséricorde, si votre lettre m'apprend et me prouve que votre foi n'a été nullement compromise par ces mensonges et ces erreurs que j'ai cru devoir vous signaler dans l'ouvrage de ce jeune écrivain.
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