MINISTÈRE AU LOIN Je n'ai pas honte de l'Évangile, c'est Dans les vastes solitudes de l'Himalaya, le Sadhou passa des mois dans le silence et la communion avec Dieu. Il parcourut seul des régions rarement visitées par les hommes, et contempla dans la nature les oeuvres puissantes du Créateur. C'est là que Dieu scella sa vocation divine en lui faisant réaliser de magnifiques expériences de sa puissance, et qu'il lui accorda, dans des moments d'extase, des visions spirituelles sur le monde invisible, qui illuminèrent sa vie. Il reçut une puissance en vue du ministère qui allait être le sien dans l'empire des Indes et dans ses voyages missionnaires à travers le monde. Son nom devint bientôt célèbre, et toutes les portes s'ouvrirent devant ce serviteur du Christ dont on parlait avec tant d'étonnement et d'admiration. Mais rien ne le détournera de sa vocation de Sadhou, et il manifestera la même humilité, la même douceur, la même simplicité dans sa vie de renoncement. Son âme, toujours éprise de silence et d'union avec Dieu, souffrira de l'adulation des hommes et aspirera constamment à retrouver la solitude des montagnes. En 1918, Sundar se rendit à Madras, et de là plus au sud, pour travailler momentanément parmi les communautés privées par la guerre, des missionnaires allemands. C'est alors qu'il rencontra le Dr et Mme Pierre de Benoit, venus aux Indes pour secourir les missionnaires suisses restés sans abri à la suite de l'expulsion, par le gouvernement anglais, des missionnaires allemands. Partout le Sadhou exhortait les chrétiens hindous à poursuivre le travail des missionnaires européens et à ne pas laisser se perdre la tâche entreprise. Il illustrait ses exhortations par la parabole suivante :- Un homme avait un magnifique jardin ; les plantes et les arbres en étaient très bien soignés et chacun les admirait. Cet homme devant partir pour un temps prolongé, se dit en lui-même :- Mon fils est ici ; il gardera tout en bon ordre jusqu'à mon retour.- Mais le fils ne se soucia pas du jardin, et nul n'en prit soin : la porte en resta ouverte, les vaches du voisin y entrèrent et broutèrent les fleurs et la verdure. Personne n'arrosait les plantes, et bientôt tout se flétrit et se dessécha. Les passants s'étonnaient devant la négligence de ce fils indolent et paresseux.- Oh ! répondit-il, mon père s'en est allé sans me dire ce que je devais faire !- Vous, chrétiens hindous, vous êtes exactement comme ce fils : vos missionnaires ont dû partir ; ils seront loin longtemps et vous ne faites rien pour continuer leur travail. Si vous voulez être de vrais fils, vous devez faire votre devoir sans attendre un ordre spécial de votre père. Soir et matin le Sadhou prêchait devant de nombreuses assemblées ; jamais personne n'avait à ce point attiré l'attention et la sympathie des églises de l'Inde. On venait à lui de toutes parts. Les conseils qu'il donnait étaient toujours empreints de sagesse, de bon sens et de pondération. L'exemple de sa pieuse mère et l'éducation qu'elle lui avait donnée, revenaient constamment dans ses entretiens avec les femmes.- Si une mère païenne a pu faire tant pour son fils, combien plus vous, mères chrétiennes, le pouvez-vous pour vos enfants. Le Sadhou participa à une grande convention de l'Eglise syrienne, où 20 000 chrétiens étaient présents. Cette communauté chrétienne se réclame de l'apôtre Thomas, venu, dit-on, prêcher l'Évangile aux Indes. Que cette tradition soit vraie ou non, il est établi que cette Eglise remonte au troisième siècle de l'ère chrétienne. Sundar se rendit à un autre des congrès de la branche Mar Thomas, dans le Travancor. Chaque année, à la saison sèche, on élève un vaste hangar sur une île de sable formée par le lit sec d'une immense rivière. Là, durant une semaine, se tiennent des réunions d'évangélisation. Chaque matin, avant l'aurore, un homme parcourt le campement en criant : « Loué soit Dieu ! Loué soit le Fils de Dieu ! » et de partout s'élèvent des prières chantées sur d'antiques mélodies syriennes. Ainsi monte vers le ciel, dans un constant crescendo, l'invocation qui doit faire descendre la bénédiction sur les réunions de la journée. Grâce à la présence du Sadhou, il y eut cette année-là plus de monde que jamais. Non moins de 32 000 auditeurs étaient assis sur le sable, tandis que sur une plateforme élevée, deux évêques de l'Eglise syrienne, en robes de satin rouge aux ceintures d'or, coiffés de turbans étranges, présidaient les séances. D'autres prédicateurs et le Sadhou étaient assis sur l'estrade à la façon indienne. Lorsque l'évêque indiquait un sujet de prière, un murmure s'élevait et allait croissant jusqu'à devenir semblable au fracas de l'océan. Le Sadhou n'a jamais attaqué violemment la religion dans laquelle il a été élevé. Il accueillait tous ceux qui avaient des principes religieux et ne cherchait pas à engager des controverses ; il voulait construire et non pas démolir. Par sa douceur, son humilité, son acceptation paisible des humiliations et des injures, par le témoignage silencieux de sa vie plus encore que par ses paroles, il gagnait des coeurs qui voyaient en lui l'amour même de Christ. Sundar passa six semaines à Ceylan, où son séjour avait été préparé par des missionnaires et des laïques de toutes dénominations. Mahométans, hindous, bouddhistes, catholiques, protestants, tous venus de loin, se pressaient aux abords des salles dès longtemps avant l'heure fixée. Aucune enceinte n'était assez vaste ; à Colombo, des centaines de gens ne purent même pas arriver jusqu'aux portes du local où il parlait. Son nom était sur toutes les bouches. Le Sadhou était alors au faîte de sa popularité, et ici se place l'expérience suivante : Sundar pleura beaucoup et pria. Sa prière terminée, il vit debout devant lui un être glorieux ; les larmes troublaient la vision du Sadhou, mais un fleuve d'amour envahit son âme. Il repoussa la tentation de devenir un Gourou hindou- tel que Nânak- honoré de tous et unissant le christianisme et toutes les religions de l'Inde en un système qui ferait de Jésus l'égal de Mahomet ou de Bouddha.- Non. Pour le Sadhou il y avait un seul Sauveur, Jésus-Christ, un seul Evangile, la bonne nouvelle de la grâce de Dieu qui est Christ, « le même hier, aujourd'hui et éternellement ». Partout la remarquable personnalité du Sadhou suscitait un intérêt extraordinaire et donnait une grande puissance à ses paroles. Il se dégageait de lui comme une émanation d'énergie spirituelle, qui le faisait aussitôt reconnaître pour un envoyé du Christ, chargé d'un message spécial. Il a provoqué dans toutes les populations, un réveil dont il est impossible d'évaluer l'importance. Il n'y a pas de doute que sa prédication porte des fruits abondants et qu'il a fait naître un sentiment plus vif et plus profond de ce que doit être la vie chrétienne. A Penang, un Sikh l'invita à parler dans le temple sikh et le gouverneur donna un après-midi de congé aux fonctionnaires de la police afin qu'ils puissent l'entendre. Quel contraste avec l'hostilité qu'il avait rencontrée chez son peuple et dans son village natal ! En été 1919, le Sadhou retourna à Sabathou, et de là dans son pays d'élection ; son coeur était toujours attaché au Tibet, et une fois de plus il entreprit le dangereux voyage dans les régions neigeuses de l'Himalaya. Depuis bien des années Sundar avait le grand désir de visiter la Palestine, le pays où Christ a vécu, souffert et donné sa vie ; mais il ne put obtenir le passeport nécessaire et dut y renoncer. En février 1920 Sundar arriva à Liverpool, visita Manchester, Birmingham, Oxford où il prêcha dans plusieurs collèges. A Londres, de grandes foules de diverses dénominations vinrent l'entendre; dans l'abbaye de Westminster il s'adressa à 700 clergymen anglicans, parmi lesquels l'archevéque de Canterbury et d'autres évêques. Il parla aussi à Cambridge et dans diverses réunions missionnaires. L'activité incessante, bruyante et trépidante des grandes cités américaines contrastait avec la nature calme, orientale et contemplative de ce grand ami de la solitude. Lorsque les Américains, fiers de leur civilisation, pensaient provoquer par leurs splendides inventions modernes l'admiration du Sadhou, il leur fit comprendre, sans dissimuler ses impressions, que l'oeuvre de Dieu l'intéressait davantage que l'oeuvre des hommes. Déçus, ils déclarèrent qu'étant seulement de passage au milieu d'eux, il ne pouvait en quelques jours apprendre à connaître et à apprécier le génie américain. A quoi le Sadhou répondit, dans son langage imagé :- Il faut beaucoup de temps, en botanique, pour étudier la structure d'une fleur et ses divers organes, mais il ne faut qu'un instant pour en sentir l'odeur.- Il ne parlait pas pour plaire aux hommes, mais selon la vérité et dans l'amour. Il disait :- Le Christ aurait dit ici : « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés d'or, et je vous soulagerai. » Il avait pensé que la connaissance du Christ aurait transformé les nations de l'Occident, mais en voyant partout l'amour de l'argent le luxe, le confort, la recherche du plaisir et de toutes les choses que le monde peut donner, il était profondément déçu. Même chez ceux qui se disaient chrétiens, il trouva beaucoup d'activité, de bruit et d'agitation, mais peu de temps donné à Dieu dans la méditation. Les hommes de l'Occident étaient si occupés qu'ils avaient laissé la prière de côté dans leur vie journalière. Il trouva, comme on le lui avait dit avant son départ, que les pays soi-disant chrétiens s'étaient corrompus et n'étaient plus chrétiens dans leur ensemble. Il rencontra cependant bien des serviteurs fidèles de Christ et, à son retour, il dit à ses amis hindous que s'il avait décelé en Occident beaucoup de matérialisme, l'Inde avait encore besoin de missionnaires venus d'Europe et d'Amérique. L'intérêt que suscitent les missions est la force et la vie des Eglises chrétiennes de l'Occident, disait-il. En juillet, il s'embarqua pour l'Australie. Un orage, pendant la traversée, lui suggéra l'image suivante :- Chaque matin nous recevions des nouvelles. Un jour, arrêt soudain, silence complet ! je demandai pourquoi:- C'est à cause de la tempête ; des perturbations atmosphériques empêchent la T.S.F. d'envoyer les messages.- Ainsi quelquefois, à cause du péché, l'atmosphère spirituelle est troublée et notre contact avec Dieu est interrompu. Cette tempête doit cesser, mais Jésus seul peut la calmer. Il peut parler avec autorité au vent et à la mer pour les apaiser. Quand tout est calme intérieurement, nous entendons sa voix, et nous avons la joie de sa présence dans nos coeurs. Après des mois d'une activité incessante, Sundar se retrouva avec joie à Sabathou, et passa quelques mois dans la tranquillité avant de reprendre, au printemps 1920, son travail au Tibet. Il avait rendu témoignage dans de nombreux pays, proclamant l'Évangile dans des églises bondées, entouré d'une foule enthousiaste. Maintenant il allait reprendre ses voyages dans des contrées solitaires et proclamer ce même Evangile dans des villes et des villages hostiles à son message. Dans le temple de Jérusalem, il lui semblait percevoir les paroles du Christ : « je suis venu afin que vous ayez la vie et que vous l'ayez en abondance ». Il croyait l'entendre lui dire comme à ses disciples d'autrefois : « La paix soit avec vous ; comme mon Père m'a envoyé, Moi aussi je vous envoie ». Il savait qu'à son tour il avait et-' envoyé pour servir de témoin dans le monde. - Sur les rives du Jourdain, dit-il encore, je contemplai l'eau fraîche et douce qui se déverse continuellement dans la mer Morte qui, elle, reste morte parce qu'elle garde cette eau vive sans la répandre au loin. De même il y a des églises mourantes, des chrétiens morts, parce qu'ils gardent pour eux l'eau vive que donne Jésus. Ne soyez pas semblables à la mer Morte. Faites part aux autres des bénédictions que vous avez reçues ; employez au service de Christ vos dons, votre instruction, votre argent, alors vous recevrez des bénédictions toujours plus grandes. J'ai fait l'expérience que si nous faisons quelque chose pour Christ, nous recevons mille fois plus. Soyez toujours prêts à travailler pour votre Sauveur et à aider votre prochain. De la Palestine, le Sadhou alla au Caire où il prêcha dans l'église copte. Une semaine après il débarquait à Marseille et, de là, partait directement pour la Suisse. Le lundi 27 février 1922, le Sadhou arrivait à Lausanne. ------------------------------------------------------------------------------------------ |