LE SENS SPIRITUEL
Fragment d'un discours
prononcé chez Madame de S., à GENEVE
Il y a quelque temps, je fis la connaissance d'un homme de Dieu, avec lequel je parlai de vie spirituelle. Lui ayant demandé à ce propos de quelle bénédiction il remerciait Dieu plus particulièrement, je reçus cette réponse : « En tout premier lieu, je Le remercie de m'avoir donné la vie et, en même temps, la capacité de sentir quelque chose de ce qui est au-delà. »
Nous avons cinq sens physiques, mais il y a aussi des sens intérieurs, spirituels qui nous font jouir de la présence de Dieu dans nos vies comme nos cinq sens nous permettent de jouir des choses de ce monde. Nous nous trompons bien souvent, car, nous rendant compte qu'il nous manque quelque chose, nous ne savons pas discerner si nos aspirations sont spirituelles ou terrestres. Pour arriver à satisfaire ces désirs intimes de notre être, il faut absolument séparer ces deux domaines. Notre faim, notre soif peuvent être apaisées par de la nourriture et de l'eau, mais les aspirations de notre âme ne peuvent pas être satisfaites par les biens, de ce monde.
Les hommes sentent confusément le besoin d'une vie meilleure sans se rendre exactement compte de ce qui leur manque pour la posséder. Ils essaient de se contenter eux-mêmes, au moyen de la fortune, du confort, ou encore en acquérant du pouvoir, de l'influence et cherchent ainsi à satisfaire, les besoins de ce corps mortel, destiné à être mangé des vers dans la tombe. Pendant ce temps, ils ignorent les besoins de l'âme, qui doit vivre à jamais. Ce qui importe avant tout, c'est de savoir discerner ce qui est besoin du corps et ce qui est aspiration spirituelle, car une fois l'âme satisfaite, tout le reste se changera pour nous en bénédiction.
J'essaierai de montrer ce qui résulte de nos efforts pour satisfaire l'esprit avec les choses de ce monde : Une maison commençait à brûler. Chacun sait que l'eau peut éteindre le feu ; aussi ceux qui étaient là s'emparèrent de vases pleins d'eau qui se trouvaient sur place. Malheureusement, il y avait aussi là des vases remplis de pétrole et ils se trompèrent... Ils jetèrent le pétrole sur le feu. Le résultat fut, naturellement, que la maison se trouva réduite en cendres au bout d'un moment. Il en est de même lorsque nous cherchons à éteindre la flamme des aspirations de notre âme avec les choses de la terre.
En comparant l'eau et le pétrole, nous ne trouvons que peu de différence entre ces deux substances ; toutes deux sortent de la terre et pourtant l'une peut éteindre le feu alors que l'autre attise et nourrit la flamme. La différence est dans la nature, dans le fond, non pas dans l'apparence.
Nos désirs intérieurs et spirituels ne peuvent être satisfaits que par l'Esprit de Dieu, notre Créateur. La difficulté vient de ce que nous ne réalisons pas cette vérité ; nous ne la comprenons pas ; nous ne prenons pas le temps d'y réfléchir. Les choses de ce monde peuvent être bonnes, puisqu'elles ont été créées par un Créateur sage et bon, mais, lorsqu'elles sont mal employées, elles peuvent aussi causer des destructions.
Voyageant dans le Thibet, j'aperçus un jour des fleurs magnifiques et m'arrêtai pour les admirer mieux. Un Thibétain m'avertit alors qu'il était dangereux d'en respirer le parfum. Je pensai qu'elles étaient vénéneuses, mais mon interlocuteur m'expliqua que non, ce n'était pas cela. Ces fleurs n'empoisonnent pas, elles endorment, si bien que ceux qui s'endorment ainsi ne se réveillent plus ; ils meurent au bout de douze jours environ, non pas directement à cause des fleurs, mais de faim et de soif. Leur long sommeil les amène à mourir d'inanition.
Les bonnes choses, les choses agréables de ce monde ont un parfum si suave qu'elles nous endorment bien vite et que nous ne pensons plus à ce qui concerne la vie de l'âme ; nous sommes endormis spirituellement parlant. Notre corps est nourri, vêtu et, pendant ce temps, notre âme meurt de faim. Mais, de même qu'il existe une autre plante qui empêche de tomber endormi, de même la plante de la prière nous sauve de la tentation.