IL Y A LES DÉLASSEMENTS DE LA CHARITÉ, CE SONT DIVERS PLAISIRS ET DIVERS AGRÉMENTS DES SENS DU CORPS UTILES POUR RÉCRÉER LE MENTAL ( animus).
Telles sont les réunions, et alors les conversations sur diverses choses, publiques, privées et d'économie ; puis les promenades, l'aspect agréable qu'offre les différentes beautés et les splendeurs des palais et des maisons, et aussi celles des arbres et des fleurs clans les jardins, dans les forêts et dans les champs ; puis celles des hommes, des oiseaux, des troupeaux, et aussi les spectacles de divers genres représentant des vertus morales et des événements, d'après lesquels quelque chose de la Divine Providence brille avec éclat. Ces choses et autres semblables sont pour le sens de la vue. Telles sont aussi les diverses harmonies de la musique et du chant, qui affectent délicieusement le mental (animus) selon les correspondances avec les affections, et en outre les plaisanteries décentes qui réjouissent le mental ; ces choses-ci sont pour le sens de l'ouïe. Il y a encore les repas, les festins et les banquets, et diverses réjouissances ; et en outre les jeux à la maison avec boules, cartes, etc. ; et aussi les danses dans les noces et dans les assemblées les jours de fête. Ces plaisirs et autres semblables sont des délassements utiles pour récréer le mental. Il y a de plus tous les travaux manuels qui donnent du mouvement au corps et distraient le mental des travaux de sa fonction ; il y a encore les lectures de livres historiques et dogmatiques qui réjouissent puis les faits nouveaux dans les feuilles publiques.
Ces plaisirs sont des délassements pour quiconque est dans un devoir ou un emploi, et peuvent être appelés les délassements des devoirs ou des emplois ; mais ils sont en actualité les délassements des affections d'après lesquelles chacun exerce son emploi. Dans tout emploi il y a l'affection, elle tend l'attention, tient le mental appliqué au travail ou à l'étude, et si le mental n'est pas détendu, il devient hébété, et son désir est infatué ; c'est comme le sel quand il perd sa saveur, il n'est plus excitant ou stimulant ; c'est aussi comme un arc bandé qui n'est pas détendu, il perd la propriété qu'il tient des forces de son élasticité. Il en est de même du mental s'il est tenu longtemps sans variation dans les mêmes idées ; comme aussi la vue de l'oeil quand on ne regarde continuellement qu'un seul objet on qu'une seule couleur ; en effet, elle se perd si c'est continuellement du noir, ou continuellement du rouge ou du blanc ; par exemple, si c'est continuellement de la neige, la vue se perd ; mais elle est vivifiée si l'on regarde en même temps on successivement plusieurs couleurs. Toute forme plaît par ses variétés ; par exemple, une guirlande de roses de diverses couleurs disposées dans une belle série. De là vient que l'arc-en-ciel a plus de charme que la lumière elle même.
Le mental continuellement tendu au travail, aspire au repos, lorsqu'il se repose, il descend dans le corps, et là il cherche ses plaisirs, qui sont correspondants aux opérations du mental, et que le mental choisit selon l'état intérieur ou les intérieurs du corps ; il puise ses amusements surtout dans les sens de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du goût et du toucher ; ils sont, il est vrai, puisés dans les externes, mais toujours est-il qu'ils s'insinuent dans les parties du corps qui sont appelées membres et viscères. C'est de là et non d'ailleurs que viennent leurs plaisirs et leurs charmes. Chaque fibre et chaque tissu de fibres, chaque vaisseau capillaire et par suite les vaisseaux communs, et ainsi tous les viscères dans le commun ont leurs délices, que l'homme sent alors singulièrement ou universellement comme un seul commun ; mais comme le mental est par la tête dans ces parties du corps, de telles délices sont pures ou impures, spirituelles ou naturelles, célestes ou infernales ; en effet, dans chaque sensation du Corps il y a intérieurement l'amour de sa volonté avec ses affections, et l'entendement en fait percevoir les délices, car l'amour de la volonté avec ses affections est la vie, fait la vie de chacun, et la perception de l'entendement en fait la sensation ; de là tous les plaisirs et tous les charmes. Le corps, en effet, est un ouvrage bien enchaîné et d'une seule forme ; la sensation se communique comme la force introduite dans une chaîne se communique à chaque chaînon, ou comme une forme qui a été composée d'une continuité de chaînes.
Mais comme les ministères, les fonctions, les devoirs et les travaux de chacun tiennent les mentals tendus, et que ces mentals doivent être détendus, restaurés et récréés par des délassements, on peut voir que les délassements différent, d'après l'affection intérieure qui est en eux, et qu'ils sont autres si en eux il y a l'affection de la charité, autres si en eux il y a l'affection du gain seul, autres si c'est l'affection de l'honneur seul, autres s'ils sont exercés seulement pour la nourriture et les nécessités de la vie, s'ils le sont seulement pour le nom afin d'être célèbres, ou seulement pour le salaire afin de pouvoir s'enrichir, ou de pouvoir vivre à sa guise, et ainsi du reste.
Ainsi en eux l'homme est tel qu'est en lui l'affection de la charité. Alors donc toutes les choses ci-dessus rapportées lui servent de récréation, comme aussi les spectacles et les jeux, outre les harmonies de la musique et du chant, et toutes les beautés des jardins et des champs, et en général les réunions. L'affection de l'usage y demeure intérieurement telle qu'elle est dans l'homme interne, et lorsqu'ainsi elle se repose elle est successivement renouvelée. Le délassement plie les désirs à sa fonction, ou les borne. En effet, le Seigneur influe du ciel dans les désirs et les renouvelle, et il met aussi en eux le sens intérieur de la volupté, ce dont n'ont aucune connaissance ceux qui ne sont pas dans l'affection de la charité ; mais celui qui est dans l'affection de la charité respire en eux comme, quelque chose de suave ou comme quelque, chose de doux qui n'est perceptible que pour lui ; il est dit quelque chose de suave, et par là est entendu le charme spirituel ; et il est dit quelque chose de doux, et par là est entendu le plaisir spiritue l; le charme se dit de la sagesse et par conséquent de la perception de l'entendement ; et le plaisir se dit de l'amour et par conséquent de l'affection de la volonté. Cela n'a pas lieu chez ceux qui ne sont pas par l'affection de la charité dans les délassements, parce que le mental spirituel est bouché, et en tant qu'ils s'éloignent de la charité le mental spirituel quant au volontaire est comme enduit de glu.
Dans ceux où il y a l'affeclion de I'homme seul, c'est-à-dire, chez ceux qui exercent les travaux de leur fonction pour la réputation,, afin d'être loués et d'avoir de l'avancement, ces délassements sont semblables dans les externes ; en effet, ils se donnent de la peine et soignent leur travail, et ils font des usages en abondance, mais non par l'amour de l'usage, mais seulement par l'amour de soi, ainsi non par l'amour du prochain, mais par l'amour de la gloire ; ils peuvent même sentir le plaisir dans les travaux de leur fonction, mais c'est le plaisir infernal ; ce plaisir à leurs yeux peut simuler le plaisir céleste, puisque l'un et l'autre sont semblables dans les externes ; mais leur plaisir est plein de déplaisirs ; ils n'ont, en effet, quelque repos du mental (animus) et quelque paix que lorsqu'ils pensent à la réputation et à l'honneur, et que lorsqu'ils sont honorés et adorés : quand ils n'y pensent point, ils se jettent dans les voluptés, dans l'ivresse et la luxure, dans les scortations, les haines et les vengeances, et dans les diffamations du prochain, si elles ne blessent pas leur honneur. Mais successivement s'ils ne sont pas élevés plus haut
dans les honneurs, ils prennent leurs devoirs en dégoût, se livrent au repos et deviennent des paresses, et après leur sortie du monde ils deviennent des démons.
Dans ceux ou il y a l'affection du gain seul, ces délassements aussi sont des délassements, mais charnels, inspirés intérieurement par le seul plaisir de l'opulence ; ceux-là sont actifs, prudents, industrieux, surtout s'ils sont marchands et ouvriers ; s'ils sont fonctionnaires publics, ils veillent attentivement aux travaux de leur charge, et ils vendent les usages ; s'ils sont juges, ils vendent la justice ; s'ils sont prêtres, ils vendent le salut ; le profit est pour eux le prochain ; en raison de leur charge ils aiment le profit, et en raison du profit ils aiment leur charge : ceux qui sont dans une fonction éminente peuvent vendre la patrie et aussi l'armée, et livrer leurs concitoyens aux ennemis. Par là on voit clairement quel est leur amour dans les délassements ci-dessus énumérés ; ces délassements sont pleins de rapines, et en tant qu'ils ne craignent pas les lois civiles ou les peines publiques, ni la perte de la réputation à cause des profits, ils pillent et volent : ils sont sincères dans les externes, mais sans sincérité dans les internes ; les usages qu'ils font dans leurs charges et dans leurs emplois ont pour eux des agréments et des charmes, comme les ordures en ont pour les pourceaux, comme les rats en ont pour les chats, comme l'agneau et la brebis en ont pour le tigre et le loup, qui les dévoreraient s'ils le pouvaient. Ils ne savent point que le bien de l'usage est quelque chose. Il y a dans leurs délassements le plaisir infernal et le charme infernal. ils sont comme les ânes qui voient quelques charmes dans les prairies et les champs seulement en ce que d'après l'odeur ils les broutent, soit qu'il y ait du froment dans les épis, soit qu'il y ait de l'orge ; mais ceci a été dit au sujet des avares.
Dans Ceux qui exercent seulement leurs emplois pour la nourriture et les nécessités de la vie, puis dans ceux qui les exercent seulement pour le nom afin d'être célèbres, et dans ceux qui les exercent seulement pour le salaire afin de s'enrichir et de vivre à leur guise, les délassements ci-dessus énumérés sont les seuls usages ; ceux-là sont corporels et sensuels ; leurs esprits sont immondes ; ils nesont d'aucune charité, mais ils appartiennent seulement à la convoitise et à l'appétit grossier. Ils exécutent les travaux de leur emploi en vue des délassements; ils sont hommes bêtes, hommes-morts, et leurs devoirs leur sont à charge ; ils cherchent des suppléants qui fassent les travaux de la fonction, ils retiennent seulement pour eux le titre et le salaire ; quand ils ne sont pas dans les délassements ci-dessus énumérés, ils sont des oisivetés et des paresses ; ils restent étendus dans le lit, sans autre méditation que de songer à former des réunions pour causer, manger et boire. Ce sont des fardeaux publics. Tous ceux là après la mort sont renfermés dans des bagnes, où ils sont sous l'administration d'un juge qui leur indique chaque jour les travaux qu'ils doivent faire ; et, s'ils ne les font pas, il ne leur est point donné de nourriture, ni de vêtement, ni de lit, et cela jusqu'à ce qu'ils soient poussés à faire quelque chose d'utile. Les enfers abondent en bagnes semblables, il en sera dit quelque chose à la fin de cet opuscule. Ces enfers exhalent une odeur infecte, puisque toute odeur forte provient de la vie de l'amour spirituel, ou de la vie de l'amour des usages.
Il a été question de la conjonction de la charité et de la foi dans la Doctrine de la Nouvelle Jérusalem, sur la Foi, puis dans l'Apocalypse Expliquée, comme aussi dans la Sagesse Angélique sur la Divine Providence, et dans la Sagesse Angélique sur le Divin Amour. Tout ce qui a été dit dans ces ouvrages sur ce sujet se réfère à ces deux points, savoir :
1° qu'il n'y a pas un grain de la foi spirituelle sans la charité, parce que la charité est la vie, l'âme et l'essence de la foi.
2°Que telle est la charité, telle est la foi, et que la foi qui précède la charité est la foi des connaissances, c'est-à-dire, une foi historique, qui en elle-même est une science.