LE GOUVERNEMENT
ECCLESIASTIQUE ET CIVIL


 


     311. Chez les hommes, deux sortes de choses doivent être dans l'ordre, savoir les choses du ciel et celles du monde : Celles qui concernent le ciel sont appelées choses ecclésiastiques ; celles qui concernent le monde, choses civiles.

     312. L'ordre ne peut être maintenu dans le monde sans qu'il y ait des chefs chargés d'exercer une surveillance sur toutes choses, qu'elles soient faites conformément à l'ordre ou contre l'ordre, de récompenser ceux qui vivent conformément à l'ordre et de punir ceux qui l'enfreignent. Si cela ne se fait pas, le genre humain périra ; car tout homme naît avec des penchants héréditaires qui le poussent à vouloir commander aux autres et à s'emparer de leurs richesses. De là découlent les inimitiés, les envies, les haines, les vengeances, les fourberies, les cruautés et plusieurs autres maux. C'est pourquoi, si les hommes n'étaient pas liés par des lois, accompagnées, pour ceux qui font le bien, de récompenses qui flattent leurs amours, telles que des honneurs et des profits, et, pour ceux qui font le mal, de punitions qui contrarient ces amours, telles que la perte des honneurs, des possessions, voire de la vie, le genre humain périrait.

     313. Par conséquent, il faut des chefs qui maintiennent l'ordre dans les collectivités humaines. Ce seront des hommes experts dans les lois, remplis de sagesse et ayant la crainte de Dieu. Il y aura aussi parmi ces chefs un ordre de rang, de peur qu'aucun d'eux, par bon plaisir ou par ignorance, ne permette des maux qui soient contraires à l'ordre, et par conséquent ne le détruise. Ceci est évité quand il y a des chefs supérieurs et des chefs inférieurs, et qu'il existe entre eux une subordination.

     314. Les chefs préposés aux choses qui, parmi les hommes, concernent le ciel, c'est-à-dire aux choses ecclésiastiques, sont appelés prêtres ; leur fonction est le sacerdoce. Ceux préposés à celles qui concernent le monde, ou choses civiles, sont appelés magistrats ; le premier d'entre eux, dans les pays où la forme du gouvernement le permet, est appelé roi.

     315. Quant à ce qui concerne les prêtres, ils ont pour devoir d'enseigner aux hommes le chemin qui mène au ciel, et de leur servir de guides ; ils les instruiront conformément à la doctrine de leur Église d'après la Parole, et les guideront pour qu'ils vivent selon cette doctrine. Les prêtres qui enseignent les vrais, et qui par ces vrais conduisent au bien de la vie, et par conséquent au Seigneur, sont les bons pasteurs des brebis ; mais ceux qui enseignent et ne conduisent pas au bien de la vie, ni par conséquent au Seigneur, sont de mauvais pasteurs.

     316. Les prêtres ne s'arrogeront aucun pouvoir sur les âmes des hommes, parce qu'ils ne savent pas dans quel état sont les intérieurs de l'homme ; à plus forte raison, ne s'arrogeront-ils pas le pouvoir d'ouvrir ou de fermer le ciel, puisque ce pouvoir appartient au Seigneur seul.

     317. On respectera et honorera les prêtres à cause des choses saintes qu'ils administrent. Mais ceux d'entre eux qui sont sages attribueront l'honneur au Seigneur, de qui procèdent les choses saintes. Ceux, au contraire, qui ne sont point sages, s'attribuent l'honneur et le dérobent ainsi au Seigneur. Ceux qui s'attribuent l'honneur à cause des choses saintes qui appartiennent à leurs fonctions, préfèrent l'honneur et le gain au salut des âmes auquel ils doivent veiller ; mais ceux qui attribuent l'honneur au Seigneur et non à eux-mêmes, préfèrent le salut des âmes à l'honneur et au gain. L'honneur d'une fonction n'a pas trait à la personne qui en est investie ; il lui est adjoint en vertu de la dignité de la chose qu'elle administre ; or, ce qui n'est qu'adjoint n'appartient pas à la personne, et même s'en retire en même temps que la fonction cesse. L'honneur qui appartient à la personne (indépendamment de toute fonction) c'est l'honneur de la sagesse et de la crainte du Seigneur.

     318. Les prêtres instruiront les hommes et, par les vrais, les conduiront au bien de la vie. Néanmoins, ils ne contraindront personne, puisque nul ne peut être contraint à croire le contraire de ce qu'il est arrivé à considérer du fond du coeur comme vrai. Celui qui ne croit pas comme le prêtre et ne cause pas de troubles, sera laissé en paix ; mais celui qui cause des troubles sera séparé ; cela aussi relève de l'ordre pour lequel le sacerdoce a été établi.

     319. De même que les prêtres ont été préposés pour administrer ce qui concerne la Loi divine et le culte, de même les rois et les magistrats l'ont été pour administrer ce qui concerne la loi civile et la justice.

     320. Comme le roi, seul, ne peut administrer toutes choses, il a sous ses ordres des chefs, à chacun desquels a été confiée la charge d'administrer ce qu'il n'a pas la possibilité ou n'est pas en mesure d'administrer lui-même. Ces chefs, pris ensemble, constituent la royauté, mais le roi lui-même est le chef suprême.

     321. La royauté elle-même n'est pas inhérente à la personne ; elle lui est adjointe. Le roi qui croit que la royauté est inhérente à sa personne, et le chef qui croit que la dignité de sa fonction est inhérente à sa personne, ne sont point sages.

     322. La royauté consiste à gouverner un royaume selon ses lois, et d'après elles à juger avec justice. Le roi qui place les lois au-dessus de lui, est sage ; mais le roi qui se considère comme au-dessus des lois n'est point sage. Le roi qui met les lois au-dessus de lui place la royauté dans la loi, et cette dernière domine sur lui ; car il sait que la loi est la justice et que toute vraie justice est divine. Mais celui qui regarde les lois comme étant au-dessous de lui, place la royauté en lui-même, et croit ou qu'il est lui-même la loi, ou que la loi, qui est la justice, vient de lui. De là, il s'arroge ce qui est divin, alors qu'il doit être au-dessous du divin.

     323. La loi, qui est la justice, sera établie dans le royaume par des hommes experts dans les lois, sages et craignant Dieu. Le roi et ses sujets y conformeront leur vie. Le roi qui vit selon la loi établie et qui en ceci donne le premier l'exemple à ses sujets, est vraiment un roi.

     324. Le roi qui possède un pouvoir absolu et qui considère que ses sujets sont à tel point ses esclaves qu'il a le droit de disposer à sa guise de leurs biens et de leur vie, et qui agit en conséquence, n'est pas un roi, mais un tyran.

     325. On doit obéir au roi selon les lois du royaume et ne l'outrager en aucune manière, ni en actes, ni en paroles ; la sécurité publique en dépend.

FIN