d'Emmanuel Swedenborg par HENRY DE GEYMULLER
Emmanuel Swedenborg, fils de Jesper Swedberg, évêque de Skara, naquit à Stockholm le 29 janvier 1688. Il commença ses études à l'Université d'Upsala en 1699 et soutint sa thèse le 1er juin 1709. Nommé assesseur extraordinaire au Collège Royal des Mines en 1716, assesseur ordinaire en 1724, il prit sa retraite en 1747 et mourut à Londres le 29 mars 1772. Sa dépouille mortelle fut ramenée dans sa patrie à bord d'un navire de guerre suédois, en 1908, et repose maintenant dans la cathédrale d'Upsala. Il s'appelait Swedberg jusqu'en 1719, date à laquelle il fut anobli par la reine Ulrique Eléonore et son nom changé en celui de Swedenborg. A partir de ce moment, il siégea à la Chambre des Seigneurs, dont il fut un membre actif et écouté jusqu'à sa mort. En quittant l'Université, Swedenborg donna d'abord libre cours à ses talents poétiques. Nous possédons de lui quelques recueils de vers latins. Mais bien vite son intérêt se tourne vers les sciences exactes, notamment vers les mathématiques. En 1709, il sollicite l'aide de son beau-frère Eric Benzelius, le futur archevêque d'Upsala, alors bibliothécaire de l'Université de cette ville, afin de pouvoir se rendre à l'étranger et d'y étudier les plus récentes découvertes scientifiques. En attendant le moment du départ, il s'initie à l'art de la musique et remplace parfois l'organiste à l'église. Il séjourne quelque temps chez Christopher Polhem, qu'on a surnommé l'« Archimède du Nord » et qui le met au courant de ses diverses inventions et expériences. « Nous fûmes très satisfaits l'un de l'autre, écrit ce dernier à Benzelius, surtout quand je constatai qu'il était capable de m'aider dans mes entreprises mécaniques actuelles et de me seconder dans les expériences nécessaires. A ce point de vue, je suis son obligé plus qu'il n'est le mien. » Mentionnons ici, en passant, que le jeune Swedenborg s'enamoura successivement des deux filles de Polhem, dont la plus jeune devint officiellement sa fiancée. Toutefois, ne se sentant pas vraiment aimé par celle-ci, il lui rendit sa parole et resta célibataire toute sa vie. En 1710, Swedenborg est à Londres. - « J'étudie Newton tous les jours, écrit-il à Benzelius, et je suis fort impatient de le voir et de l'entendre ». Cette satisfaction ne semble pas lui avoir été accordée, mais il fit, par contre, la connaissance de plusieurs autres savants célèbres, notamment celle de Flamsteed, Halley et Woodward. Après ce premier séjour en Angleterre, notre jeune voyageur visita successivement la Hollande, la Belgique, l'Allemagne et la France. A Paris, il rencontra les mathématiciens Philippe de la Hire et Pierre Varignon. - « Il serait trop long, écrit-il, de mentionner tous les savants auxquels j'ai rendu visite ou dont j'ai fait la connaissance au cours de ces voyages, étant donné que je n'ai jamais laissé passer une occasion de le faire, pas plus que je n'ai manqué jamais de visiter et d'examiner les librairies, les collections et autres objets intéressants». Ajoutons que Swedenborg échangea une correspondance scientifique avec plusieurs savants éminents de l'époque. La place nous manque pour suivre notre voyageur dans ses nombreux déplacements. Il suffira de dire qu'au cours de sa longue existence, il ne perdit jamais le goût des voyages et que c'est à l'étranger qu'il publia la plupart de ses ouvrages. Comme le dit le chevalier Sandels dans l'éloge qu'il prononça devant les membres de l'Académie des Sciences, dans la salle des séances de la Chambre des Seigneurs, à l'occasion de la mort de Swedenborg : «Rien ne lui échappa jamais de ce qui méritait d'attirer l'attention d'un voyageur». Ce fut au cours de ses premières pérégrinations que notre jeune savant donna la preuve de son esprit inventif. Il proposa en effet diverses inventions, parmi lesquelles nous notons un sous-marin «pouvant causer de grands dommages à l'ennemi», un nouveau système d'écluses, une machine actionnée par l'ébullition de l'eau (première ébauche d'une machine à vapeur), un fusil à air comprimé pouvant tirer 60-70 balles sans être rechargé, un appareil volant (1), une pompe à mercure, etc. Quelques-unes de ses inventions n'étaient pas techniquement réalisables à l'époque, mais Swedenborg réussit néanmoins à faire exécuter certains de ses projets, notamment sa pompe à mercure et son système d'écluses. Rentré dans sa patrie, nous le voyons débordant d'activité. En effet, peu après son retour, il crée, avec la collaboration de quelques savants, la première revue scientifique suédoise, le Daedalus Hyperboreus, dont il assume la direction. Il y fait paraître de nombreux articles sur toutes sortes de sujets techniques et de questions scientifiques. En 1718, il refuse la chaire de mathématiques supérieures à l'Université d'Upsala pour pouvoir se consacrer entièrement à ses devoirs d'assesseur au Collège des Mines, où il ne tarde pas à s'acquérir de grands mérites comme ingénieur et comme métallurgiste : « Nous n'en finirions pas, écrit le professeur Schleiden, si nous voulions énumérer tous les perfectionnements que Swedenborg a introduits dans l'exploitation des mines de son pays natal, et il serait impossible de dire combien grands furent ses mérites en ce qui concerne le progrès des arts et de l'industrie en Suède». (2) Cette même année, il publie aussi une méthode ingénieuse pour déterminer la longitude par des observations de la lune, problème qui avait occupé les savants depuis un certain nombre d'années. Vers la même époque, Swedenborg exposa au roi l'utilité que présenterait pour la navigation et le commerce la construction d'un canal reliant Göteborg à la Baltique en passant par les lacs Vänern et Vätern. Il fut chargé d'étudier les possibilités pratiques de cette gigantesque entreprise. Après avoir examiné la situation sur place, Swedenborg conclut que «le projet était réalisable et qu'il n'entraînerait pas autant de dépenses qu'on l'avait supposé». «Swedenborg a fini par adopter l'idée moderne d'un canal passant par Hjalmaren et Mälaren et aboutissant directement à Stockholm ». Le professeur Holmquist, à qui ce renseignement est emprunté, fait observer avec raison qu'on trouve chez Swedenborg «la combinaison exceptionnelle d'une imagination hardie et d'un sens pratique prononcé». Commentant l'audacieux projet conçu par ce dernier, le professeur Ramström écrit : «Il n'est que juste de faire observer que l'impression qui s'en dégage est que nous avons affaire ici à un ingénieur perspicace et énergique qui trouvait le moyen d'utiliser sa parfaite formation théorique à des fins pratiques ». (3) Lors du siège de Frederickshald, en 1718, où Charles XII trouva la mort, Swedenborg eut de nouveau l'occasion de faire briller ses talents d'ingénieur. Il conçut le moyen de faire transporter de Strëmland au Iddefjord, soit sur une distance de 14 lieues anglaises, 2 galères, 5 grosses chaloupes et une forte corvette, ce qui permit aux Suédois de prendre les Norvégiens à revers. Jamais à court d'idées, notre jeune technicien inventa en outre un nouveau four à combustion lente, une méthode inédite pour découvrir les filons métalliques, etc. En 1719 parurent différents petits traités en suédois sur le mouvement de la terre et des planètes, le système décimal, etc, ainsi qu'une remarquable étude sur « la Hauteur des Eaux et les Fortes Marées dans le Monde Primitif ; preuves d'après la Suède ». Ce travail a été hautement loué par les professeurs J. J. Berzelius (4), A. E. Nordenskiöld (5) et A. G. Nathorst. Ce dernier écrit: « Les contributions de Swedenborg dans le domaine de la géologie sont si importantes et si étendues qu'à elles seules elles suffiraient à lui assurer un nom respecté dans la science ». (6) Il proposa l'adoption officielle d'un nouveau système de poids et mesures « de façon à rendre les calculs aisés et à supprimer les fractions». Il ne s'agit de rien de moins que du système décimal ! Parmi les nombreuses autres propositions qu'il soumit, notons encore la création d'un observatoire astronomique et d'une chaire de mécanique à l'Université d'Upsala, le projet d'une compagnie destinée à favoriser l'exportation du fer et du goudron suédois et l'établissement de grandes entreprises destinées à la production du sel. Le roi lui confia l'exécution de ce dernier projet, en vue duquel Swedenborg Conçut et mit sur pied tout un matériel nouveau. Cette même année, Swedenborg publia à Upsala un ouvrage sur l'algèbre, le calcul différentiel et intégral, etc. Dans les dix volumes de ce traité, l'auteur s'occupe également de divers problèmes de mécanique et de balistique. L'intérêt de Swedenborg se concentre désormais sur la minéralogie, la chimie, la physique et même la cosmologie, bien que nous le voyions déjà, en l'année 1719, présenter au Collège Royal de Médecine un mémoire consacré à la physiologie et à la biologie, intitulé Argument démontrant que notre force vitale consiste surtout en de subtiles vibrations ou oscillations. En 1721, Swedenborg alla visiter les mines de Saxe et du Harz et fut reçu de manière princière par le duc de Brunswick - Lüneburg qui défraya toutes ses dépenses. Cette même année parurent à Amsterdam un traité de chimie et de physique Prodromus Principiorum Rerum Naturalium etc., de nouvelles observations métallurgiques : Nova Observata circa Ferrum et Ignem, etc., ainsi qu'une deuxième édition de sa Nouvelle Méthode pour déterminer la longitude publiée dans Artificia Nova Mechanica, etc. L'année suivante, Swedenborg fit paraître à Leipzig un nouveau traité de zoologie et de minéralogie sous le titre de Miscellanea Observata circa Res Naturales et praesertim circa Mineralia et Montium Strata, et publia des remarques de grand intérêt sur l'océan primitif et les lois de l'hydrostatique, dans les Acta Literaria Sueciae. Rentré en Suède, il se consacre avec assiduité aux devoirs de sa charge. Un décret royal l'autorise à se rendre à Dresde et à Leipzig en 1733 pour y publier le gigantesque ouvrage dont il venait de terminer le manuscrit et qui parut l'année suivante dans cette dernière ville, grâce à la munificence du due de Brunswick, sous le titre de Opera Philosophica et Mineralia, vol 1: Principia Rerum Naturalium, vol.II : De Ferro, vol. III : De Cupro, etc. L'Académie des Sciences de Paris publia une traduction française d'un fragment de De Ferro dans sa magnifique Description des Arts et Métiers, «parce que cet ouvrage fut jugé être le meilleur qu'on possédât sur ce sujet».(7) Quant aux Principia, on peut dire, sans exagération., qu'il s'agit là d'un des ouvrages qui font le plus grand honneur au génie humain. Voici ce qu'en dit R. Th. French, professeur à l'Université de Cincinnati. Les doctrines suivantes de la science moderne, dit-il, s'y trouvent exposées plus ou moins explicitement : «La théorie atomique (l'atome considéré comme un petit système solaire constitué par des grains d'énergie dont les mouvements obéissent à des lois mathématiques, H. de G.), l'origine solaire de la terre et des autres planètes, la théorie ondulatoire de la lumière, la théorie nébulaire (de l'origine du système solaire), la théorie cinétique de la chaleur, l'affirmation que le magnétisme et l'électricité sont étroitement liés l'un à l'autre (de même que l'électricité et la lumière, H. de G.), que l'électricité est une forme du mouvement de l'éther et que les forces moléculaires sont dues à l'action du milieu éthérique ». (8) Le professeur Svante Arrhenius a consacré une remarquable étude à la cosmologie de Swedenborg (9) dans laquelle il fait notamment ressortir la priorité de la théorie nébulaire de Swedenborg (1734) par rapport à celles de Buffon (1745), de Kant (1755) et de Laplace (1817). Le Dr Magnus Nyrén, astronome à l'observatoire de Pulkova, en Russie, fait observer que « Swedenborg, selon toute probabilité, a donné la forme la plus correcte à sa théorie ». (10) C'est sans doute sous l'influence des idées cartésiennes que Swedenborg est arrivé à la conception que « toutes choses, dans l'univers, ont pris naissance d'une manière mathématiquement définissable ». Ceux qui s'intéressent à l'histoire des idées scientifiques, liront avec profit l'étude de M. Alf. Stroh sur La relation entre la philosophie naturelle de Swedenborg et les conceptions philosophiques de Descartes, de Newton et de Polhem ». (11) L'année 1734 vit paraître à Leipzig un essai sur l'Infini : Prodromus de Infinito et causa finali creationis deque mechanismo animae et corporis. Swedenborg s'est efforcé, dans cet essai, d'appliquer sa théorie des vibrations (et en général sa doctrine des Principia) aux phénomènes de la biologie, comme il l'avait déjà fait en 1719. Il essaya même, vers cette époque, d'expliquer les phénomènes purement psychologiques en se basant sur des données semblables. L'ouvrage qu'il écrivit sur ce sujet parut il y a quelques années sous le titre de Psychologica. Swedenborg commençait, on le voit, à s'intéresser aux problèmes que pose l'existence de l'âme, notamment à celui des rapports qui existent entre l'âme et le corps. Mais comme il se rendait compte que le corps est l'habitation de l'âme, il prit la résolution d'étudier à fond les sciences anatomiques et physiologiques, ce qu'il fit avec sa précision accoutumée. Bientôt il fut à même de publier le premier résultat de ses recherches. En 1740 et 1741, il fit paraître à Amsterdam son OEconomia Regni Animalis, en deux volumes. Dans une lettre, adressée au Collège des Mines quatre ans plus tôt, il parle de cet ouvrage, alors en préparation, comme devant être la «continuation » de ses Principia. (12)En effet, comme le fait judicieusement observer le Dr Alf. Acton à propos des Principia : Aussi ne suis-je pas de l'avis du professeur Martin Lamm quand celui-ci prétend que, sous l'influence d'Aristote, de Plotin, de Leibnitz, etc., Swedenborg a abandonné la conception «mécaniste et cartésienne» des Principia, pour adopter à sa place une doctrine « émanatiste néoplatonicienne ». (14) Ce qui est vrai, c'est que Swedenborg a complété ses théories précédentes à l'aide d'une nouvelle conception organique du monde. Comme l'écrit Lamm (et ici l'on ne saurait que lui donner raison) :« Ce qui constitue un des traits remarquables de cet ouvrage, c'est que, tout en étant manifestement consacré à l'étude du règne le plus inférieur de la nature, il débute par des spéculations profondes sur la création procédant de l'Infini. Nous trouvons ici le fondement même de toute la philosophie subséquente de Swedenborg, la base dont il ne s'est jamais écarté par la suite.» (13) Bien que I'OEconomia soit plutôt un ouvrage de philosophie naturelle qu'un traité de science pure, nous y trouvons néanmoins toute une série de nouvelles idées scientifiques, notamment sur le développement foetal (Swedenborg fut un des premiers champions de la doctrine de l'épigenèse), le mouvement du cerveau, le rôle du cortex cérébral considéré comme le siège des fonctions psychiques, la localisation des centres sensoriels et moteurs, le contrôle des mouvements automatiques par la moelle épinière, l'importance et la fonction des glandes à sécrétion interne, etc.« Cette conception organique de la nature se traduit dans son raisonnement scientifique par l'application systématique qu'il fait de la doctrine suivant laquelle tout ce qui existe dans le macrocosme se reflète dans le microcosme; non seulement l'homme, mais encore la moindre particule de l'univers, constituent un monde en miniature, présentant la même structure organique et soumis aux même lois que le macrocosme. La doctrine des séries et des degrés sert avant tout, dans l'esprit de Swedenborg, à illustrer cette continuité organique de tout ce qui existe dans la nature.» - « Ce sont les liens de continuité et d'analogie, unissant les choses les plus humbles aux choses les plus élevées, le petit au grand, le terrestre au céleste, qui constituent pour Swedenborg l'essence même de sa philosophie... Pour lui, la tâche de la philosophie était et resta toujours de mettre à nu les fils infiniment subtils qui forment l'immense trame de la création. » (15) Trois ans plus tard (1744-45), Swedenborg publia les deux premiers volumes de son Regnum Animale, ouvrage colossal en 17 parties. Plusieurs gros traités faisant partie de cette série ne furent publiés à titre posthume qu'à une date relativement récente. Ce sont De Sensibus, De Generatione, De Anima, et enfin De Cerebro (4 volumes). Ajoutons à cette liste De Fibra qui fait partie de l'OEconomia, ainsi qu'un premier traité sur le Cerveau, paru en traduction anglaise dans New Philosophy. Ajoutons à cette liste de savants éminents le nom du professeur Martin Ramström, l'auteur des lignes qui précèdent. L'étude qu'il a consacrée au travail monumental de Swedenborg sur le cerveau est ce que nous possédons de mieux sur le sujet. Le distingué savant s'attache à mettre en lumière les trois thèses de cet ouvrage qui l'ont le plus frappé, à savoir : 1) l'affirmation que les centres des fonctions psychiques se trouvent dans le cortex cérébral, 2) sa doctrine des localisations cérébrales, et 3) sa théorie des « cerebellula» ou cellules nerveuses primordiales dont la somme constitue l'ensemble du cortex. M. Ramström termine son étude par les remarques suivantes :«Le professeur Anders Retzius a montré qu'on peut trouver (dans les ouvrages anatomiques et physiologiques de Swedenborg, notamment dans le Regnum Animale, qualifié par lui de « merveille ») des idées appartenant à l'époque la plus récente, ainsi qu'un but, une induction et une tendance qu'on ne saurait comparer qu'à ceux d'Aristote (16). Depuis, plusieurs auteurs se sont exprimés en termes analogues, notamment les professeurs Christian Lovén (17), Max Neuburger (Vienne) (18), C. G. Santesson (19) et surtout le professeur Gustav Retzius (20) à diverses reprises. » (21) On peut considérer l'année 1745 comme marquant la fin de l'activité scientifique de Swedenborg. Déjà de son vivant, les savants de son pays et de l'étranger lui témoignèrent la plus haute estime. C'est ainsi que l'Académie des Sciences de St-Pétersbourg l'élut comme membre correspondant en 1734. Mais comme ses idées devançaient de loin celles de son siècle, ce ne fut que beaucoup plus tard que les hommes de science purent rendre pleinement hommage à son génie et reconnaître, dans de nombreux cas, la priorité de ses découvertes ou théories. C'est ainsi que le grand chimiste français Georges Dumas n'hésita pas à proclamer que Swedenborg fut un des pères de la cristallographie moderne, et que le professeur Patterson, de l'Université de Pennsylvanie, a pu écrire :« Il convient d'insister sur le fait que, quand Swedenborg s'adressa à la vaste littérature scientifique pour en tirer un ensemble de faits, il ne trouva nullement ces derniers déjà classés et systématiquement exposés dans des ouvrages ad hoc ; bien plus, ces faits n'étaient souvent même pas clairement énoncés comme tels. A vrai dire, Swedenborg fut pour ainsi dire obligé d'extraire ses matériaux d'un véritable chaos d'observations erronées, de fausses interprétations et de conceptions bizarres ; et, avant de pouvoir en tirer les conclusions qui s'imposaient, il lui fallut procéder encore à maint triage et à mainte analyse. Devant cette constatation, on est obligé de convenir que ce fut une oeuvre géniale que d'avoir su dégager les fils conducteurs cachés dans un tel chaos et d'avoir été capable, malgré certaines imperfections, de découvrir une si grande part de la vérité. » (22) On pourrait multiplier presque indéfiniment ce genre de citations. Divers savants ont exprimé l'idée que même si Swedenborg n'avait écrit qu'un seul de ses ouvrages scientifiques, cela suffirait à faire de lui un astre de première grandeur dans le firmament de la science. Terminons ce coup d'oeil général par une ou deux citations significatives :« Quant aux expériences et aux observations sur le magnétisme présentées dans les Principia, on croit d'habitude que beaucoup d'entre elles sont de date beaucoup plus récente et on les attribue injustement à des auteurs beaucoup plus modernes. » (23) Swedenborg travaillait encore à son Regnum Animale, lorsqu'il commença à observer chez lui certains états psychologiques particuliers, qu'il prit l'habitude de noter, à partir de juin 1743, ainsi que les rêves plus ou moins prémonitoires ou symboliques qu'il avait à la même époque. Sa tournure d'esprit, déjà très respectueuse des choses divines, devint franchement religieuse. Swedenborg passa, entre 1743 et 1745, par une crise qu'on peut légitimement qualifier de « mystique», crise au cours de laquelle il se tourna de tout son coeur vers Dieu. Le Journal de ses Rêves, commencé en décembre 1743 et terminé en octobre 1744, nous fournit sur son état d'esprit à cette époque les renseignements les plus complets. Nous pouvons y observer la naissance d'un état psychique particulier, ainsi que les premiers développements de ses facultés paranormales : rêves ayant une signification, dédoublements, extases, commencement de clairaudience, ébauches de visions, automatismes psychiques et moteurs, etc. En avril 1745, il eut une vision du Christ (26) :« Dans les temps récents, Emmanuel Swedenborg a été de divers côtés l'objet d'un intérêt sans cesse croissant ; il ne s'écoule guère d'année sans que l'attention ne soit attirée sur quelque aspect nouveau du labeur si varié de sa vie. Autrefois, il était connu presque exclusivement par ses écrits religieux. Mais peu à peu on s'est aperçu qu'il était un chercheur et un génie de première grandeur, qui a ouvert de nouvelles voies dans plusieurs branches des sciences naturelles et a fait des découvertes merveilleuses. » (24) Cette même année, il publia encore un traité, mi-scientifique, mi-religieux, intitulé De Cultu et Amore Dei. L'auteur y traite de la création du monde et de l'apparition des formes vivantes et de l'homme. On y trouve, sous forme poétique, une théorie très originale de l'évolution. Après la publication de cet ouvrage, Swedenborg se mit à étudier la Bible dans les textes originaux, et composa un premier essai d'interprétation allégorique des Saintes Ecritures : Adversaria in Libros Veteris Testamenti. Cet ouvrage ne fut publié qu'après sa mort. Son intérêt principal réside surtout dans les nombreux passages où l'auteur a continué à noter très fidèlement ses expériences spirituelles. Ces passages constituent, en quelque sorte, le début (perdu) de son Diarium Spirituale. Ils se rapportent aux années 1745 et 1746 alors que le Diarium fut écrit entre 1747 et 1765. La lecture des Adversaria montre que Swedenborg ne s'y est pas encore entièrement affranchi des idées théologiques courantes. Son illustration spirituelle laissait sans doute encore à désirer, bien que son don de « voyance » eût apparemment déjà atteint son complet épanouissement.« La vision dura environ un quart d'heure. Cette nuit même les yeux de mon homme intérieur furent ouverts. Ils furent rendus propres à voir dans les cieux, dans le monde des esprits et dans les enfers. A partir de ce jour, j'abandonnai l'étude des sciences mondaines, pour me consacrer aux choses spirituelles conformément à ce que le Seigneur me commandait d'écrire. » (27) En 1748, il se mit à rédiger son premier ouvrage théologique, les Arcana Coelestia. Les huit volumes, grand inquarto, de cet opus magnum sortirent de pressé entre 1749 et 1756. Swedenborg s'y est, cette fois-ci, entièrement libéré de la théologie traditionnelle et nous expose, verset par verset, le « sens interne » ou « spirituel » des deux premiers livres de Moïse, ainsi que de certaines parties du Nouveau Testament. Toute sa doctrine théologique se trouve déjà dans cette oeuvre fondamentale. En 1758, il publia successivement, à Londres, De Telluribus, De Coelo et Inferno (ex auditis et visis), De Equo Albo in Apocalypsi, De Nova Hierosolyma et De Ultimo Judicio, Cette même année, Swedenborg continua la rédaction d'un volumineux ouvrage, commencé l'année précédente et resté inachevé, Apocalypsis Explicata, dont certains extraits, tels que De Divino Amore, De Divina Sapientia, De Athanasii Symbolo, De Verbo, etc. ont été publiés séparément sous forme de petits traités. En 1759, il écrivit encore divers opuscules, publiés dans ses oeuvres posthumes, entre autres : De Domino, Summaria Expositio Sensus Interni Prophetarum et Psalmorum, un deuxième ouvrage sur le Jugement Dernier, etc. Quatre ans plus tard parurent à Amsterdam quatre petits traités théologiques sur le Seigneur, l'Ecriture Sainte, la Vie et la Foi, ainsi qu'un ouvrage important intitulé Sapientia Angelica de Divino Amore et de Divina Sapientia, et, en 1764, la Sapientia Angelica de Divina Providentia. Au cours des années suivantes, Swedenborg écrivit de nombreux ouvrages dont il ne publia lui-même que les plus importants (à Amsterdam). Ce sont : Apocalypsis Revelata (1766), De Amore Conjugiali (1768), Summaria Expositio Doctrinae Novae Ecclesiae (1769) et De Commercio Animae et Corporis (probablement en réponse à une lettre de Kant), (1769). Enfin, en 1771, parut le dernier ouvrage publié par l'auteur: Vera Christiana Religio. C'est le résumé de toute sa doctrine. Avant de mourir, Swedenborg écrivit encore un Appendice à cet ouvrage, qui fut publié en latin, ainsi que toutes les oeuvres posthumes de l'auteur, par le professeur Immanuel Tafel, et traduit ensuite dans toutes les langues du monde civilisé. Le lecteur qui désire connaître la liste complète et les titres exacts (parfois très longs) de tous les écrits de Swedenborg, fera bien de consulter l'ouvrage monumental de James Hyde : A Bibliography of the Works of Em. Swedenborg, Londres 1906, ou celui de A. Stroh: An abridged chronological List of the Works of E. Swedenborg, Stock. holm 1910. Comme on peut le lire dans le magnifique ouvrage de l'historien suédois Victor Nilsson : La Suède, son peuple et son histoire(28): Ceci prouve qu'on aurait tort de croire que ses écrits religieux ne contiennent que les « rêves d'un visionnaire » ou des divagations plus ou moins mystiques!«Si les ouvrages théologiques de Swedenborg ont d'abord pu discréditer les résultats de ses nombreuses recherches scientifiques, ... sa renommée de grand penseur religieux a ensuite éclipsé celle qu'il s'était si justement acquise comme savant et comme philosophe. » Une personne non avertie pourrait en effet facilement penser qu'après son illumination Swedenborg a perdu les qualités éminentes qui lui ont permis de briller en tant qu'homme de science et que philosophe. Les mystiques ne sont-ils pas portés à faire fi des exigences de la raison et de la logique? Or ce qui frappe tout de suite les lecteurs des oeuvres religieuses du «Prophète du Nord», c'est au contraire l'absence totale et absolue de toute préoccupation mystique d'une part, et, d'autre part, l'existence d'une mentalité scientifique à la fois critique et objective. Du fait de ses visions, Swedenborg n'a, en effet, jamais introduit aucun élément irrationnel ni dans son système métaphysique, ni dans son enseignement moral. Ses visions elles-mêmes se conforment toujours aux exigences de la logique la plus stricte et s'expliquent sans difficulté à la lumière des principes rationnels exposés par l'auteur. Loin d'être les visions d'une âme contemplative, elles portent, au contraire, la marque d'un esprit à la fois observateur et analytique. Aussi est-ce tout à fait à tort, à mon avis, que certains auteurs veulent à tout prix faire passer Swedenborg pour un mystique. Comme l'a très bien vu l'auteur de l'article consacré au mysticisme dans l'Encyclopedia Britannica (Tome 1, p. 53, 14ème édition) : « ... bien que choisi par Emerson comme type du mystique dans les Hommes Représentatifs, Swedenborg appartient plutôt à l'histoire du spiritualisme qu'à celle du mysticisme, tel qu'il est compris dans cet article. Il a le tempérament calme de l'homme de science, plutôt que la ferveur avide de Dieu particulière aux vrais mystiques, et l'élan spéculatif qui est à la base de cette forme de pensée est presque entièrement absent de ses écrits. Ainsi ses récits surnaturels ressemblent-ils davantage à une série de leçons de géographie céleste qu'à une description de visions béatifiques. »La « crise mystique », dont il a été question plus haut, a été tout à fait passagère et n'a pas modifié le tempérament positif qui constitue le fond de la personnalité de ce grand philosophe. On pourrait même affirmer que Swedenborg s'est montré moins « mystique » dans ses écrits religieux que dans certains de ses écrits antérieurs. En effet, avant de jouir de l'« ouverture de ses sens spirituels », il avait cherché à pénétrer les plus hauts mystères spirituels à l'aide des seules intuitions de l'anima. Mais il renonça à ce mode «mystique» de connaissance dès qu'il put disposer de facultés qui lui permirent de substituer l'observation empirique transcendante à la perception purement intuitive des réalités spirituelles. Il n'est jamais venu à l'idée de Swedenborg de recommander à ses lecteurs la pratique d'exercices psychiques capables de les mettre en communication surnaturelle avec la Divinité ou avec l'au-delà. Il eût certainement désapprouvé tous ceux qui, de nos jours, cherchent à développer en eux les pouvoirs occultes de l'âme. En fait d'« exercices spirituels», la lecture de la Parole de Dieu et la prière sont les seuls qu'il conseille. Swedenborg avait d'ailleurs horreur de tout vain mystère et il s'est employé avec persévérance non seulement à en purger la théologie chrétienne, mais encore, et surtout, nos conceptions de l'au-delà. A ce point de vue, il a réalisé une véritable « clarification » qui n'a pas été sans influence sur la pensée religieuse moderne. Le monde spirituel, tel que Swedenborg nous le révèle, n'a rien d'énigmatique. Plutôt que de troubler notre esprit par des descriptions plus ou moins bizarres ou incompréhensibles, le voyant suédois s'est efforcé de nous initier aux lois qui gouvernent le monde suprasensible. Ses récits ex auditis et visis ne font qu'illustrer et corroborer ses conceptions métaphysiques. Ce sont celles-ci qui importent. Devenu voyant, Swedenborg resta philosophe et même naturaliste. A ce propos il est vraiment intéressant de remarquer à quel point ses écrits religieux ressemblent à ses écrits scientifiques. On peut dire qu'ils n'en sont que la prolongation sur le plan spirituel. Comme savant, Swedenborg avait d'abord étudié le monde inorganique, puis la nature organique. Comme voyant, il couronna son oeuvre par l'étude du domaine de l'esprit. Mais sa méthode resta la même. « Experientia, geometria et facultas ratiocinandi étaient à la base du travail de Swedenborg dans le monde de la nature comme dans celui de l'esprit. » (29)Le grand Suédois est le premier penseur qui a soumis le domaine spirituel à la souveraineté de la loi «naturelle», car, à ses yeux, l'Ordre Divin, qui règne à tous les degrés de la création visible et invisible, forme un tout homogène et indivisible. Ceci explique pourquoi nous retrouvons dans les ouvrages théologiques de l'auteur les mêmes principes universels et les mêmes généralités directrices qui nous ont séduits dans ses écrits scientifiques et philosophiques. Ce fait prouve, soit dit en passant, que l'intelligence de Swedenborg n'a subi aucune altération du fait de son illumination. Bien que ses expériences supranormales fassent corps avec son enseignement religieux, il serait erroné de leur attribuer la première place dans son oeuvre théologique. Si Swedenborg ne nous avait laissé qu'un exposé (si philosophique soit-il) de la nature du monde invisible et de ses habitants, il n'eût jamais joué le rôle d'un réformateur religieux et n'eût jamais séduit les grands esprits qui, comme Goethe, Balzac, Carlyle, Coleridge, etc., ont rendu hommage à son génie, sans connaître ses travaux scientifiques. La plupart des admirateurs de Swedenborg ont été impressionnés par l'admirable maîtrise avec laquelle il a su harmoniser la science, la philosophie et la théologie. «Nunc licet intellectualiter intrare in arca fidei» (maintenant il est permis d'entrer intellectuellement dans les mystères de la foi), telle est la devise qui s'inscrit en lettres d'or sur le fronton majestueux de l'édifice théologique conçu par lui. L'homme moderne est invité à comprendre et à raisonner sa foi. Swedenborg lui facilite la besogne. Il a, en effet, supprimé toutes les difficultés d'ordre intellectuel inhérentes à toute interprétation littérale des textes bibliques, en démontrant que la véritable signification et l'essence divine de ces derniers résident, avant tout, dans leur sens plus profond ou spirituel. Le théologien scandinave base son interprétation spirituelle de l'Ecriture sur la science des correspondances qui existent entre le monde spirituel (qui est celui des causes) et le monde naturel (qui est celui des effets). Cette «science des correspondances» lui a permis de lire à livre ouvert non seulement dans la Bible écrite, mais aussi dans la Bible de la Nature. Comme le dit très bien Emerson : «Parmi tous les hommes, Swedenborg est, par excellence, celui qui a su traduire la nature en termes de pensée. »Quant à sa théologie proprement dite, tout entière basée sur l'unique Divinité du Christ, « en qui habite corporellement toute la Plénitude de la Divinité » (Col. II. 9), on peut la caractériser en un mot en disant que Swedenborg a remplacé l'idée traditionnelle d'une relation juridique entre les hommes et Dieu par la conception d'un lien organique ou vital existant entre la créature et son Créateur. De ce fait, les dogmes théologiques du penseur nordique ont en quelque sorte le caractère et la valeur de lois «biologiques». Dans son admirable système, la Chute, la Rédemption, l'Incarnation, le Jugement Dernier et le Retour du Seigneur ressemblent moins aux divers épisodes d'une sorte de Divina Commedia, ou de drame sacré, qu'à des étapes successives dans l'histoire des rapports vitaux qui existent entre Dieu et les hommes. Cette conception «vitaliste» de nos relations avec la Divinité est également à la base de toute la morale swedenborgienne. Tel est l'amour de l'homme, telle est la vie spirituelle qui influe en lui. « Bien agir » a donc plus d'importance que « bien penser». « Omnis religio est vitae et vita eius est facere bonum» (Toute religion appartient à la vie, et la vie de la religion est de faire le bien). Tel est l'adage d'où découlent, comme de leur source, tous les préceptes moraux chez Swedenborg. On pourrait extraire tout un volume de maximes morales et de règles de vie de ses Ecrits. Un tel recueil montrerait que Cette opinion du Comte Hoepken se comprend d'autant plus facilement que pour Swedenborg l'amour du prochain implique nécessairement l'amour de la patrie, de l'humanité et de l'Eglise. Quant à la charité chrétienne, elle consiste essentiellement à exercer fidèlement les devoirs de sa charge dans le désir de se rendre utile à la collectivité. En effet, dès ici-bas, nous participons de la vie du ciel ou de l'enfer, étant donné que le ciel et l'enfer sont avant tout des états spirituels qui dépendent de la nature, bonne ou mauvaise, de nos affections.« en tant que moraliste. Swedenborg est au-dessus de tout éloge».(30) Puisque nous parlons du ciel, ajoutons que le ciel swedenborgien n'a rien d'un « paradis pour nigauds » ou fainéants. C'est un état de vie parfaite où chacun remplit avec joie l'usage pour lequel il est le mieux adapté et où les plus hautes facultés de l'âme sont susceptibles d'un développement indéfini. Quant à l'enfer, ce n'est pas un lieu de punition, mais une forme de vie purement égoïste et contraire au caractère essentiellement altruiste de la Vie qui émane de Dieu. Le mal se charge d'ailleurs de se punir lui-même. Remarquons encore que l'enseignement de Swedenborg favorise toutes les formes et tous les aspects de la vie. C'est ainsi qu'il ne proscrit pas systématiquement telle ou telle catégorie de plaisirs. Pour lui, tous les plaisirs, même ceux des sens, sont bons en eux-mêmes, pourvu qu'ils soient maintenus à leur place véritable et que l'homme ne les recherche pas indépendamment des usages auxquels ils sont légitimement attachés. C'est ainsi que dans son éthique sexuelle Swedenborg se montre à la fois hautement idéaliste et très large d'idées. On peut considérer De Amore Conjugiali comme le plus grandiose poème écrit à la gloire de l'amour spiritualisé ; mais Swedenborg ne rejette pas pour cela l'amour du sexe comme infernal en soi. Il s'agit là d'un instinct naturel que l'homme ne doit pas supprimer, mais spiritualiser et purifier, sous peine de se rendre définitivement inapte au bonheur du ciel, qui est fait d'innocence. En effet, Swedenborg enseigne que l'amour conjugal existe aussi au ciel, où chacun trouve son âme complémentaire. Il fonde sa doctrine de l'éternité de cet amour sur des considérations psychologiques dont il serait difficile de contester la validité, Il n'est pas exagéré de dire que nul, mieux que lui, n'a saisi la véritable nature des différences psychologiques qui existent entre l'homme et la femme. Pour Swedenborg, le sexe appartient a l'âme autant, sinon plus, qu'au corps. Tels sont, esquissés à gros traits, les caractères de la théologie et de la morale swedenborgiennes. Rien, on le voit, n'y ressemble aux élucubrations d'un esprit enthousiaste ou rêveur, et ceci, en dépit du fait que Swedenborg nous présente son enseignement religieux comme étant une révélation. Ceux qui ont senti la puissance spirituelle de sa doctrine sont tout naturellement portés à accepter ses dires, quand il affirme solennellement qu'il a été choisi par le Seigneur pour révéler aux hommes le sens spirituel de la Parole de Dieu. C'est cette révélation, nous dit Swedenborg, qui constitue le Second Avènement du Seigneur, et, en dehors de cet avènement «en esprit», il serait vain d'attendre une nouvelle apparition du Christ en chair et en os. La Nouvelle Jérusalem descendra sur terre quand les coeurs et les esprits auront été transformés par les nouvelles clartés qui se dégagent de la Parole de Dieu enfin comprise dans son sens profond, spirituel et réel. Quant aux principes philosophiques ou métaphysiques qui font corps avec son enseignement théologique, ils sont si nombreux et si importants qu'il faudrait un volume pour les exposer. Leur véritable portée ne semble pas avoir été bien comprise jusqu'ici, sans doute parce que personne n'a encore pris la peine de les isoler de leur contexte théologique et de les présenter systématiquement sous forme d'un corps de doctrines indépendant. Commentant un des points tondamentaux de la métaphysique swedenborgienne devant le International Swedenborg Congress de 1910, le professeur L. F. Hite s'est exprimé comme suit : Nous avons une preuve supplémentaire de cette affirmation dans la part active que Swedenborg prit aux travaux du Parlement suédois :« La doctrine swedenborgienne de l'amour est une nouvelle conception dans l'histoire de la pensée bumaine, philosophiquement, c'est la plus importante de toutes les conceptions fondamentales que l'humanité ait imaginées. » ... « Swedenborg s'est servi de la notion de substance comme de celle de cause dans un sens concret, et de telle façon qu'elles ont spirituellement acquis une signification nouvelle. C'est dans sa doctrine de l'amour que Swedenborg a donné à ces notions cette signification concrète. » (32) Un des meilleurs juges dans ce domaine, le premier ministre Comte Hoepken, déclare qu'« Jusqu'à son âge le plus avancé, écrit un de ses compatriotes, il s'est intéressé à l'administration financière et aux affaires politiques de son pays, et ceci aussi bien pendant les sessions de la Diète suédoise que dans les intervalles qui les séparaient. Un nombre considérable de travaux témoignent de cette activité. » (35) Citons encore quelques témoignages intéressants portés, sur l'oeuvre théologique du grand penseur, par quelques hommes éminents dont l'indépendance ne saurait être mise en doute :« à la Diète de 1761, les mémoires les plus solides et les mieux rédigés, en matière de finances, furent présentés par Swedenborg. » (36) Si l'on envisage maintenant l'ensemble de l'activité de l'illustre Suédois, l'on ne peut faire autrement, à mon avis, que de souscrire au jugement suivant porté sur lui par l'éminent naturaliste anglais Sir Alfred Russel Wallace :«Evidemment Swedenborg résume toutes les religions ou plutôt la seule religion de l'humanité... Sa religion est la seule que puisse admettre un homme supérieur ». (37) Voici maintenant quelques appréciations émanant de personnalités contemporaines :«Swedenborg fut grand comme homme de science, grand comme philosophe et grand comme théologien. Nous avons eu de grands hommes de science, de grands philosophes et de grands théologiens, mais Swedenborg est le seul dans l'histoire du monde qui fut grand dans chacun de ces trois domaines. C'est pourquoi il fut unique. » (45) Terminons cette notice par quelques brefs extraits d'un document publié d'une autorité irrécusable. C'est l'éloge de Swedenborg prononcé dans la grande salle du palais de la Noblesse, à Stockholm, au nom de l'Académie Royale des Sciences, par le chevalier Sandels, membre de cette académie (49) :«...j'ai pu, pour la première fois, vraiment pénétrer à l'intérieur de cet esprit créateur (Swedenborg), et je dois dire ceci : je n'ai encore jamais rencontré une expérience de l'esprit («Geist-Erleben») à ce point authentique, à ce point pénétrée par la pensée et l'intelligence. On a donc le droit de prétendre : Si jamais un voyant fut digne de créance, ce fut celui-ci. Nous en trouvons une preuve supplémentaire dans l'étonnante masse de connaissances non seulement du XIXème, mais aussi du XXe siècle, que Swedenborg a prévues dans le domaine de la Nature extérieure... Tout bien considéré, on peut dire que Swedenborg fut le premier Européen qui sut atteindre ce but : l'accès à la « révélation intégrale »... c'est pourquoi il a pu parler avec puissance et plénitude dans presque tous les domaines. » « Messieurs, dit-il en commençant, permettez-moi de vous entretenir aujourd'hui d'un sujet qui n'est pas de nature abstraite, mais qui doit faire revivre en vous l'agréable souvenir d'un homme célèbre par ses vertus et ses connaissances, d'un des plus anciens membres de cette académie, d'un homme que nous avons tous connu et aimé. » ... « Ce vaste et sublime génie ne connut jamais le repos, ni la fatigue. Occupé des sciences les plus profondes, il fut longtemps engagé dans des recherches sur les secrets de la nature, mais, dans ces dernière années, il appliqua tous ses efforts à dévoiler de plus grands mystères... mais sans jamais s'écarter de la saine morale et de la vraie piété. Doué de capacités d'une puissance vraiment extraordinaire, il parvint, au déclin de son âge, aux plus grandes hauteurs que puisse atteindre l'intelligence humaine... et ses écrits, remarquables par la méthode et l'observation patiente, offrent l'heureuse union chez leur auteur d'une puissante mémoire, d'un vif pouvoir de conception et d'un jugement sain. Ajoutez à cela un excellent coeur, formé par les règles qu'il s'était prescrites pour sa conduite... Il vécut sous le règne de plusieurs souverains, et jouit d'une manière toute particulière de la faveur et de l'amitié de tous. » ... « Swedenborg était content de lui-même et de sa situation. Sa vie fut, sous tous les rapports, une des plus heureuses existences qui ait jamais été le lot d'un homme. Il mourut à Londres dans sa 84ème année, satisfait de son séjour sur la terre et ravi de la perspective de sa métamorphose céleste.» (1) Swedenborg eut le premier l'idée d'un appareil à ailes fixes, mu par une hélice. |