Vitrail Thomas More

 

 

LIVRE II

 

DU

DIALOGUE DU RÉCONFORT

DANS LES TRIBULATIONS

 

 

VINCENT : Vos gens me disent, cher oncle, que depuis ma dernière visite, vous avez goûté un bon repos, Dieu merci !, et que vous vous sentez mieux. Je suis heureux de l'apprendre.

Après notre dernier entretien, je m'en suis voulu d'avoir eu si peu de considération pour votre santé. On m'avait bien assuré qu'elle s'était quelque peu améliorée, autrement jamais je n'aurais voulu vous imposer la fatigue d'une aussi longue discussion. En vous quittant, j'ai pensé à la tension d'esprit que je vous avais imposée, vous forçant à me parler de sujets rébarbatifs et ardus comme la maladie, la misère, l'épreuve, la tribulation. Je m'en suis voulu d'avoir eu aussi peu d'égard pour votre santé. Je ne fus pleinement rassuré qu'en apprenant que vous vous sentiez mieux. J'en remercie le Seigneur, car le moindre accroc serait dangereux, à votre âge.

 

ANTOINE : Non, cher neveu, parler ne me fait pas de mal. Un vieillard un peu fantasque est souvent aussi bavard qu'une femme. Les poètes ont raison de dire que le bonheur des vieillards est de s'asseoir bien confortablement au chaud, avec, à portée de la main, une boisson, une pomme cuite, et de bavarder en buvant et en mangeant !

Notre conversation ne fut en rien déplaisante, elle me fit du bien. Si nous mîmes en commun nos chagrins, nos épreuves, ce fut avant tout pour en tirer consolation et réconfort. Je suis heureux que vous soyez revenu pour achever cette discussion.

 

VINCENT : En vérité, elle me fit grand bien, et tous ces bons conseils que vous m'avez donnés, toutes ces paroles si encourageantes, je les ai répétés autour de moi et j'en ai fait profiter nos amis. Me voici revenu pour continuer, et je suis tout heureux de vous trouver si dispos. Mais, je vous en prie, mon oncle, si, dans la joie que me cause votre conversation, je m'oublie jusqu'à vous imposer de la fatigue, dites-le moi. Et quand vous désirerez me voir prendre congé, renvoyez-moi : je reviendrai à un autre moment.

 

ANTOINE : Après notre entretien, je me sentis, je vous l'avoue, un peu fatigué ; car parler longtemps sans interruption finit, à la longue, par lasser un homme affaibli. Je regrettai d'avoir tant parlé et que notre conversation fût plutôt un long monologue. Nous aurions dû mieux répartir les rôles et faire comme les savants qui exposent leurs idées dans des dialogues entre personnages imaginaires. Mais là, je suis seul coupable.

Entre vous et moi, tout s'est passé comme entre une certaine nonne et son frère. La dame, de haute vertu, était entrée dans un ordre cloîtré, très sévère. Elle y était restée longtemps sans voir son frère, homme également vertueux, qui avait obtenu, dans une université, le titre de docteur en théologie. Quand il revint chez lui, il alla rendre visite à sa sœur, tout heureux de la savoir dame de si grand renom. Elle vint à la grille, comme on dit, c'est-à-dire au parloir et après s'être pieusement salués de part et d'autre comme il est d'usage en ces endroits, ils se touchèrent le bout des doigts, car on ne se serre pas la main à travers une grille. Alors la dame se lança dans un sermon sur la misère du monde, la fragilité de la chair, les ruses du malin, et donna à son frère force bons conseils (quoiqu'à vrai dire un peu longs) sur la prudence à observer pendant la vie, sur la façon de mortifier la chair et de sauver son âme. Après quoi, elle se mit à lui faire des reproches :

— Vraiment, mon frère, je m'étonne que vous, qui avez passé tant de temps à étudier, et êtes si savant en tout ce qui concerne Dieu, ne trouviez rien à me dire, à moi votre sœur ignorante, que vous avez si rarement l'occasion de rencontrer. Je ne doute pas que vous sachiez parler doctement.

— En vérité, ma sœur, avec vous c'est impossible, car vous n'avez cessé de parler pour nous deux.

Je me souviens, mon neveu, que lors de notre dernier entretien je ne vous laissai guère ouvrir la bouche. J'en userai autrement cette fois, et vous parlerez la moitié du temps.

 

VINCENT : Vous m'avez raconté une bien plaisante anecdote, mon cher oncle !

Mais si vous me demandez de parler la moitié du temps, vous ne ressemblez pas à une de vos cousines, je ne vous dis pas laquelle, vous le devinerez. Son mari appréciait énormément la compagnie d'un voisin, à tel point qu'il s'absentait souvent de chez lui. Un jour qu'ils dînaient tous trois, la femme reprocha gaiement au voisin d'attirer son mari loin du foyer conjugal.

— Eh bien ! faites comme moi, madame, il ne s'éloignera jamais de vous.

— Et que faites-vous donc ? dit-elle.

— Eh bien ! voilà : votre mari aime parler et, quand il est avec moi, je le laisse jaser tout son saoul.

— Oh ! dit-elle, je préfère encore qu'il soit en votre compagnie, plutôt que de lui céder chez nous la moitié du temps pour bavarder !...

 

ANTOINE : Ça, neveu, je devine de qui il s'agit. Je voudrais qu'aucune femme ne fût plus bavarde que celle-là !

 

VINCENT : Elle n'est pas seulement pleine de bonne humeur, elle est bonne.

Mais il ne m'a pas semblé parler si peu, au contraire, j'étais confus de vous poser tant de questions que j'aurais parfaitement pu taire, vos réponses me l'ont bien fait comprendre. Mais maintenant, puisque vous m'y invitez, je parlerai sans crainte.