III
DE LA QUATRIÈME TENTATION (SUITE)
Un homme est composé d'un corps et d'une âme. Toute douleur qu'il subit doit nécessairement porter sur l'un ou sur l'autre de ces éléments, soit directement, soit en atteignant ce qui sert au plaisir ou au bien-être de l'un des deux.
Voyons d'abord ce qui concerne l'âme. Aucun mal ne peut l'atteindre dans cette sorte d'épreuve à moins que, dans son attachement immodéré à la chair, elle ne renonce à la foi et ainsi se fasse tort.
Reste le corps, et ces choses extérieures qui servent à le maintenir et à lui procurer du plaisir ainsi qu'à l'âme pendant qu'elle lui est unie.
Pensez que la perte de ces choses est moins importante que celle du corps lui-même. Dites-moi, que peut-il perdre, en quoi peut-il souffrir ?
VINCENT : Il peut perdre de l'argent, un bien meuble, une situation ou encore les terres qu'il a héritées et en priver ainsi lui-même et ses héritiers. Vous savez que comparativement à tel ou tel autre, je ne suis pas fort bien nanti, mais je le suis assez cependant pour que même un gros richard n'accepte pas de gaieté de cur la perspective de se voir dépouillé de biens aussi nombreux que ceux dont je suis pourvu.
C'est la pauvreté et la misère qui suivent la perte de ces biens, le dénuement, la mendicité. Ajoutez à cela la douleur de voir les bons, les fidèles, prisonniers d'une telle misère quand les infidèles, ces mortels ennemis, jouissent des commodités qu'on a perdues.
Pour le corps, je vois l'emprisonnement, une mort pénible et honteuse.
ANTOINE : Il n'en faut pas plus, mon cher neveu, étant donné ce qu'est le monde actuellement. Je crains bien que le quart suffirait à ébranler la foi de bien des chrétiens qui, faute d'avoir été mis à l'épreuve, se croient forts. Je supplie le Seigneur de les laisser dans cette pensée, et de ne pas les mettre à l'épreuve, comme saint Pierre.
Mais, mon cher neveu, comment nous y prendre pour préparer les gens à de telles horreurs ? Si la foi était encore ce qu'elle fut dans l'ancien temps, il suffirait de quelques conseils, de quelques paroles de réconfort. Nous ne serions pas tentés d'atténuer la peine par nos paroles, par nos raisonnements. Dans l'ancien temps, plus atroce était la douleur, plus fervente était la foi. Certes si un chrétien d'aujourd'hui éprouvait un désir aussi ardent que l'avaient ces martyrs de se trouver en présence de Dieu, il n'attacherait pas plus d'importance à la douleur corporelle, condition de cette faveur, que ne le faisaient les martyrs aux temps héroïques. Mais hélas ! si faible est devenue notre foi, si tiède notre amour de Dieu, si vif notre attachement à la chair que nous sommes peu désireux d'aller au ciel et nous avons peur de toute peine corporelle ; notre dévotion en est frappée à mort. C'est pour cela, mon cher neveu, que nous devons tous méditer ces pensées avant que le danger survienne, avant qu'il se précise. Alors la raison réfléchit plus sereinement, et la grâce engendre non pas un désir léger et passager de souffrir, pour l'amour de Dieu, mais une constance ferme et stable, comparable non à un roseau toujours prêt à plier, à un buisson sans racines, qui sera renversé par le premier souffle du vent, mais à un chêne robuste et solidement enraciné.