APPENDICES ET POSTFACE

EXERCICES SPIRITUELS

MAXIMES ET VISION D'AVENIR

 

 

XVI. Les deux principes de la vie spirituelle

 

 

Le traité de la vie spirituelle se termine par quelques appendices indépendants les uns des autres où l'auteur résume sa pensée sous différentes formes que l'on pourrait considérer comme des exercices spirituels. Ici, il ramène la doctrine spirituelle à ses deux principes fondamentaux : se renoncer dans l'humilité et s'unir à la sainte humanité de Notre-Seigneur.

 

* *

*

 

Celui qui veut échapper aux pièges et aux tentations de l'Antéchrist ou du diable, particulièrement à la fin de sa vie, doit exciter deux sentiments dans son cœur.

 

 

Lucidité sur soi-même conditionnée par l'humilité.

Le premier sentiment est de s'estimer comme un cadavre fourmillant de vers et en proie à la pourriture ; un cadavre dont la puanteur excite le dégoût au point que ceux qui l'approchent se bouchent le nez pour ne point sentir et détournent la tête pour ne point voir une telle horreur.

C'est ainsi, mon cher frère, que vous et moi devons chaque jour agir.

Moi plus que vous, car, je le reconnais avec justice, tout mon être, corps et âme, n'est qu'infection. Il n'y a en moi que la lie et la pourriture de mes péchés et de mes iniquités, dont la puanteur et l'infection doivent faire horreur. Chose encore plus fâcheuse : cette corruption se renouvelle et s'accroît chaque jour en moi.

À ce sentiment de sa propre abjection l'âme fidèle doit joindre une confusion profonde en la présence de Dieu qui voit tout et qui la jugera un jour très sévèrement. Elle ne saurait donc ressentir trop de douleur d'avoir offensé Dieu, d'avoir perdu la grâce que le Sang du Christ lui avait acquise sur la Croix et conférée au baptême.

Et cette confusion, qu'elle porte devant elle-même et devant Dieu, elle doit aussi la porter devant tout le monde.

Elle doit s'en pénétrer non seulement devant les anges et les saintes âmes du ciel et de la terre, mais encore devant tous les hommes.

Elle doit par conséquent accepter leur mépris pour ce qu'elle dit ou fait, leur éloignement d'elle pour ne pas la voir et pour ne pas sentir l'odeur de sa corruption, et l'exclusion de leur société comme un cadavre infect ou un lépreux repoussant. Et cela, jusqu'au moment où la grâce de Dieu daignera la visiter et la faire rentrer en elle-même.

Quant à son corps, qu'elle soit bien convaincue que les hommes ne lui feraient aucun tort mais la traiteraient comme elle le mérite, s'ils lui arrachaient les yeux, lui coupaient les mains, le nez, les oreilles, s'ils le torturaient dans tous ses sens et dans tous ses membres : parce qu'elle s'est servie de tout cela pour offenser Dieu, son créateur.

Il faut aussi qu'elle désire d'être abandonnée et méprisée. Qu'elle supporte avec une extrême joie et allégresse et endure patiemment tous les reproches, hontes, diffamations, blâmes et humiliations de toutes sortes.

 

 

Lucidité sur Dieu par l'union à la sainte humanité du Christ.

Il faut en second lieu avoir beaucoup de défiance de soi-même. Avoir le sentiment que toutes nos bonnes œuvres et que toute notre vie passée ne sont rien, pour se tourner entièrement vers Notre-Seigneur Jésus-Christ et se jeter entre les bras de ce divin Sauveur, qui a voulu être pauvre, humble, abreuvé d'insultes et de mépris, et mourir d'une mort très cruelle par amour pour nous.

Mourons donc à tous nos sentiments humains et que Jésus crucifié vive dans notre cœur et dans notre âme. Laissons-nous complètement transformer et transfigurer au point de n'avoir plus d'autre sentiment dans le cœur que le sien, de ne voir, sentir, entendre que Jésus suspendu pour nous à la Croix, suivant en cela l'exemple de la sainte Vierge. De sorte que, morts au monde, nous ne vivions que dans la foi.

Oui, c'est dans la foi que l'âme sera vivante jusqu'au jour de cette résurrection bienheureuse, où le Seigneur comblera de joie spirituelle et des dons de l'Esprit et nous-mêmes et tous ceux en qui doit se renouveler la vie des apôtres et l'état de sainteté de l'Eglise.

Ayez donc soin de vous exercer à la prière, à la méditation et aux saintes affections, pour vous rendre digne des vertus et de la grâce de Dieu.

 

 

XVII. La gymnastique spirituelle

 

 

Il ne suffit pas de posséder /a lucidité sur soi et la lucidité sur Dieu, il faut encore travailler à la maintenir. Or, on ne la maintient que par une gymnastique spirituelle de chaque jour. Ce sera, résumée en quatre points, l'attitude habituelle du chrétien envers Dieu, envers lui-même, envers le prochain, et envers les choses temporelles.

 

* *

*

 

Les dispositions à l'égard de Dieu.

Les sentiments où vous devez vous exercer à l'égard de Dieu se réduisent principalement à sept, qui sont :

1. Un amour très vif et très ardent.

2. Une crainte souveraine.

3. L'honneur et le respect qui Lui sont dus.

4. Un zèle persévérant pour son service.

5. L'action de grâces et la louange.

6. Une obéissance prompte et universelle.

7. Un goût aussi vif que possible des choses du ciel.

Ces dispositions du cœur il faut sans cesse les demander au bon Dieu en disant :

Seigneur Jésus, faites que mon esprit, mon cœur et jusqu'à la moëlle de mes os, soient pénétrés d'amour, de crainte et de respect pour vous ; que je brûle d'un zèle ardent pour votre gloire, de sorte que j'éprouve l'horreur la plus violente contre tous les outrages qu'on a pu vous faire, surtout contre ceux dont j'ai moi-même été la cause ou que d'autres ont faits à mon occasion.

Faites-moi comprendre, qu'étant votre créature, je dois vous adorer humblement comme mon Seigneur et mon souverain Maître, et vous rendre continuellement grâce pour les bienfaits sans nombre que j'ai reçus de votre miséricorde.

Faites que je vous loue et que je vous bénisse toujours et en toutes choses avec un cœur rempli d'allégresse et de jubilation, et que, vous obéissant en toutes choses, je puisse goûter un jour la douceur infinie de votre table, avec les anges et les apôtres, quelque indigne que je sois d'une si grande grâce à cause de mes continuelles ingratitudes.

 

Les dispositions à l'égard de nous-mêmes.

Par rapport à vous-même exercez-vous en sept autres dispositions :

1. Premièrement, vous humilier sans cesse pour vos vices et vos défauts.

2. Deuxièmement, pleurer et déplorer avec une douleur vive et amère les péchés que vous avez commis, parce qu'ils ont offensé Dieu et souillé votre âme.

3. Troisièmement, souhaiter d'être méprisé, humilié et foulé aux pieds de tout le monde comme un objet vil et corrompu.

4. Quatrièmement, macérer sans pitié votre corps et désirer qu'il soit encore plus impitoyablement traité comme une souillure de péché, bien plus comme un égoût, une sentine et un sépulcre où se trouvent amassées toutes les horreurs.

5. Cinquièmement, avoir une haine implacable contre le péché, et contre les sources et les mauvaises inclinations qui le produisent.

6. Sixièmement, veiller énergiquement sur tous vos sens, toutes vos actions et toutes les puissances de votre âme, afin de les tenir toujours prêts et disposés à toute sorte de bien.

7. Septièmement, garder en toutes choses cette parfaite discrétion ou modération, qui sait vous faire observer la juste mesure entre le trop et le trop peu, l'excès et le défaut, le superflu et le nécessaire, de sorte que vous fassiez tout dans la bienséance et dans l'ordre.

 

Les dispositions à l'égard du prochain.

Tâchez aussi de former en vous-même sept autres dispositions à l'égard du prochain :

1. Premièrement, une tendre compassion qui vous fasse ressentir les maux et les incommodités du prochain comme vous ressentez les vôtres.

2. Deuxièmement, une douce joie du bien qui lui arrive comme s'il vous arrivait à vous-même.

3. Troisièmement, le support patient et le cordial pardon des offenses qu'il pourrait vous faire.

4. Quatrièmement, une affabilité pleine de bienveillance pour tous, qui vous fait leur souhaiter tout bien et que vous montrez dans vos actes et dans vos paroles.

5. Cinquièmement, un humble respect par lequel vous préférez les autres à vous-même, que vous honorez et à qui vous vous soumettez de bon cœur comme à vos maîtres.

6. Sixièmement, la paix et l'union avec tout le monde, partageant autant que vous le pouvez et que Dieu le permet l'avis des autres, et voulant ce qu'ils veulent quand c'est juste et raisonnable, de sorte que vous ne fassiez qu'un avec eux.

7. Septièmement, le sacrifice de votre vie pour le salut de vos frères, à l'exemple de Notre-Seigneur. Priez et travaillez jour et nuit à faire aimer Jésus par les hommes et à les rendre dignes d'être aimés de Jésus.

 

N'allez toutefois pas conclure de ce qui précède qu'il ne faut pas éviter et fuir la compagnie des gens vicieux. Au contraire, rien n'est plus dangereux que leur commerce. Chaque fois que la société des méchants et des tièdes peut être un obstacle à votre perfection ou la retarder, vous devez les fuir comme des bêtes dangereuses et venimeuses. Car il n'est point de charbon si incandescent qui ne s'éteigne dans l'eau et ne se refroidisse ; comme aussi il n'en est point de si froid qui ne s'allume au contact d'autres charbons enflammés.

Mais si la compagnie de ces hommes n'offre aucun péril pour vous, détournez simplement les yeux pour ne point voir leurs défauts, ou, si vous ne pouvez vous empêcher de les voir, supportez-les avec compassion comme les vôtres.

 

Les dispositions à l'égard des choses temporelles.

Afin de pouvoir vous conduire d'une manière utile et parfaite à l'égard des choses de l'éternité et des choses du temps, tâchez de regarder celles-ci de quatre façons :

1. D'abord, considérez-vous comme un pèlerin et un étranger, et regardez toutes ces choses comme vous étant étrangères au point que vous n'ayez pas plus d'attachement à vos habits que vous n'en auriez pour ce que possède une personne habitant l'Inde.

2. Ensuite, dans les choses qui servent à la vie, redoutez l'abondance comme un poison, ou comme une mer semée d'écueils prête à vous engloutir.

3. En troisième lieu, aimez dans les choses nécessaires à votre usage personnel éprouver l'indigence et la pauvreté, car c'est l'échelle mystérieuse qui fait monter avec sûreté aux éternelles richesses du paradis.

4. Enfin, fuyez la compagnie, le commerce et le faste des riches et des grands, sans toutefois les mépriser. Mettez votre gloire à fréquenter les pauvres. Que votre joie soit de vous souvenir d'eux, de les voir, de converser avec eux, si dénués de tout et si méprisés qu'ils puissent être, car ils sont l'image du Christ. Dites-vous bien que leur société vaut celle des rois et que c'est pour vous un singulier honneur et une véritable joie de pouvoir les approcher.

 

 

XVIII. Le véritable service de Dieu

 

Les religieux ne sont pas appelés à une perfection autre que celle des chrétiens. On peut être saint dans n'importe quel état de vie. Et dans chaque état de vie des degrés différents de perfection sont possibles, correspondant à ce qu'on appelle communément : la vie de purification initiale, la vie illuminative et la vie unitive. L'échelle de perfection que donne saint Vincent Ferrier doit être pensée dans cette perspective. Nous donnons le texte de saint Vincent Ferrier, et le faisons suivre d'une brève explication, d'une pratique, et d'un renvoi à des chapitres de L'Imitation.

 

* *

*

 

Vie de perfection initiale.

 

1. TEXTE - Quinze perfections sont nécessaires à celui qui veut se consacrer entièrement au service de, Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la vie spirituelle.

La première, une claire et parfaite connaissance de ses propres défauts et manquements.

Explication - La connaissance de soi est une condition préalable à l'humilité. Me demander : qui suis-je ? n'est donc pas une question vaine. Il y a en moi un ami du bien, mais il y a aussi un être d'orgueil, de sensualité, de violence, de paresse, de mensonge, de duplicité, etc. Connaître mes limites et pleurer mes misères, c'est le principe du salut.

Pratique - Les âmes fortes essaient de se connaître pour se conduire. Comment identifier mon âme avec ce qu'il y a en elle de meilleur et de pire ? Par le recueillement, l'examen de conscience, la confession, la correction fraternelle.

« Veille sur toi-même, dit l'Apôtre, et mets-y de la constance. Ce faisant, tu te sauveras ». (I Tim., 4, 16).

Renvoi - Des humbles sentiments qu'il faut avoir de soi-même. Liv. I, ch. 2. De la considération de soi-même. Liv. II, ch. 5.

 

2. TEXTE - La seconde perfection est une ardente et persévérante résistance aux mauvaises inclinations, aux désirs et passions contraires à la raison.

Explication - Nous avons tous notre naturel et nos penchants. Qu'ils pèsent parfois sur nous et nous troublent de leurs sollicitations, n'est pas encore une faute. Servir Dieu, ce n'est pas n'éprouver jamais l'aiguillon de la chair, mais le contrôler ou le dominer.

Pratique - Peu importe mon naturel et le poids de ses penchants. L'homme spirituel peut obtenir la libération sur ce qui l'opprime en eux.

Renvoi - Des moyens d'acquérir la paix et du zèle pour notre avancement. Liv. I, ch. Xl. De la manière de se former à la patience et de la lutte contre les passions. Liv. III, ch. XII.

 

3. TEXTE. - La troisième perfection est une vive crainte des péchés commis depuis qu'on est au monde, parce qu'on ne sait point si l'on a satisfait par une pénitence suffisante ni si l'on est rentré en grâce avec Dieu.

Explication - La profondeur de cette formule ne se comprend que si l'on possède le sens du péché. Une fois Dieu trouvé ou retrouvé par le pardon, celui qui veut être parfait ne cesse de regretter ses fautes. C'est qu'effectivement il a offensé Dieu et reste affolé de ce qu'il a fait.

Pratique - La contrition est un climat du cœur. On le trouve chez les convertis repentants qui sans cesse crient : « Seigneur, vous ne rejetterez point un cœur contrit et humilié ». (Ps. IV)

Renvoi - Il faut marcher devant Dieu dans la vérité et l'humilité. Liv. III, ch. IV.

 

4. TEXTE. - La quatrième perfection est une grande frayeur que notre fragilité ne nous fasse retomber dans les mêmes désordres et peut-être dans de plus graves.

Explication - Il est d'autant plus nécessaire de se remémorer notre fragilité que notre temps paraît l'ignorer tragiquement. Le culte de la jouissance, du bien-être, tend à pourrir les hommes et les expose inévitablement à des désordres irréparables. Le moyen à notre portée pour nous préserver des chutes futures est de nous enraciner dans une sainte et filiale crainte de Dieu.

Pratique - Il y a des petites choses qui sont grandes. On est un homme spirituel quand on sait découvrir cet aspect de grandeur dans des choses en apparence minimes. Quand on tâche d'éviter d'offenser Dieu en de petites choses. La chasse au péché véniel tient de là sa noblesse.

Renvoi - Il faut considérer les secrets jugements de Dieu, afin de ne pas s'enorgueillir de ses bonnes œuvres. Liv. III, ch. XIV.

 

5. TEXTE. - La cinquième perfection est de tenir sous une forte discipline et une sévère surveillance les sens extérieurs, afin que le corps soit soumis à l'âme pour le service de Jésus-Christ.

Explication - La vie parfaite suppose d'incessants renoncements : mortification dans les choses même permises. Les sacrifices consentis surnaturellement assouplissent l'âme.

Pratique - Ne pas donner satisfaction aux désirs de la chair, car les désirs de la chair sont contraires à ceux de l'esprit. « Ceux qui appartiennent au Christ Jésus ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises. Si nous vivons par l'esprit, suivons aussi l'esprit ». (Galates, V, 25).

Renvoi - Du chemin royal de la sainte Croix. Liv. II, ch. XII.

 

6. TEXTE. - La sixième perfection est une grande force et une vaillante patience dans les tentations et les épreuves.

Explication - De temps à autre la souffrance nous touche : un malaise, une adversité, une infirmité, une ruine, un deuil. Quelle grâce, si nous voulons voir Dieu dans l'épreuve !

Pratique - Ne pas se révolter ni crier à l'injustice. « Souffrir est une courte souffrance ; avoir souffert est une longue joie ». (Henri Suzo).

Renvoi - On n'est jamais, en cette vie, à l'abri de la tentation. Liv. III, ch. XXXV. De l'utilité des contrariétés, ibid. ch. XII. De la résistance à la tentation, ibid. ch. XIII.

 

7. TEXTE. - La septième perfection est la fuite courageuse de toute personne et de toute créature qui pourrait être cause ou occasion de péché, ou seulement de quelque imperfection et de quelque affaiblissement dans la vie spirituelle. Évitons ces personnes comme nous fuirions le démon.

Explication - Le monde est « livré à la malice », dit saint Jean, et l'homme spirituel constate chaque jour que les relations humaines distraient si facilement notre cœur de Dieu. Il faut donc éviter les relations qui peuvent diminuer la ferveur de l'esprit.

Pratique - « Le ciel est autour de nous comme l'atmosphère autour de l'enfant au sein de sa mère. Si nous ne l'habitons point, comme le veut l'apôtre, ce n'est pas question de distance, c'est question d'état. Un état d'âme libéré, purifié, surélevé par rapport aux préoccupations terriennes : c'est tout ce qui manque à notre vie selon l'esprit ».(Sertillanges).

Renvoi - Laisser toute créature afin de pouvoir trouver le Créateur. Liv. III, ch. XXXI.

 

 

Accès à la vie illuminative.

 

8. TEXTE. - La huitième perfection est de porter la Croix de Jésus-Christ qui a quatre branches : celle de la mortification des vices, celle de l'abandon des biens temporels, celle du renoncement aux affections charnelles de parents et amis, et finalement celle du mépris et de l'abnégation de soi-même.

Explication - Ces quatre bras doivent détruire les quatre principales causes de l'aveuglement spirituel, à savoir : les passions, l'intérêt, l'affection désordonnée des parents et l'amour-propre déréglé.

Pratique - La pauvreté selon 1'esprit est faite d'un renoncement du cœur.

Renvoi - La grâce de Dieu ne se communique pas à ceux qui ont le goût des choses de la terre. Liv. III, ch. LIII.

 

9. TEXTE. - La neuvième perfection est un souvenir prolongé et permanent des bienfaits reçus de Dieu jusqu'à ce jour.

Explication - Ces bienfaits sont nombreux : biens du corps, biens de l'âme, biens de l'esprit, don de la foi, avertissements providentiels, promesses de bonheur, etc.

Pratique - Vivre en action de grâces. Beaucoup de chrétiens prient pour demander, c'est bien. Mais après avoir tant reçu, ne faudrait-il pas remercier ? Hilarem datorem diligit Deus. Donnons-Lui notre gratitude.

Renvoi - Du souvenir des innombrables bienfaits de Dieu. Liv. III, ch. XXII.

 

10. TEXTE. - La dixième perfection est de persévérer dans la prière jour et nuit.

Explication - La prière c'est le contact avec Celui qui sera notre vie permanente. Cette vie, déjà commencée ici-bas, s'entretient par la prière de tous les instants, que ce soient des prières vocales, des oraisons jaculatoires, des pensées affectueuses.

Pratique - Il est très facile de se tourner vers Dieu et de penser à Lui. Là où est notre pensée, là aussi est notre amour.

Renvoi - Celui qui aime Dieu le goûte en tout et par-dessus tout. Liv. III, ch. XXXIV. De l'amour de la solitude et du silence. Liv. I, ch. XX.

 

 

La voie des parfaits.

 

11. TEXTE. - La onzième perfection consiste à savourer et à désirer continuellement les suavités divines.

Explication - L'âme est arrivée au stade du saint amour de Dieu. Cet amour de Dieu n'est pas une petite chose. Il ne s'agit pas seulement d'avoir des élans d'amour et de pousser des soupirs, mais d'un amour à la fois affectif et effectif.

Pratique - L'amour est le vrai levier des âmes comme l'auteur de l'imitation l'a mis en relief dans :

Renvoi - Des merveilleux effets de l'amour divin. Liv. III, ch. V.

 

12. TEXTE. - La douzième perfection est un insatiable désir d'exalter notre sainte foi, c'est-à-dire de faire connaître, aimer et craindre le Christ Jésus par tous les hommes.

Explication - Celui qui aime Dieu désire spontanément Le voir connu, aimé et servi de tous, afin qu'ils jouissent également des suavités divines.

Pratique - Un zèle ardent et judicieux du salut des âmes.

Renvoi - Avec combien de respect il faut recevoir Jésus-Christ. Liv. IV, ch. I. Tendres et ardents désirs de Le recevoir. Ibid., ch. XVII.

 

13. TEXTE. - La treizième perfection est une miséricordieuse compassion pour le prochain dans tous ses besoins et dans toutes les circonstances.

Explication - Aimer Dieu sans aimer le prochain est un mensonge. L'amour du prochain conserve et fortifie l'amour de Dieu. Tout ce qu'on fait pour le prochain par amour de Dieu, Dieu le regarde comme fait à Lui-même.

Pratique. - Toutes les œuvres de charité matérielle et spirituelle.

Renvoi - Il faut supporter les défauts des autres. Liv. I, ch. XVI. Éviter les jugements téméraires. Ibid., ch. XIV. Des œuvres faites pour un motif de charité. Ibid., ch. XV.

 

14. TEXTE. - La quatorzième perfection est de rendre toujours grâce à Dieu, de Le glorifier en toutes choses, et de louer sans cesse Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Explication - L'ingratitude dessèche le cœur. Nous sommes incomparablement plus redevables à Dieu qu'à nos semblables. La reconnaissance nous élève et nous obtient des grâces encore plus grandes.

Pratique - Imitons la très sainte Mère de Dieu qui, d'après saint Antonin de Florence, avait toujours sur les lèvres ces douces paroles : Deo gratias.

Renvoi - Nous devons nous offrir à Dieu avec tout ce que nous avons et prier pour tous. Liv. IV, ch. IX.

 

15. TEXTE - La quinzième perfection enfin consiste, après avoir fait tout ce qui précède, à être persuadé qu'on n'a fait que bien peu, et à avouer du fond du cœur :

Seigneur Jésus, mon Dieu, je ne suis rien, je ne puis rien, je ne vaux rien. Je vous sers bien mal et je suis un serviteur inutile.

Explication - L'humilité est un grand art. Il élève celui qui le pratique. « Quiconque s'abaisse sera élevé », dit Notre-Seigneur.

Pratique - Ne pas se glorifier du bien qu'on fait, mais tout ramener à Dieu.

Renvoi. - Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de Jésus. Liv. II, ch. XI.

 

 

XIX Les cinq tercets de la vie spirituelle

 

En ce dernier chapitre, saint Vincent Ferrier condense en cinq tercets plusieurs avis utiles. Ce sont des maximes faciles à retenir.

 

* *

*

  La pauvreté.

Il y a trois bases ou parties principales à la pauvreté évangélique pratiquée par les apôtres :

1° Le renoncement effectif et sincère à ses droits, même les plus légitimes.

2° La modération dans l'usage des choses matérielles.

3° L'amour habituel de tout ce que la pauvreté exige dans la pratique.

 

L'abstinence.

L'abstinence se base sur trois points essentiels :

1° Affaiblir et énerver les désirs de la chair et ce que l'Écriture appelle le souci des besoins de la vie.

2° Ne s'inquiéter ni de la quantité ni de la qualité des aliments.

3° User avec sobriété de ce qui nous est présenté.

 

Ce qu'il faut fuir.

Nous devons éviter et fuir avec sain trois choses :

1° Hors de nous : la distraction extérieure qui est inséparable des affaires.

2° Au dedans : tout sentiment d'orgueil et d'ambition.

3° L'attachement excessif et déréglé aux biens de la terre, les sentiments trop humains pour nous-mêmes, pour nos proches ou pour notre Ordre.

 

Ce qu'il faut rechercher.

Nous devons particulièrement rechercher trois choses :

1° Le mépris de nous-mêmes et le désir d'être humilié et publiquement méprisé par les autres.

2° Une tendre compassion pour Jésus crucifié.

3° La disposition à souffrir toutes sortes de persécutions et l'acceptation même du martyre pour l'amour de Jésus-Christ et de la vie évangélique.

 

Voilà trois choses à méditer et à demander à Dieu tout le long du jour par des prières prolongées et accompagnées de gémissements et d'ardents soupirs.

 

Ce qu'il faut méditer.

Il y a trois choses qui doivent être l'objet principal de nos méditations :

1° Jésus-Christ dans son Incarnation, dans sa Passion et dans ses autres mystères.

2° La vie des apôtres et celle des saints qui ont vécu dans notre Ordre avec un vif désir d'imiter leurs vertus.

3° La vie que mèneront plus tard les hommes destinés à la prédication de l'Evangile.

 

 

XX Prophétie sur la venue des hommes apostoliques

 

Saint Vincent Ferrier, à la fin de son traité, prophétise la venue d'hommes apostoliques d'une très grande sainteté. On ignore la teneur exacte de cette prophétie. Elle a néanmoins retenu l'attention d'hommes très zélés et même de saints qui ont cru pouvoir revendiquer la réalisation de cette « perspective » dans leur institut. Une telle affirmation n'a rien de compromettant, et n'engage que leurs auteurs. Il semble toutefois plus prudent de s'en tenir à la judicieuse remarque de saint Vincent de Paul : « Saint Vincent Ferrier, disait-il, s'encourageait en prévoyant qu'il devait venir des prêtres, qui, par la ferveur de leur zèle, embraseraient toute la terre. Si nous ne méritons pas que Dieu nous fasse la grâce d'être ces prêtres, demandons-Lui au moins qu'il nous accorde d'en être les images et les précurseurs ». Rappelons-nous par ailleurs les chapitres de cet ouvrage où l'auteur met le lecteur en garde contre les pieuses illusions.

 

* *

*

 

Évocation d'un temps de prospérité pour l'Église.

Vous devez jour et nuit vous représenter l'état de ces hommes très pauvres, très simples et très doux, oublieux d'eux-mêmes, unis par une ardente charité, n'ayant de pensée, de parole, de goût que pour Jésus-Christ seul, et Jésus-Christ crucifié.

Uniquement préoccupés de la gloire éternelle de Dieu et des élus, y aspirant de tout leur être, soupirant sans cesse vers elle, attendant la mort avec un désir toujours plus ardent, à l'exemple de saint Paul s'écriant : « Je désire mourir pour être avec le Christ ».

Ces hommes auront part aux immenses trésors et aux inépuisables richesses du Ciel. Ils seront envahis et submergés par cette source ineffable de joies, et rassasiés de leur douceur infinie.

C'est pourquoi dans vos méditations il faut vous représenter ces hommes chantant déjà sur la terre le cantique des anges sur la harpe de leur cœur, dans le ravissement de l'extase.

Cette représentation habituelle vous donnera, plus qu'on ne saurait croire, l'ardent désir de voir l'avènement de ces temps heureux.

Vous puiserez dans cette perspective une clarté merveilleuse qui dissipera les nuages du doute et de l'ignorance.

Vous verrez tout dans une pure lumière et discernerez tous les maux de notre époque.

Vous comprendrez la mystérieuse ordonnance de tous les Ordres religieux qui sont nés depuis la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ au monde, ou naîtront dans l'Église jusqu'à la fin des siècles et jusqu'à la consommation de la gloire du Christ, notre Sauveur et souverain Dieu.

Portez toujours dans votre cœur ce Dieu crucifié afin qu'il vous admette un jour à la participation de sa gloire éternelle. AMEN.

 

 

Aux martyrs espagnols.

Voici maintenant deux extraits d'un poème-postface de Paul Claudel, qui vient admirablement compléter le tableau évoqué par saint Vincent Ferrier. Lorsqu'en 1936 commença la guerre fratricide d'Espagne, de nombreux Espagnols se réfugièrent à l'étranger pour éviter la persécution. D'autres, pour s'opposer à ceux qui se disaient eux-mêmes les ennemis de la divinité, confessèrent publiquement leur foi. Ceux-ci obtinrent par milliers la gloire du martyre « avec toute la sainte et glorieuse signification de ce nom ». (Pie XI).

 

Passant, qui tourneras une à une les pages de ce livre sincère, (1)

Lis tout, enregistre dans ton cœur, mais contiens ton épouvante et ta colère !

C'est la même chose, c'est pareil, c'est ce que l'on a fait à nos anciens,

C'est ce qui est arrivé du temps d'Henry VIII, du temps de Néron et de Dioclétien.

Le calice qu'ont bu nos pères, est-ce que nous ne le boirons pas la même chose ?

La couronne d'épines pour eux, pour nous seuls ce sera-t-il une couronne de roses ?

Le sel qu'on nous a mis sur la langue jadis, c'était le goût de ce nouveau baptême !

Est-ce possible, ô mon Dieu, qu'à la fin vous nous laissiez cet honneur suprême

De vous donner, nous aussi, pauvres gens, quelque chose, et d'être présents !

Et de dire que c'est vrai, et que Vous êtes le fils de Dieu avec notre sang !

La merveille que vous existiez, il est vrai, ça ne peut se payer avec autre chose qu'avec du sang !

L'Évangile de Jésus-Christ que j'ai reçu, ça ne pouvait pas être impunément !

Dans ce monde qui ne croit pas, c'est pas vrai que l'on puisse croire impunément !

Ce n'est pas pour notre confort seulement que Tu T'es donné la peine de naître !

 

*

- C'est fait ! l'œuvre est consommée, et la terre par tous ses pores a bu le sang dont elle était altérée.

Le ciel a bu et la messe des cent mille martyrs, toute la terre est profonde à la digérer.

L'assassin en titubant rentre chez lui et il regarde sa main droite avec stupeur,

Le saint a pris solennellement possession de sa part qui est la meilleure.

Tout une fois de plus est consommé et dans le ciel il s'est fait un silence d'une demi-heure.

Et nous aussi, la tête découverte, en silence, ô mon âme, fais silence devant la terre ensemencée !

La terre au fond de son entraille a conçu et déjà le recommencement a commencé.

Le temps du labourage est fini, c'est celui maintenant de la semaille.

Le temps de l'amputation pour l'arbre a fini et c'est le temps maintenant des représailles.

L'idée sous la terre qui a germé, et de toutes parts dans ton cœur, sainte Espagne, la représaille immense de l'amour !

Les pieds dans le pétrole et le sang, je crois en Toi, Seigneur, et en ce jour un jour qui sera Ton jour !

J'étends la main droite vers Toi pour jurer entre l'action de grâces et le carnage.

« Ton corps est véritablement une nourriture et Ton sang véritablement est un breuvage ».

De cette chair qui a été pressée, la Tienne, et de ce sang qui a été répandu,

Pas une parcelle n'a péri, pas une goutte qui ait été perdue,

L'hiver sur nos sillons continue, mais le printemps déjà a fait explosion dans les étoiles !

Et tout ce qui a été versé, les anges respectueusement l'ont recueilli et porté à l'intérieur du Voile !

Paul CLAUDEL.

Branques, 10 mai 1937.

 

 

 

(1) Extrait du beau livre La persécution religieuse en Espagne, de xxx, traduction de Francis de Miomandre. Plon. Paria, 1939.