SAINT AELRED DE RIEVAULX

 

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INTRODUCTION

 

 

Le milieu

 

Lire des écrits d'un autre âge, sans évoquer le milieu et le climat dans lesquels ils ont été composés, serait se priver de les goûter et même se rendre incapable de les comprendre. Personne n'échappe aux idées de son temps. Lire les écrits d'un saint du XII° siècle suppose qu'on parte en pèlerinage dans le temps, comme on part visiter les lieux où il a vécu. Alors que des milliers de visiteurs vont contempler les ruines prestigieuses de l'abbaye de Rievaulx, combien peu songent à ces vestiges encore palpitants de vie que sont les manuscrits qui nous ont transmis les pensées et les paroles de son abbé le plus célèbre, saint Aelred. (1) Mais ces deux genres de pèlerinage demandent un même effort de dépaysement. Il faut quitter un monde d'idées comme on quitte des lieux familiers.

Situer rapidement ces écrits spirituels dans le cadre de la littérature religieuse et profane où ils s'insèrent, n'est pas une entreprise facile. Et cependant, comment faire revivre ces anciens auteurs, si, par un effort d'imagination, dont on est si prodigue quand il s'agit d'un roman, on n'évoque pas la chevalerie, la croisade, les chansons de gestes, les mystères au parvis des cathédrales et les ritournelles des ménestrels dans la grande salle des châteaux ? Saint Aelred nous dit avoir versé des larmes en entendant la légende du roi Arthur. Un fait nouveau impressionna vivement ces jeunes seigneurs qui se faisaient moines entre vingt et trente ans : la naissance de l'« amour courtois ». Ce n'est pas le lieu ici d'en étudier l'origine ou la nature, mais simplement de rappeler combien toute la littérature de cette époque en fut marquée. C'est à ce phénomène qu'il faut attribuer l'intérêt des philosophes et des spirituels du XIIe siècle pour la psychologie de l'amour. Aelred ne dira-t-il pas dans un sermon de Pentecôte : « Ah ! Si les hommes savaient, eux pour qui l'amour est le grand sujet de conversation, s'ils savaient ce qu'est l'amour de Dieu ! » (p. 129). Cependant quelque importante que soit cette influence profane sur l'esprit et le vocabulaire des auteurs monastiques du XIIe siècle, l'empreinte qu'ils reçurent de leur formation religieuse est plus importante et non moins difficile à saisir. Ils parlent et écrivent avec les mots et les phrases de l'Écriture sainte. La Bible était le livre où les enfants apprenaient à lire, les grammairiens y puisaient leurs paradigmes, les sculpteurs et les verriers des églises y cherchaient leurs sujets, les moralistes et les mystiques lui demandaient leurs exemples et leurs images. C'était une langue que tout le monde savait : nobles et paysans, clercs et laïcs. Malgré le retour de notre temps à la connaissance de l'Écriture, cette familiarité avec le texte sacré nous étonne et nous prend quelque peu au dépourvu. Il faudrait aussi retracer les débuts de l'Ordre de Cîteaux dont notre auteur fut un des représentants les plus convaincus. Une courte biographie de saint Aelred y suppléera.

 

(1) « Saint Aelred » : nous employons ce vocable communément reçu, pour nous conformer à la coutume généralisée dans les pays et dans les milieux cisterciens. Mais il est bien indiqué de signaler ici la brillante étude critique du Révérend Père Paul GROSJEAN dans les Analecta Bollandiazza LXXVIII (1960) 124-129, où l'éminent bollandiste démontre, à l'encontre d'une longue tradition, la non-existence de La prétendue canonisation d'Aelred de Rielvaulx par Célestin III.