LA COURSE AU BONHEUR

 

 

Tout homme veut être heureux, c'est le témoignage de la conscience universelle. Cette volonté ne peut être niée. La créature raisonnable n'aura donc de repos qu'elle n'ait trouvé le bonheur. Lamentable aveuglement de l'homme : aspirant de tout son cœur au bonheur, il ne fait rien pour l'atteindre, mais, tout au contraire, il se lance éperdument vers ce qui ne fera qu'accroître son malheur. Il n'agit ainsi, à mon avis, que parce qu'il se laisse séduire par une image trompeuse du bonheur et effrayer par l'aspect de la souffrance. Tout le monde considère la pauvreté, le chagrin, la faim et la soif comme des maux. Ce sont eux pourtant qui nous obtiennent le bonheur éternel et-.nous préservent du vrai malheur. « Heureux vous les pauvres, parce que le royaume des cieux est à vous. Heureux vous qui pleurez, parce que vous serez consolés. Heureux vous qui avez faim maintenant, parce que vous serez rassasiés » (Mt. 5 ; Lc. 6). La pauvreté s'acquiert des richesses qui demeurent, le chagrin se change en joie et la faim en satiété éternelle. Mais le bonheur n'est-il pas l'abondance, la joie, la plénitude ? L'homme livré à ses caprices se laisse tromper par le mirage du plaisir, sa fausse joie s'évanouit avec l'assouvissement de son désir et il ignorera toujours le bonheur que trouve le saint dans ses épreuves et son espérance. Par peur d'un malheur apparent, il se jette dans des plaisirs illusoires qui vont le rendre vraiment malheureux. Il est semblable à un malade qui veut guérir, mais qui, à cause d'une douleur passagère, refuse de se laisser amputer un membre ou cautériser une plaie. Il préfère une douce onction d'huile. Or, dans son cas, ce traitement agréable ne fait qu'aggraver son état. Il ne guérirait qu'en consentant à ce qu'on le brûle ou l'opère.

 

Telle est la misère de l'homme. Il se trompe : il prend pour le bonheur ce qui ne l'est pas. La fascination des choses présentes et leurs joies illusoires se jouent de lui. Il court de lui-même vers son malheur tout en continuant d'être tourmenté par sa soif de bonheur. Il tourne ainsi misérablement dans un cercle vicieux sans pouvoir trouver de repos.

 

L'âme raisonnable n'a que Dieu au-dessus d'elle, elle est égale aux anges et tout le reste lui est inférieur. Dès lors, n'est-ce pas folie pour l'âme de se détourner de ce qui est meilleur qu'elle et de chercher son repos en ce qui lui est inférieur.

 

Merveilleuse créature à quoi t'es-tu abaissée, alors que tu n'avais que le créateur au-dessus de toi ? Tu aimes cette terre, mais tu es plus grande qu'elle. Tu admires le soleil, mais tu es toi-même plus brillante que le soleil. Pourquoi tant de philosophie sur la localisation et le mouvement du ciel, quand tu es plus sublime que le ciel ? Tu cherches les causes de créatures, mais n'es-tu pas toi-même plus mystérieuse ? En doutes-tu, alors que tu juges de toutes ces choses et qu'elles ne peuvent en faire autant à ton égard. Étudie tout cela si tu veux, mais ne te laisse pas séduire et même ne te passionne pas pour ces études. Aime plutôt celui qui t'a mis à la tête de cet univers et ne t'y a pas soumise. L'univers ne t'est pas soumis pour que tu t'en trouves plus heureuse, mais Dieu a voulu être celui qui te donnerait cet honneur, pour qu'en lui tu reconnaisses celui qui fera ton bonheur. Pourquoi t'attacher à des beautés éphémères, quand ta beauté à toi, ni la vieillesse, ni la maladie, ni la mort même ne peuvent la flétrir ? Ce que tu cherches, continue à le chercher, mais ailleurs. Cherche ce qui peut combler ton désir et tu trouveras le repos.