LES PLAISIRS DES SENS

 

 

Nous devons bien mentionner maintenant ce chancre de notre corps : la volupté sensuelle. Nous la passerions volontiers sous silence si nous ne voyions la plupart des hommes si dénués du sens de la dignité humaine qu'ils semblent placer toute leur joie de vivre dans les plaisirs du ventre et de ce qui est sous le ventre. J'en dirai donc un mot afin de dissuader quiconque espérerait trouver dans ces plaisirs le repos de l'esprit. Quelle aberration pour un être raisonnable de limiter son bonheur aux plaisirs du ventre et de ravaler ce qu'il y a de plus élevé dans l'homme à la plus vile partie de son corps ; d'autant plus qu'en agissant ainsi il ne se distingue en rien des animaux les plus grossiers !

 

Ajoutons que si la faim est un tourment, la satiété engendre le dégoût. Satisfaire la volupté, c'est fatalement outrepasser les bornes de ce qui est requis par la nature. Or, dépasser les bornes, c'est inévitablement s'exposer à des souffrances. Enfin, s'adonner aux désirs grossiers de l'impureté et se délecter dans la fange des turpitudes, c'est également se condamner à la honte et à une extrême confusion. On doit rougir de soi sans cesse et c'est le moyen le plus sûr de s'interdire tout repos et toute tranquillité d'esprit.

 

Celui qui est agité par l'esprit impur et tourmenté par les ardeurs de la luxure se condamne au vagabondage du cœur. Ivre de plaisirs, il perd toute retenue. Dès qu'un incendie est éteint, un autre se rallume plus véhément pour un nouvel objet de passion. N'est-ce pas le comble de l'absurdité pour l'esprit de chercher son repos dans ce genre de volupté ? Il n'y a pire châtiment, lisons-nous dans l'Écriture, que d'être condamné par Dieu à se vautrer dans ses passions. « Et mon peuple ne m'a pas écouté, dit le Seigneur, alors je l'ai livré aux désirs de son cœur » (Ps. 80).

 

Quant aux plaisirs des autres sens et à la passion de dominer, il suffit d'écouter Salomon, cet homme qui cherchait la sagesse : « Je me suis dit : je vais me livrer aux plaisirs et je serai heureux. Je me suis bâti des palais, je me suis planté des vignes. Je me suis fait des jardins et des vergers, et j'y ai mis tous les arbres fruitiers. » Il ajoute : « J'ai acquis des serviteurs et des servantes. Je me suis amassé de l'argent et de l'or, le trésor des rois et des provinces. » Parlant ensuite des plaisirs de l'ouïe : « Je me suis procuré chanteurs et chanteuses », et plus loin : « J'ai satisfait tous les désirs de mes yeux, je n'ai refusé aucun plaisir à mon cœur. » Y a-t-il, je vous le demande, plaisirs plus délicats ? Y a-t-il vie plus heureuse ? Mais écoutez ce qui suit, car rien non plus n'est aussi vain : « Et quand j'ai réfléchi sur toutes les actions de mes mains et sur toute la peine que j'y ai prise : Ah ! tout est vanité et poursuite du vent ; et il n'y a pas d'intérêt sous le soleil. » Il avait d'ailleurs déjà dit d'une façon plus générale : « J'ai regardé tout ce qui se fait sous le soleil ; voici : tout est vanité et poursuite du vent » (Eccl. 2).