TRANQUILLITÉ DE L'ORDRE NATUREL

 

 

Pour peu qu'on se donne la peine d'y réfléchir, toute créature, de la première à la dernière, de l'ange le plus élevé jusqu'au plus humble vermisseau, toute créature révèle la bonté de Dieu, qui n'est autre que sa charité. Cette présence substantielle, qui n'est ni locale ni dans le mouvement, contient tout et pénètre tout par son incompréhensible simplicité. Cette présence de la charité de Dieu unit et harmonise la création, joignant les éléments contraires et maintenant le tout dans une certaine paix. Dieu donne la tranquillité de l'ordre à l'univers. Rien ne s'oppose à cet ordre universel, rien ne le trouble, et rien ne détonne dans la beauté de l'ensemble, toute chose repose dans une sorte de tranquillité. Dès que quelque chose s'écarte de l'ordre fixé par la bonté de Dieu, il l'en sépare par sa puissance, mais quelque inquiet et désordonné que cet être devienne, il ne peut cependant pas nuire à la paix de l'ensemble, mais y contribue au contraire, car, par contraste les choses belles deviennent plus belles et les choses bonnes semblent meilleures encore.

 

De là vient que tout être tend à son ordre, cherche son bien et qu'il est inquiet jusqu'à ce qu'il le trouve. Si tu jettes une pierre en l'air, elle retombe au sol, subissant en quelque sorte la force de son propre poids. Puis elle est en repos et ne bouge plus. Si tu verses de l'huile dans un autre liquide, réagissant contre la violence qui lui est faite, elle remonte aussitôt à la surface, et elle y retrouve son repos. Les plantes et les arbustes ne cherchent-ils pas le sol où ils se développeront le mieux : un sol plus dur ou plus meuble, plus gras ou argileux ou sablonneux ? Si on les traite selon l'ordre de leur nature, on peut les planter et les transplanter sans que cela les affecte puisqu'ils continuent à se développer. Tous les corps sont composés de parties, qui sont unies par une sorte de lien : tant qu'ils gardent l'ordre de leur nature, ils reposent en une sorte de paix. Mais dès qu'on porte atteinte à cet ordre, en les transformant, la paix est troublée jusqu'à ce qu'ayant trouvé une nouvelle forme, l'ordre des parties retrouve le repos.

 

Quelle peine ne se donnent pas les êtres animés, privés de raison, pour garder la vie, éviter ce qui leur est nocif, satisfaire leurs appétits. Une fois qu'ils les ont satisfaits, ils sont en repos, n'ayant plus rien à désirer. Privés de raison et de connaissance, ils sont incapables de désirer ce qui dépasse le monde des sens.

 

Toi seule, âme raisonnable, tu as le privilège de pouvoir te dégager du sensible et de tendre vers des choses plus hautes. Tu n'assouviras cependant cet appétit qu'en atteignant ce qu'il y a de plus haut et de meilleur. Cherche donc ce qui ne peut `être dépassé, car ce qui reste en deçà, tout noble et agréable qu'il paraisse, te laissera malheureux. Tu seras malheureux parce qu'insatisfait ; insatisfait parce qu'il te restera toujours quelque chose à désirer : il restera toujours le bonheur lui-même auquel tend l'âme raisonnable sous l'action d'une force inscrite dans sa nature.