Sermon pour la fête des saints Pierre et Paul

 

 

« Comme le cerf désire les sources d'eaux vives, mon âme vous désire, mon Dieu » (Ps. 41, 2). Pierre souffrait de cette soif lorsque, dans la barque avec les apôtres, il vit Jésus marchant sur les eaux et cria comme un cerf assoiffé d'eaux vives : « Seigneur, si c'est vous, commandez-moi d'aller jusqu'à vous sur les eaux » (Mt. 14, 28). Ô soif brûlante et douce, torturante et suave ! Voilà le cerf assoiffé et ardent, les vagues de la mer ne sont pas un obstacle entre lui et la source du salut, et le poids de son corps ne l'empêche pas de s'élancer vers lui. Quoi d'étonnant s'il marche sur les flots, puisqu'il est comme ravi en esprit sous l'impétuosité de son désir et l'impatience de son amour. Il a pu oublier d'une certaine façon qu'il était homme. Qui hésiterait à dire qu'il fût ravi en esprit et que rien n'existait plus pour lui sinon celui vers lequel il s'élançait ? Aussi dès qu'il revint à lui-même et qu'il sentit le poids de son corps sur les vagues, il eut peur. Oh! Quelle n'est pas la force de la charité ! La charité qui a soulevé Paul jusqu'au troisième ciel a pu, contre l'ordre naturel, le faire marcher sur les eaux.

 

« Comme le cerf désire les sources d'eaux vives, mon Ame vous désire mon Dieu ». La même soif à peine supportable le saisit encore quand, après la résurrection, pêchant avec sept disciples, Pierre entendit que Jésus était sur le rivage, il mit son vêtement car il était nu, et se jeta à l'eau, tandis que les autres disciples venaient en barque. Ô admirable Ardeur ! Le disciple que Jésus aimait était là pourtant et ne se lança pas sur les flots. Seul Pierre, comme un cerf brûlant de soif, dévoré d'un feu intérieur, ne Craignant ni les regards ni les flots, ne pense qu'à celui qu'il voit de loin sur la plage.

 

C'est Pierre aussi qui dit des paroles mémorables quand le Seigneur s'enquit auprès des disciples de la façon dont les hommes l'appelaient. Alors que les uns disaient ceci, d'autres cela, le Seigneur demanda : « Mais vous, qui dites-vous que je suis ? » Aussitôt Pierre lança cette parole magnifique : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt. 16, 17).

Mais tandis que nous nous efforçons d'exprimer la ferveur de la charité de nos pères, voici que tacitement notre esprit se demande lequel l'emporta sur les autres en amour de Dieu, Or, nous savons — le Seigneur l'a dit lui-même — que Pierre l'aimait plus que les autres apôtres. Après la pêche que nous venons de rappeler, pendant le repas qui suivit la résurrection et qu'il célébra en un grand sacrement, Jésus dit à Pierre : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » (Joa. 21, 15). Ce qu'il n'aurait pas demandé, remarque mon Augustin, s'il n'avait pas vu dans le cœur de Pierre (Traité sur saint Jean, 123).

 

Et pour couper court à toutes discussions, Jean était présent, lui qu'on aurait pu croire avoir eu plus d'amour puisqu'il était aimé plus que les autres, ainsi que nous savons tous.

 

Seul Paul reste en question. Il n'assistait pas à ce repas puisqu'il ne faisait pas encore partie du nombre des apôtres. Mais qui oserait tirer de ce fait quelque conclusion hâtive ? Admirons-les tous deux, révérons-les, contemplons-les tous deux comme deux séraphins entourant le trône de Dieu. Ne semblent-ils pas crier l'un à l'autre comme deux séraphins brûlant d'amour divin : « Saint, saint, saint le Seigneur Dieu des armées », eux qui jettent les fondements de notre foi avec une admirable alacrité.

 

On peut noter cependant que l'amour de Pierre s'exerce avec plus de tendresse envers l'humanité du Sauveur tandis que Paul est plus soucieux de contempler le mystère de sa divinité. Nous voyons que Pierre supporta mal l'annonce de la passion quand le Seigneur l'insinua. Il était trop heureux de sa présence et ne comprenait pas le mystère de la croix. Pris de peur devant une telle mort réservée à son Seigneur, il s'écria : « Ayez pitié de vous, Seigneur et que cela n'arrive pas » (Mt. 16, 22), tandis que Paul dit comme s'il avait été au paradis : « Même si nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi à présent » (II Cor. 5, 16). Tous deux ont connu et aimé parfaitement la puissance de sa divinité et le mystère de son incarnation, surtout après la glorification de Jésus et la réception de la plénitude de l'Esprit-Saint.

Et pourtant, on peut dire que dans l'affection de Pierre, c'est le lait de la doctrine qui est offert aux enfants et dans l'amour de Paul, la nourriture solide de la contemplation.

 

Si le zèle de Pierre était parfait quand il brandit un glaive, sa charité n'avait pas encore atteint la perfection de la sagesse. Aussi, que va dire celui qui est la source de toute charité et de toute douceur, ou plutôt, la charité et la douceur en personne ? « Remets ton glaive au fourreau » (Joa. 18, 11). On parle bien du glaive de la charité et du fer de l'amour, mais on considère alors le cœur qui en est blessé, non le sentiment de celui qui s'en sert pour frapper. Aussi Jésus dit à Pierre qui n'avait pas encore l'art de corriger mais seulement le zèle de la vengeance : « Remets ton glaive au fourreau ». Et cependant, il faut louer l'ardeur de Pierre, mes frères, et admirer son dévouement au Seigneur. Un immense amour avait saisi son esprit et l'avait animé contre les persécuteurs du Christ. Mais Pierre, t'imagines-tu pouvoir résister avec ton glaive à toute cette troupe armée qui accompagne le traître ? Comme a dit quelqu'un : « Un amour impatient n'estime pas que la difficulté soit une excuse et ne se résigne pas devant l'impossibilité (1)» Le propre de la charité qui châtie, c'est de ne pas cesser les bienfaits de sa bonté à celui qu'elle cesse de corriger par désespoir de le voir s'amender. Aussi Jésus fait-il preuve de clémence envers ce serviteur qu'il trouve incorrigible. Et l'oreille que le glaive de la charité a coupée, la main de la charité le restitue. Paul fut l'insigne imitateur de cet exemple quand, aux Juifs qui le persécutent, le frappent, le lapident, il s'efforce de rendre service par la prière puisque la correction est inutile. « Frères, dit-il, l'élan de mon cœur et ma prière à Dieu pour eux, c'est qu'ils soient sauvés » et voici plus admirable encore : il leur fournit une excuse : « car je leur rends témoignage, ils ont du zèle pour Dieu mais mal éclairé » (Rom. 10, 1-2).

 

Ame plus sublime que le ciel, plus brillante que le soleil, âme de feu ! Ne peut-on dire que ce cœur est le lieu de la bonté, la demeure de la miséricorde et le siège de la charité ? Siégeant en lui comme en un tribunal, la charité use du corps de Paul comme d'un instrument et la voix de Paul est devenue son organe. Ce n'était plus Paul qui agissait en Paul, car de même que nous appelons Dieu ce qui participe de Dieu, ainsi, par sa participation à la charité, le vrai nom de Paul est « charité ».

 

 

(1) PASCHASE RADBERT. Cette phrase se lisait à l'office des Vigiles de la fête de l'Assomption. Ce sermon était attribué à saint Jérôme, Patrologie latine, 30, col. 141.