Sermon pour la fête de saint Benoit (suite)

 

LES PLAISIRS DU DIABLE

 

 

« Il habitait la terre du Sud ». Loin de l'Aquilon, donc, où est Satan, dans les neiges et le froid. « Je placerai mon trône à l'Aquilon, dit ce premier prévaricateur, et je serai semblable au Très-Haut » (Is. 14, 14). La vie dans le Nord est une vie perdue, sans lumière de la vérité, sans chaleur de la charité, le vent de la vanité y souffle, la froideur et le mal y règnent. Où le mal surabonde, la charité se refroidit. C'est là que Satan a placé son trône, lui, le roi des orgueilleux. « Je placerai mon trône à l'Aquilon et je serai semblable au Très-Haut ». Ce roi tient sa cour dans les cœurs des réprouvés et il y trouve ses appartements. Il a son réfectoire où prendre ses repas : l'envie ; son promenoir où se détendre : la colère ; un dortoir pour se reposer : la luxure ; et il ne lui manque même pas une chaire du haut de laquelle prononcer ses jugements : l'orgueil.

 

Croyez-moi, mes frères, rien ne repaît mieux le démon que l'envie ; c'est la nourriture qu'il prend avec le plus de plaisir. Regardez le visage blême de l'envieux, son front baissé, les yeux renfoncés, les lèvres serrées. Sa peau adhère à ses os, sa langue à son palais, toute sa sensibilité est comme engourdie, il n'a plus ni chair, ni sang. Quelqu'un en lui le dévore, s'enivre de sa bile, et s'engraisse de ses chairs. Malheureuse âme devenue nourriture de Satan ! Prenez garde, mes frères, prenez garde à cette peste qui accapare l'homme et le livre à Satan au point qu'il ne s'appartienne plus et ne puisse plus se donner ni aux autres, ni à Dieu. Croyez-moi, mes frères, rien n'enlève les joies de cette vie comme l'envie. Rien ne détruit plus radicalement l'espérance du bonheur et toutes les vertus. Comment un esprit envieux, plein d'amertume et de sombres desseins, pourrait-il sentir encore l'ardeur de la charité et être éclairé de la lumière de la science ?

Nous avons dit que l'endroit où le démon se détendait était la colère. N'en est-il pas ainsi ? Regardez un homme en colère, n'est-il pas devenu comme fou ? Ses yeux lancent des éclairs, il roule les épaules, sa tête tient à peine à son cou et ses bras vont se détacher de ses épaules, il sèche et grince des dents. Comme le diable doit s'amuser, car il se détend en chaque membre comme dans les allées d'un promenoir ! Des signes de la mauvaise joie qu'il éprouve transparaissent dans les gestes, les yeux et sur la langue de l'homme en colère.

 

Nous trouvons maintenant dans le Livre de Job, une description de l'endroit où Satan se repose : « Il dort à l'ombre, dans le secret des roseaux, dans les marécages » (Jb 40, 21). Description adéquate du libidineux qui cherche les endroits cachés et désire les humeurs provoquant la luxure.

Enfin, l'orgueil est le lieu où Satan siège en juge. Les quatre pieds de son trône sont la mauvaise volonté qui se plaît au mal ; la malice de l'esprit qui fait le mal ; l'effronterie qui ne craint plus rien, enfin, l'impudence qui supprime toute pudeur. Et Satan siège sur ce trône à l'Aquilon, c'est-à-dire dans l'âme dont la charité s'est refroidie, où le vent souffle et la tempête fait rage.

 

Heureuse l'âme qui a quitté l'Aquilon et habite avec Isaac, la terre du Sud. Une brise légère y souffle, le soleil la réchauffe, il n'y reste rien des tempêtes de l'hiver. Cette âme au souvenir de ces misères et dans la joie tranquille dont elle jouit s'écrie alors : « Voilà l'hiver passé, c'en est fini des pluies, elles ont disparu, des fleurs ont apparu sur notre terre » (Ct. 2,11).

 

« Des fleurs ont apparu sur notre terre », c'est-à-dire dans ce champ, où Isaac sortit pour méditer à la tombée du jour.