SERMONS

 

Extraits

 

 

La vivacité de l’esprit de saint Aelred ne se manifesta nulle part avec autant de spontanéité et de verve que dans les sermons liturgiques donnés à ses moines. Réunions de famille, l'Abbé pouvait y dispenser un enseignement spirituel ou moral suivi. L'auditoire était d'autant plus avide de cet enseignement qu'il était rare dans cette vie silencieuse, en un temps où les livres étaient peu nombreux.

La Bible tient dans cet enseignement une place de premier plan. Le sermon n'est qu'une longue réflexion sur des textes scripturaires, dont on s'efforce d'épuiser toutes les suggestions qu'offrent les mots et les images. Le prédicateur mémorise une chaîne de textes et les commente en utilisant le procédé classique des sens multiples de l'Écriture : historique, allégorique, moral et eschatologique. Il passe de l'un à l'autre ou s'attarde à l'un d'entre eux, le plus souvent au sens moral, qui avait la faveur des moines en raison de son caractère pratique, proche de la vie quotidienne. Ce canevas de textes pourra être réutilisé devant un auditoire différent ou à des intervalles assez longs. On possède ainsi dans le sermonnaire d'Aelred plusieurs passages et même des sermons entiers, où les textes bibliques se suivent de façon identique, tandis que le commentaire varie légèrement. L'auditoire connaissait beaucoup mieux la Bible que même les spécialistes ne la connaissent de nos jours. Ses réactions étaient d'autant plus vives que l'interprétation de l'orateur était subtile et inattendue. Cette interprétation allégorique, qu'Origène avait mise en honneur dans l'enseignement catéchétique et la réflexion théologique, secondait admirablement l'effort de pensée. Elle donnait au sermon un style et une méthode ; elle invitait à des rapprochements qui ne manquaient pas de poésie ; elle stimulait la recherche qui n’aboutit souvent rien que par le jeu des mots et des images à des approfondissements remarquables. Il faut se laisser aller à ce jeu de mots et de comparaisons, qui donnent corps à la pensée, et entrer dans la mentalité du temps, si l'on ne veut pas se laisser rebuter par ces audaces exégétiques.

 

Il y a cependant là plus qu'une méthode pratique de prédication. La Bible est le livre de la Parole que Dieu adresse aux hommes, à tout homme. Cette Parole divine n'est pas lettre morte ; elle requiert de la part de l'homme un effort d'assimilation pour que dans son esprit se forme une réponse. L'outil dont le moyen âge s'est servi pour ce travail de compréhension, lut la réflexion sur les quatre sens de l'Écriture. Cette méthode d'exégèse est aujourd'hui tombée en désuétude. Si l'homme moderne est plus capable d'atteindre le sens littéral grâce aux méthodes scientifiques, il ne peut se dispenser d'un travail d'assimilation personnel. Si l'ancienne manière n'a plus sa confiance, il n'en reste pas moins qu'elle fut féconde et, en quelque manière, suffisante pour la vie religieuse des âmes d'une époque sans doute plus religieuse que la nôtre.

 

Dans la Bible, les cisterciens cherchaient surtout la description d'expériences religieuses. Ils se plaisaient à y retrouver leurs propres états d'âme et les étapes de leurs progrès inférieurs. Ceux qui approchèrent Jésus durant sa vie terrestre devenaient ainsi des exemples pour ceux qui cherchent à s'en approcher en esprit. De toutes les expériences spirituelles, la plus inexprimable est celle de l'amour. C'est aussi celle que les cisterciens se sont attachés à mettre en valeur dans leur théologie mystique. Les mots, les personnages, les scènes et les images bibliques et surtout évangéliques qui expriment l'amour sont utilisés pour tracer l'itinéraire spirituel de l'âme en quête du Verbe.

 

Le sermon pour la Présentation, décrivant successivement les progrès d'un amour humain et les sentiments de saint Siméon dans son attente du Messie, est tout à fait caractéristique du procédé que nous venons de décrire. Quiconque se sera un peu familiarisé avec la doctrine d'Aelred sur la charité dans ses grands traités, retrouvera sans peine, dans ce sermon, les principes et les expériences qui jalonnent la montée de l'âme, telle que la conçoit notre auteur. La façon dont Siméon se sert des mots mêmes de lob pour repousser ses consolateurs importuns, est significative de cette conviction qu'ont nos auteurs, de l'analogie des expériences religieuses à travers toute la Bible et toute l'histoire chrétienne.

 

Le sermon d'Avent et le sermon pour la fête de Saint Benoît offrent des exemples d'exégèse spirituelle autour d'un texte. Le premier avec ses six ailes de la charité et le second avec son amusant commentaire moral, sont des réussites brillantes qui durent plaire aux moines de Rievaulx.

Les trois sermons pour la Pentecôte développent le thème de l'image divine dans l'âme. Il est très caractéristique que dans chacun de ces sermons, la charité opère la restauration de l'image divine déformée par le péché. Le sermon d'Avent esquisse la même doctrine, la plus importante sans doute de renseignement cistercien.

Les extraits des sermons pour la fête des Saints Pierre et Paul cherchent également à cerner le mystère de l'amour en comparant la charité de saint Pierre, saint Paul et saint Jean.

Tous ces sermons, sauf celui pour l'Assomption et la page consacrée à saint Paul, ont été publiés pour la première fois en 1950 par C.H. Talbot (voir bibliographie). Ils datent vraisemblablement des dernières années de la vie d'Aelred.