QU'EST-CE QUE L'AMITIÉ ?

 

 

« L'amitié, dit Cicéron, est un accord sur les choses humaines et divines, accompagné de bienveillance » (CICÉRON, De l'amitié, 20). « Amitié vient d'ami et ami vient d'amour » (Cic. 26). Or, l'amour est un mouvement de l'âme raisonnable qui la pousse à désirer, à chercher et à posséder quelque chose pour en jouir. C'est encore par l'amour que l'âme jouit intimement de ce bien et le garde. Un ami est donc. un gardien de l'amour, ou, comme certains préfèrent, un gardien de l'âme. Pour être le gardien d'un  amour mutuel ou le gardien de mon âme, il faut garder  fidèlement ses secrets et tolérer ou corriger au miëùx ses imperfections. L'ami fait cela. Il partage mes joies et mes peines, il sait que tout ce que je possède est à lui. L'amitié réalise cette union des esprits qui ne font  désormais plus qu'un dans l'amour. C'est pourquoi les philosophes païens eux-mêmes l'ont distinguée des choses hasardeuses et précaires, pour la ranger au nombre des vertus éternelles. Et Salomon semble bien d'accord avec eux, quand il dit : « L'ami aime toujours » (Prov. 17, 17). Il n'a donc jamais été un véritable ami, celui qui a pu blesser quelqu'un après l'avoir admis dans son amitié ; et d'autre part, il n'a jamais connu les vraies joies de l'amitié, celui qui ayant aimé, cesse d'aimer parce qu'il se sent blessé. « Un ami aime toujours ». Même combattu, blessé, livré aux flammes, même cloué à la croix : « Un ami aime toujours ». Comme l'a dit notre Jérôme : « L'amitié qui peut finir, ne fut jamais véritable amitié » (Lettre 3, 6).

 

Si l'amitié exige une telle perfection, quoi d'étonnant si l'antiquité ne nous a conservé que quelques noms de vrais amis ; au dire de Cicéron, c'est à peine si l'on a gardé le souvenir de trois ou quatre paires d'amis célèbres. Si dans nos temps chrétiens, l'amitié est aussi rare qu'au cours de tant de siècles passés, nos efforts pour acquérir cette vertu me semblent vains. Mais comme a dit quelqu'un : « C'est déjà une grande chose que de tenter de grandes choses ». Une âme vertueuse a toujours de hautes visées et recherche les choses difficiles. De deux choses l'une ; ou elle obtient ce qu'elle veut, ou elle se rend compte avec plus de netteté du but à atteindre. Et ce n'est pas un mince avancement de se rendre compte, par une meilleure connaissance de la vertu, de la distance qui nous en sépare. Le chrétien d'ailleurs ne peut jamais désespérer d'acquérir une vertu. Il a la parole de Dieu : « Demandez et vous recevrez » (Mt. 7, 7). Les vrais amis furent rares parmi les païens parce qu'ils ne connaissaient pas le Seigneur qui donne les vertus. « Le Seigneur des vertus, c'est lui le roi de gloire » (Ps. 23, 10). Parmi les croyants, ce n'est pas de trois ou quatre amis qu'il faut parler, mais de milliers. Les païens regardent l'amitié d'Oreste et de Pylade comme un phénomène exceptionnel, mais c'est par milliers que des chrétiens étaient prêts à mourir les uns pour les autres. Ne répondaient-ils pas admirablement à la définition de Cicéron, ceux dont il est écrit : « La multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme, personne ne s'appropriait rien, mais ils avaient tout en commun » (Act. 4,32) ? L'accord entre eux sur les choses divines et humaines, accompagné de charité et de bienveillance, avait atteint sa perfection. Que de martyrs n'épargnèrent ni leurs biens, ni leurs peines, affrontèrent même la torture et donnèrent leur vie pour leurs frères. « Personne n'a de plus grand amour, dit le Seigneur, que celui qui donne sa vie pour ses amis » (Joa. 15, 13).