TROIS SORTES DE BAISERS

 

 

Considérons la nature du baiser charnel pour nous élever ensuite de la chair à l'esprit, de l'humain au divin. L'homme a besoin pour vivre de nourriture et d'air. S'il est possible de se passer pour quelque temps de nourriture, il est impossible de subsister sans air, ne fût-ce qu'une heure. Pour vivre, nous aspirons et expirons l'air par la bouche. Cet air, c'est le souffle ou encore l'esprit. Dans un baiser donc, deux esprits se rencontrent, se mêlent et s'unissent ; ce qui produit chez ceux qui s'embrassent un certain plaisir qui les fait s'aimer.

Il y a trois sortes de baisers : corporel, spirituel et intellectuel. Le baiser corporel se donne par l'impression des lèvres, le baiser spirituel par l'union des esprits, le baiser intellectuel est donné par l'esprit de Dieu, c'est une grâce.

 

Le baiser des lèvres ne doit être donné et reçu que pour de vraies raisons et des motifs honnêtes. Par exemple, en signe de réconciliation de deux ennemis ; en signe de paix, comme ceux qui vont communier se le donnent à l'église, témoignant par là de leur paix intérieure ; en signe d'affection, comme entre époux ou entre amis qui se revoient après une longue absence ; en signe de l'unité catholique, comme lorsqu'on accueille un hôte. On peut en abuser comme de toute bonne chose. L'eau, le feu, la nourriture et l'air sont pour certains des instruments de leur cruauté ou de leur débauche. De même du baiser qui est un bien donné par la loi naturelle pour manifester les sentiments dont nous avons parlé. Certains en abusent pour en agrémenter leurs forfaits. Ils en corrompent honteusement la dignité : s'embrasser ainsi c'est déjà l'adultère. Quiconque est honnête doit reconnaître que c'est une chose détestable, abominable, à fuir et à combattre.

 

Le baiser spirituel est le privilège des amis, de ceux qui obéissent à une même loi d'amitié. Il ne se donne pas par un contact des lèvres, mais par un élan dû cœur, par une intime union des esprits. Tout y est rendu chaste par l'Esprit de Dieu, car il y est présent et lui donne la valeur des choses célestes. Rien, n'empêche, me semble-t-il, d'y voir un baiser du Christ ; non de sa propre bouche, mais communiqué par l'intermédiaire de l'ami. Car c'est le Christ qui inspire ce très saint amour à ceux qui s'aiment. Il leur fait dire avec le prophète, tant il leur semble n'être plus qu'une âme en plusieurs corps : « Comme il est bon, quel bonheur pour des frères de demeurer unis » (Ps. 132, 1).

 

L'âme qui a appris à reconnaître ce baiser et qui ne doute plus que toute la douceur n'en vienne du Christ, réfléchit et se dit : « Oh ! s'il venait lui-même ! ». Elle soupire vers le baiser intellectuel et s'écrie dans l'ardeur de son désir : « Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche ! » Toutes mes affections terrestres calmées, toutes mes pensées et mes désirs de ce monde oubliés dans le baiser de l'unique amour du Christ, je me reposerai dans son étreinte et je dirai alors au comble de ma joie : « Sa gauche est sous ma tête et sa droite me tiendra embrassée » (Cant. 2, 6).