LA MISE A L'ÉPREUVE

 

 

Quatre choses sont à éprouver chez un ami : la fidélité, une intention droite, un bon jugement, la patience. La fidélité te permettra de t'ouvrir à lui en toute sécurité. L'intention droite ne doit avoir que Dieu en vue et le bien même de l'amitié. Un bon jugement fera agir à bon escient, en temps et lieux opportuns. Il faut savoir ce qu'il faut donner ou demander à un ami, ce qui le contriste ou lui fait plaisir, et en matière de correction, savoir choisir le temps, le lieu et la manière. Sa patience doit être éprouvée également, car il ne faut pas qu'il se plaigne s'il est repris, ni qu'il prenne de haut celui qui lui fait une remarque ; enfin, il lui faut savoir supporter des ennuis pour son ami.

 

En amitié, rien n'est plus beau que la fidélité. C'en est comme la nourrice et la gardienne. Elle reste égale dans le bonheur ou le malheur, la joie ou la tristesse. Elle regarde d'un même œil l'humble situation ou les honneurs, la pauvreté ou la richesse, la santé ou la maladie. La fidélité, cachée dans la prospérité, se révèle dans les épreuves de la vie. « Un ami fait ses preuves dans le malheur », a-t-on dit. Le riche qui a beaucoup d'amis, verra s'il a de vrais amis, quand il tombera dans la pauvreté. « L'ami aime toujours et le frère se montre dans le malheur » (Prov. 17, 17) dit Salomon. Et ailleurs, comme un reproche adressé à l'ami infidèle : « Dent gâtée, pied boiteux, tel est celui qui compte sur un ami infidèle au jour du malheur » (Prov. 25, 19). Des secrets intimes ne doivent pas être confiés aux amis qui ont encore besoin d'être éprouvés. On doit commencer par leur confier des choses sans grande importance et dont il n'y ait pas lieu de se soucier si elles sont dévoilées ou non, mais il faut le faire de telle manière qu'ils aient l'impression qu'il est très important de garder un secret absolu. S'ils sont trouvés fidèles, il ne faut pas hésiter alors à leur confier des choses plus importantes.

 

Nous avons dit aussi qu'il fallait éprouver l'intention. Il en est qui n'apprécient dans les choses humaines que le profit temporel. Ceux-là aiment leurs amis comme ils aimeraient leurs bœufs, c'est-à-dire pour le profit qu'ils peuvent en tirer. Voici comment juger de l'intention : si tu vois celui que tu veux choisir pour ami plus soucieux de tes biens que de ta personne, s'il cherche toujours ce qu'il pourra gagner grâce à ton intervention : honneurs, gloire, richesses, liberté, tu pénétreras aisément son intention le jour où tu ne pourras pas lui donner ce qu'il convoite ou que tu l'accorderas à quelqu'un de plus méritant.

Voyons maintenant la question du jugement. Certains, qu'il faut taxer de malice ou même d'impudence, cherchent un ami qui posséderait toutes les qualités dont ils sont eux-mêmes dépourvus. Les mêmes s'impatienteront des moindres transgressions de leur ami et leur en feront de sévères remontrances. Ils manquent tout autant de jugement quand, leur passant des choses plus importantes, ils se fâchent pour des vétilles. Manque de jugement encore que de proclamer ou de cacher n'importe quoi à n'importe qui, sans le moindre souci de temps ou de lieux. Fais en sorte que ton ami ait du jugement, car s'il manque de réflexion ou de prudence, tu t'exposes à de continuelles disputes et à des querelles sans fin.

 

La patience de celui que tu cherches pour ami trouvera de nombreuses occasions d'être mise à l'épreuve, puisqu'il faut nécessairement châtier ceux qu'on aime. Mais il n'est pas mauvais de provoquer parfois ces occasions et de les rendre un peu pénibles, pour exercer et éprouver la constance de son futur ami.

Il faut se garder en tout ceci d'une certaine précipitation. L'amour anticipe volontiers le jugement et se passe facilement de l'épreuve du temps. Un homme fort refrène cet élan et règle le progrès de sa sympathie. Il n'avance que pas à pas jusqu'à ce que l'épreuve étant concluante, il se donne et se livre alors sans plus d'hésitation.