CHAPITRE XVI
La Constance
1. Il y a la constance véritable et parfaite, lorsque rien ne peut détourner l'homme de la perfection, ni le bonheur, ni l'adversité. Tel était Job : « Jusqu'à mon dernier soupir, je ne m'écarterai pas de mon innocence et je n'abandonnerai pas ma sanctification que j'ai entreprise » (Job, ch. 2s7, v. 5 et 6 . Rien non plus, ni les menaces ni les flatteries ne l'amèneraient à transgresser ses vux ou les commandements. Ainsi les sept frères (on en parle au IIe livre des Macchabées, ch. 7, v. 4 et suiv.) auxquels on avait coupé la langue, la peau de la tête, avec les extrémités des pieds et des mains, et qu'on brûlait vifs dans des chaudières bouillantes, furent constants à observer la loi du Seigneur. Et Eléazar aima mieux mourir plutôt que de faire semblant de manger des viandes défendues (ch. 6, v. 23).
2. Il a la constance véritable, celui qui ne cesse jamais de louer Dieu (1), selon cette parole du Psalmiste : « Je veux bénir le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours dans ma bouche » (Ps. 33, v. 2), et il brûle toujours du désir ardent de progresser. « Personne n'est tellement parfait et saint parmi nous, affirme le pape saint Léon le Grand, qu'il ne puisse être plus saint et plus parfait encore », et « on s'expose au danger de reculer dès qu'on abandonne le désir d'avancer » (2).
3. Nous devons être poussés à la véritable constance par celle des martyrs, et spécialement des vierges, qui, dans la faiblesse de leur sexe, ont mérité par la constance une gloire éternelle. Mais ce qui doit nous exciter davantage à la constance, c'est l'obstination des juifs et des hérétiques, et l'audacieuse persévérance des méchants dans leur malice ; les uns et les autres n'ont, cependant, en retour de leur perfidie et de leur opiniâtreté dans le mal, que le remords accablant de la conscience en ce monde, et dans l'autre ils ne peuvent s'attendre, pour l'âme et pour le corps, qu'aux châtiments les plus terribles.
4. Une preuve de la véritable constance, c'est de ne point se relâcher en tout ce qui plaît à Dieu, malgré les menaces de mort ou la perte des richesses. Par exemple, Tobie n'hésita pas à continuer d'ensevelir les morts, contre la défense du roi Sennachérib, qui lui avait enlevé tous ses biens et avait même ordonné de le faire mourir (Tobie, ch. 1, v, 22). Daniel, non plus, ne cessait de prier (Dan., ch. 6, v. 10). Et les apôtres, après la résurrection du Christ, ne manquèrent pas de prêcher le nom de Jésus, malgré les supplices et la menace de mort : « Jugez vous-mêmes, disaient saint Pierre et saint Jean à ceux qui s'opposaient à leur prédication, jugez s'il est juste devant Dieu de vous obéir plutôt qu'à Dieu » (Actes, ch. 4, v. 19). « On doit obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes », déclaraient saint Pierre et les autres apôtres (ch. 5, v. 29).
5. S'écarter du chemin de la justice à cause de la faveur des hommes ou pour un gain quelconque, c'est une preuve d'inconstance. Ainsi Balaam, pour l'amitié de Balac et ses présents, consentit à maudire le peuple d'Israël, contre l'ordre du Seigneur (Nombres, ch. 22, v. 17 et 18). Ou encore, ce jeune homme, par crainte de perdre ses richesses, s'éloigna, tout triste, du Seigneur Jésus qui lui conseillait la perfection... parce qu'il avait de grands biens, et il les aimait (Matt., ch. 19, v. 22). Les apôtres, pour éviter la mort, abandonnèrent leur cher Seigneur, et prirent tous la fuite (ch. 26, v. 56). An contraire, Mathathias, plein de mépris pour les honneurs et les présents que lui promettaient les envoyés du roi Antiochus, laissa tout ce qu'il possédait et s'enfuit dans les montagnes, afin d'observer la loi du Seigneur. Rien ne put le détourner de la voie droite, ni le désir de garder ses amis, ni la peur de perdre ses richesses (1er livre des Machabées, ch. 2. v. 28). Et saint Étienne, la mort le trouva constamment juste : les yeux fixés au ciel, accablé par les jets de pierres, il demeura ferme dans le Christ (Actes, ch. 7, v. 55). Saint Paul aussi avait la vertu de constance, lui qui s'écriait : « Pour moi, je suis prêt non seulement à porter des chaînes, mais encore à mourir à Jérusalem, pour le nom du Seigneur Jésus » (ch. 21, v. 13).
(1) L'auteur signale la prière de louange comme une source de la constance, peut-être par souci de justifier le texte du psalmiste. Mais on se rend compte aussi que la constance à louer Dieu amène facilement la constance à ne pas l'offenser. Comment dire à Dieu qu'il fait bien toutes choses, et ne pas s'exciter, par là même, à garder sa loi fidèlement ?
(2) 2e Sermon de Carême. P. L. t. 54, col. 264.