CHAPITRE XVIII

 

La Vérité

 

 

1. Il y a exacte vérité, lorsque tout vraiment concorde en l'homme, sa pensée, sa parole et son action, de telle sorte que ses sentiments intimes, il les profère de bouche et les réalise dans ses œuvres, suivant en cela l'exemple de l'apôtre saint Paul qui invitait les Philippiens à faire comme lui : « Frères, soyez mes imitateurs et remarquez aussi, pour les imiter, ceux qui se conduisent selon le modèle que vous avez en moi », c'est-à-dire, d'après la Glose : comme moi-même je crois, j'enseigne et je vis, faites de la même manière, vous aussi (1).

 

2. Il est véridique, celui qui garde, sans y rien changer, toutes ses promesses à Dieu et aux hommes, et qui tient sa parole une fois donnée, à moins qu'un changement ne s'impose par prudence salutaire : « Si vous avez promis ce qui est mal, manquez à votre parole, dit saint Isidore (2) ; et si votre vœu n'est pas honnête, changez de décision. » Dieu lui-même semble avoir changé d'avis quelquefois, par exemple dans le cas d'Ézéchias et pour les habitants de Ninive. De sa part, Isaïe avait annoncé à Ézéchias qu'il mourrait, et cependant le Seigneur lui accorda encore quinze années de vie, à cause de ses larmes (Isaïe, ch. 38, v. 5). À Ninive, Dieu fit prêcher par Jonas qu'elle serait détruite dans quarante jours, mais il la laissa subsister, parce que le roi et son peuple s'humilièrent dans la pénitence (Jonas, ch. 3, v. 4 et 10) (3).

 

3. Le Christ est Vérité, et la vérité, en soi, est toujours aimable : cela doit nous encourager à l'aimer. Si, parfois, la vérité est pesante et insupportable à certains, cela ne provient pas de la vérité elle-même, mais de leur mauvaise volonté : ils en accompliraient volontiers les intentions perverses, s'ils n'avaient pas, contre eux, la vérité. Ainsi, la vérité est agréable aux chastes et aux humbles, elle qui prêche la chasteté et l'humilité, et elle a en horreur les péchés opposés à ces vertus, parce qu'elle contredit absolument les orgueilleux et les impudiques affermis dans leurs vices.

La vérité, – nouvelle raison de l'aimer – est plus forte que tout (on le prouve dans le livre d'Esdras) (4), et elle est immuable, selon ces paroles du Seigneur Jésus : « Le ciel et la terre passeraient plus facilement qu'un seul trait de la Loi périsse » (Luc, ch. 16, v. 17). « Je vous le dis en vérité, jusqu'à ce que passent le ciel et la terre, un seul iota ou un seul trait de la Loi ne passera pas, que tout ne soit accompli » (Matt., ch. 5, v. 18).

 

4. Ne pas omettre de dire la vérité, pour son utilité propre ou au bénéfice d'autrui, et malgré la perte des richesses ou de la vie elle-même ; ne pas dissimuler la vérité ni la cacher aux autres ; ne jamais faire de mensonge intentionnellement et se proposer de ne rien dire de faux ; et, à moins que cela ne s'impose, ne jamais reprendre sa parole (à l'exemple de Balaam qui disait : « Même si Balac me donnait plein sa maison d'argent et d'or, je ne pourrais changer quelque chose à la parole de mon Dieu, ni dire plus ou moins que ce qu'il m'a ordonné ») (Nombres, ch. 22, v. 18), voilà autant de signes de la vérité. Jérémie, Michée, Daniel et les autres prophètes, aucun motif ne fut assez fort pour les faire dévier, tant soit peu, de la vérité, dans leurs actions ou dans leurs paroles.

 

5. Une marque de fausseté, c'est d'avoir quelque chose sur les lèvres et autre chose dans le cœur, et de manquer facilement à sa parole, sans raison, d'utilité ou de nécessité. « Il n'est pas le seul à trahir la vérité, dit saint Jean Chrysostome (5), celui qui, en la transgressant, dit ouvertement le faux à la place du vrai ; on est encore traître à la vérité, si on ne la publie pas ou si on ne la défend pas hardiment, elle que l'on doit proclamer et défendre en toute franchise et liberté. Le prêtre n'est-il pas obligé de prêcher librement la vérité qu'il a entendue de Dieu ? De même, la vérité que les prêtres lui disent reconnue dans les Écritures, le laïc doit fidèlement la défendre ; s'il ne le fait pas, il trahit la vérité. »

 

 

(1) C'est la glose interlinéaire qui commente ainsi le verset 17 du 3e chapitre de la Lettre aux Philippiens. L'auteur s'arrête après « je vis ». J'ai complété la citation. On peut la trouver au tome 6 de la Bible de Douai, col. 598.

(2) 2e Livre des Synonymes, chap. du Mensonge. P. L, t.83, col. 858.

(3) Dieu ne change pas de volonté, il n'a aucune raison de changer. Le changement n'est pas en lui, il fut dans la volonté d'Ézéchias et des Ninivites. La prophétie de Jonas était conditionnelle. Dire que Dieu a changé d'avis, parce qu'il n'a point réalisé ses menaces, c'est parler de lui à la manière humaine, comme s'il s'agissait d'un juge qui revient sur sa décision. Les véritables décrets de Dieu sont immuables.

(4) 3e livre d'Esdras, ch. 3, v. 12, et ch. 4, v.33 à 41. Ce livre, on le sait, n'est pas considéré comme inspiré, et le texte : « la vérité est supérieure à tout », n'a aucune valeur scripturaire.

(5) 25e Homélie sur S. Matt. P. G., t. 56, col. 762 (ces homélies ne sont pas de S. Jean Chrysostome, voir p. 91, note 1).