CHAPITRE XXVII

 

La Liberté

 

 

1. La liberté véritable consiste à n'être pas retenu par les liens du péché qui vraiment nous enserre et nous rend esclave : « Le méchant est pris dans ses propres iniquités, il est saisi par les liens de son péché » (Prov., ch. 5, v. 22). « Tout homme qui commet le péché est esclave du péché » (Jean, ch. 8, v. 34). Ce n'est pas être libre que de pécher, ce n'est pas non plus une partie de la liberté, comme le dit saint Anselme (1) ; c'est, au contraire, la pire espèce de servitude ; et, seul, le secours du Fils de Dieu nous en délivre : « Vous serez vraiment libres si le Fils de Dieu vous affranchit » (Jean, ch. 8, v. 36).

 

2. Il est vraiment libre, celui que rien ne captive, ni le désir des richesses, ni la gloire ou la faveur des hommes, ni le désir de plaire aux autres ou la peur de leur déplaire, ni l'amitié sensible, ni la crainte servile, ni la jouissance des joies passagères.

 

3. Pour nous exciter à l'amour de la liberté véritable, considérons la providence de Dieu qui veut que nous soyons libres. Dieu a donné à l'homme le libre arbitre ; par là surtout, il le faisait semblable à lui-même, puisque rien ne peut forcer la liberté de l'homme, pas plus que Dieu ne peut être contraint par personne. Ainsi donc, Dieu a donné à l'homme la liberté : « Au commencement, il a créé l'homme et il l'a laissé dans la main de son conseil... il a mis devant vous l'eau et le feu ; du côté que vous voudrez, vous pouvez étendre la main. L'homme a devant lui la vie et la mort, le bien et le mal, on lui donnera ce qu'il aura choisi » (Eccli., ch. 15, v. 14, 16 et 17).

Celui-là, sans aucun doute, s'achemine vers la vraie liberté, qui s'oblige à observer inviolablement, avec ses vœux, les commandements de Dieu et les conseils, et qui préserve des plaisirs ses sens et son esprit ; de même, celui qui ne s'accorde aucune satisfaction défendue, et qui aime de tout cœur le joug de l'obéissance et fait tous ses efforts pour plaire à son Dieu. Et plus on s'applique à tout cela, plus rapidement on acquiert la véritable liberté et on s'y enracine plus fortement. Au contraire, à suivre en ce monde sa volonté, sans contrainte, en tout et autant qu'on le peut, on est enlacé dans les nombreux filets du diable, et alors qu'on est plus libre, semble-t-il, on est plus fortement et plus sûrement retenu captif et esclave du démon.

 

4. Une preuve de la vraie liberté, c'est de ne pas désirer ce qui rend l'âme moins bien disposée à la familiarité avec Dieu ou ce qui l'en éloigne, ainsi : la charge de supérieur, trop de préoccupations vis-à-vis de l'extérieur, trop de soucis du bien-être physique, la dissipation de l'esprit et l'occupation à différentes affaires qui dispersent l'âme, l'examen téméraire de la vie des autres et de leur conscience, le fait d'excuser ou de diminuer ses propres défauts, et de manifester ou d'aggraver les fautes du prochain.

Un autre signe de la liberté, c'est l'assurance intime que la faute et la peine du péché sont entièrement remises (2). Cette assurance vient de la ferveur du cœur. Il arrive, parfois, que cette ardeur brûle intérieurement – comme un feu dans une fournaise – et l'homme, tout à l'heure froid et languissant, elle le rend tout enflammé dans la prière. Une telle ferveur consume entièrement la tache et la peine du péché, de même que le feu brûle la rouille du fer.

 

5. Il a la preuve qu'il est captif et esclave, celui qui n'aime pas le joug de l'obéissance, ni les corrections charitables et fraternelles ; celui qui ne pense qu'à se venger, celui qu'émeuvent les louanges ou la faveur des hommes, celui qui continue de vaquer, sciemment, à ce que Dieu et sa conscience ou la volonté de ses supérieurs lui défendent, celui-là, enfin, qui trouve plaisir à échanger des cadeaux ou des lettres sentimentales. Un sage  disait à ce propos : « On vend sa liberté à recevoir des présents. » Et Job : « Le feu dévorera la tente de ceux qui reçoivent volontiers des présents » (ch. 15, v. 34) ; ce n'est pas le feu de l'amour véritable, et cette affection fausse a pour conséquence les liens de la servitude. Et Salomon : « Celui qui fait des présents obtiendra victoire.et honneur, mais il ravit l'âme à ceux qui les reçoivent » (Prov., ch. 22, v. 9). Tout cela enlève à l'homme sa liberté et le réduit à une misérable servitude. Comment pourrait-il servir Dieu librement, si tout cela l'embarrasse ?

 

 

(1) Dialogue sur le libre arbitre, ch. 1er. P. L. t. 158, col. 490.

(2) Il ne faut pas exagérer la valeur de cette assurance intime ; elle ne nous conduit pas à une certitude. Le témoignage d'une conscience qui ne nous reproche rien de grave est un des signes d'après lesquels nous pouvons seulement conjecturer que nous sommes en état de grâce.