CHAPITRE VI

 

La Chasteté

 

 

1. Il ne suffit pas, pour que la chasteté soit vraiment parfaite, que l'on préserve son corps de toute souillure ; il faut aussi garder son âme de tout désir mauvais. Sara (qui devait être l'épouse de Tobie) disait : « Vous le savez, mon Dieu, je n'ai pas eu de mauvais désir, et j'ai gardé mon âme pure de toute convoitise » (Tobie, ch. 3, v. 16). De plus, la chasteté parfaite évite tout ce qui pourrait donner lieu à la concupiscence. « Jamais je n'ai fréquenté les jeux folâtres ni les compagnies légères » (ch. 3, v. 17).

 

2. Il aime vraiment la chasteté, celui qui choisirait moins de grâce actuellement et moins de gloire future (si c'était possible), mais par la chasteté virginale – et cela, pour ressembler à Jésus-Christ – plutôt qu'une grâce et une gloire plus grandes dans l'état de mariage.

 

3. L'exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous excite à aimer la chasteté, celui de sa mère aussi, et des vierges saintes, qui, pour garder leur pureté, méprisèrent les royaumes de ce monde, et moururent volontiers : ainsi sainte Agnès, sainte Catherine, sainte Agathe et beaucoup d'autres qui leur ressemblent. Mais ce qui doit nous y pousser davantage (1), c'est la chasteté des femmes ou des jeunes filles païennes, dont saint Jérôme rapporte qu'elles ont préféré la mort au déshonneur.

La pureté et la liberté, compagnes de la chasteté, doivent également nous conduire et nous inviter à cette vertu ; de même, la gloire que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui a promise : « Celui qui vaincra (les convoitises de la chair), je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi aussi j'ai vaincu et me suis assis sur son trône avec mon Père » (Apoc., ch. 3, v. 21), parce que « c'est la pureté qui nous donne une place tout près de Dieu » (Sag., ch. 6, v. 19).

« Voulez-vous conserver la chasteté ? Ayez une table frugale, une mise modeste, mortifiez votre corps et fuyez les lieux et les temps favorables à l'impureté » (2). Si Dina, la fille de Jacob, avait été sur ses gardes, elle n'eût pas été surprise, lorsqu'elle se rendit à. une fête pour voir les femmes de la région de Chanaan (Genèse, ch. 34, v. 1). Évitez aussi toutes les personnes suspectes ; or, aux femmes, tout homme doit être suspect. Hélas ! Thamar, fille de David, eut le grand tort de ne pas se défier d'Ammon et lui donna imprudemment ses soins pendant la maladie qu'il simulait pour être seul avec elle (IIe livre des Rois, ch. 13, v. 1). Et les hommes doivent se défier de toute femme, si sainte qu'elle paraisse. C'est le conseil de saint Jérôme : « Si vous voulez conserver la chasteté, même les personnes de vie irréprochable que vous rencontrerez, ne les aimez qu'en esprit, sans rechercher leur présence. »

 

Mais le principal moyen de conserver la chasteté, c'est de faire ses délices du Seigneur. Alors tout le reste devient vil et abject. Une fois qu'on a goûté aux joies spirituelles, on n'a plus de goût pour les autres plaisirs. « Et celui que retient captif un amour terrestre, ne peut se réjouir en Dieu. Il nous est impossible, en vérité, de rester sans plaisir, et nous en prenons ou d'inférieurs à nous-mêmes ou au-dessus de nous. Si nous nous exerçons, avec une application plus grande, aux joies supérieures, nous devenons insensibles aux autres pour lesquelles nous n'avons que du dégoût, et ce dégoût augmente sans cesse. Mais, plus nous recherchons, avec ardeur et violence, les plaisirs d'en bas, plus aussi, pour notre malheur, nous sommes de glace pour les joies souveraines et divines. Aimer celles-ci et ceux-là en même temps et également, c'est impossible (3). »

 

4. Une preuve de la vraie chasteté, c'est de réprimer ses sens, de les soustraire aux séductions de la chair, c'est en outre de refuser à son cœur toutes les vanités, les pensées et les délectations mauvaises. Car les plaisirs de la vue, du goût, de l'odorat, du toucher, ainsi que les paroles joyeuses et les rires, tout cela engendre habituellement les désirs charnels ; et ceux-ci enlèvent à l'âme toute sa force et l'inclinent à l'impureté.

 

5. Une preuve de l'impureté, et ce qui y conduit aussi, c'est l'intempérance dans le boire et dans le manger. Parce qu'ils étaient ivres, Noé, contre toute décence, rejeta ses vêtements, et Loth commit son déplorable inceste (Genèse, ch. 9, v. 21 ; ch. 19, v. 31). Comprenez donc la défense de saint Paul : « Ne vous enivrez pas de vin, c'est la source et l'occasion de la luxure » (Eph., ch. 5, v. 18).

Les regards impudiques dénoncent aussi l'impureté du cœur (4), de même que les paroles mauvaises, les démarches lascives, les conversations avec les femmes. « À cause de la beauté de la femme, beaucoup ont succombé ; la passion s'allume comme un feu » (Ecclésiastique, ch. 9, v. 8). Regarder attentivement la démarche ou les formes d'une personne est encore une excitation au péché. « N'arrêtez pas votre regard sur une jeune fille ; sa beauté pourrait vous être un scandale » (ch. 9, v. 5). De même, la femme doit se défier de l'homme, ne pas le regarder ni penser à lui ; l'homme se défiera semblablement de la femme. Job suivait ces conseils salutaires, lui qui disait : « J'avais fait un pacte avec mes yeux et je n'aurais pas arrêté mes regards sur une vierge » (ch. 31, v. 1) ; ce qui est bien plus que d'éviter seulement la compagnie des femmes.

 

 

(1) L'auteur dit plus : c'est surtout la chasteté des femmes païennes qui doit être pour nous un motif de pratiquer cette vertu. Si elles ont choisi la mort pour conserver intacte leur chasteté, nous autres, chrétiens, nous y sommes plus obligés encore. (Lettre 123, P. L. t. 22, col. 1051)

(2) Traduction du P. Truillet, p. 82.

(3) S. Grégoire, livre 18e des Morales, ch. 9, P. L. t. 76, col. 46.

(4) S. Augustin, P. L. t. 33, col. 961.