CHAPITRE XI

 

De la demande

 

Après avoir présenté une si riche offrande, nous pouvons en toute assurance demander en retour différentes grâces. Et d'abord, demandons avec la charité la plus tendre et le zèle le plus ardent pour la gloire de Notre-Seigneur, que tous les peuples et toutes les nations du monde le reconnaissent, le bénissent et l'adorent comme leur unique et vrai Dieu, comme leur souverain Maître, disant du plus intime de notre cœur ces paroles du Prophète : « Que tous les peuples, Seigneur, vous adorent, que tous les peuples vous rendent honneur et gloire (1) »

 

Prions ensuite pour les têtes de l'Église, qui sont le Pape, les cardinaux, les évêques, et puis pour tous les autres ministres et prélats inférieurs, afin que Dieu les dirige et les éclaire de telle façon, qu'ils conduisent tous les hommes à la connaissance de leur Créateur et à l'observation de ses lois. Nous devons également prier, comme saint Paul le conseille, pour les rois et pour tous ceux qui sont constitués en dignité, afin que, par la prudence de leur conduite, nous menions une vie tranquille et paisible. Une telle prière est agréable à Dieu, notre Seigneur, lequel veut que tous les hommes se sauvent et arrivent à la connaissance de la vérité.

Prions aussi pour tous les membres de son corps mystique ; demandons pour les justes que le Seigneur les conserve en sa grâce ; pour les pécheurs, qu'il les convertisse et pour les défunts, qu'il les délivre miséricordieusement de si grandes souffrances, et les conduise au repos de la vie éternelle.

Prions pour tous les pauvres infirmes, les prisonniers, les captifs, etc. Demandons à Dieu, par les mérites de son Fils, qu'il les assiste et les délivre de tout mal.

 

Après avoir prié pour le prochain, prions pour nous-mêmes. Chacun, s'il se connaît bien lui-même, sera averti par ses propres besoins de ce qu'il doit demander ; néanmoins, pour suivre un chemin plus facile et plus sûr, nous pouvons demander les grâces suivantes :

 

Premièrement, demandons, par les mérites et les souffrances de Notre-Seigneur, le pardon de tous nos péchés et la grâce de ne plus les commettre. Demandons un secours spécial contre ces passions et ces vices vers lesquels nous avons plus de pente, et qui sont pour nous la source de plus de tentations, en découvrant toutes ces plaies à ce céleste médecin, afin qu'il les guérisse et nous les enlève par l'onction de sa grâce.

 

Secondement, demandons, ces hautes et nobles vertus qui sont l'abrégé de toute la perfection chrétienne : la foi, l'espérance, l'amour, la crainte, l'humilité, la patience, l'obéissance, le courage pour toute espèce de sacrifices, la pauvreté d'esprit, le mépris du monde, la discrétion, la pureté d'intention, et autres vertus semblables qui sont au sommet de cet édifice spirituel. La foi est la première racine de la piété. L'espérance est comme un levier qui la soulève de la terre au ciel, et un remède contre les tentations de cette vie. La charité est la fin de toute la perfection chrétienne. La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. L'humilité est le fondement de toutes les vertus. La patience est l'armure qui nous protège contre les coups et les attaques de l'ennemi. L'obéissance est une très agréable offrande, par laquelle l'homme s'offre lui-même en sacrifice à Dieu. La discrétion est comme l'œil de l'âme qui lui découvre ses voies, et la dirige dans toutes ses démarches ; la force est comme le bras qui exécute toutes ses bonnes œuvres ; la pureté d'intention les rapporte et les dirige à Dieu.

 

Troisièmement, demandons ces autres vertus qui, très importantes par elles-mêmes, ont encore l'avantage d'être un rempart pour celles qui leur sont supérieures : la tempérance dans le boire et le manger ; la modération ou la retenue de la langue, la garde des sens ; la modestie et la composition de l'homme extérieur, la douceur et le bon exemple à l'égard du prochain, la rigueur et la sévérité envers soi-même, et autres vertus semblables. Après toutes ces demandes, on terminera par celle de l'amour de Dieu ; que ce soit celle sur laquelle on insiste le plus, et laquelle on emploie la plus grande partie du temps. Qu'on demande au Seigneur cette vertu du plus intime de l'âme, et avec les plus ardents désirs, puisqu'en elle consiste tout notre bien Ainsi, on pourra faire cette demande en ce termes.

 

DEMANDE SPIRITUELLE DE L'AMOUR DE DIEU

 

Par-dessus toutes ces vertus, Seigneur, donne-moi ta grâce pour que je t'aime de tout mon cœur, de toute mon âme, de toutes mes forces et de toutes mes entrailles, ainsi que tu me le commandes. Ô Dieu de mon cœur, toute mon espérance, toute ma gloire, tout mon refuge, mon allégresse ! Ô Bien-Aimé des bien-aimés ! Ô mon glorieux et ravissant Époux, Époux suave, Époux qui fais savourer à mon âme un miel si pur ! Ô délices de mon cœur ! Ô vie de mon âme ! Ô joyeux repos de mon esprit ! Ô beau jour, ô jour pur de l'éternité, ô lumière sereine des plus intimes profondeurs de mon être, ô paradis verdoyant et fleuri de mon cœur ! Ô aimable principe de mes joies, et suprême rassasiement de mon âme ! Prépare, Dieu que j'aime, prépare en moi, ô tendre Maître, une demeure agréable à tes yeux, afin que, selon la promesse de ta sainte parole, tu viennes vers moi, tu viennes prendre en moi ton repos. Fais mourir en moi tout ce qui déplaît à tes yeux, et daigne m'accorder d'être en tout selon ton cœur. Blesse, Seigneur, le plus intime de mon âme avec les flèches de ton amour, et enivre-la avec le vin de ta parfaite charité. Oh ! Quand viendra ce fortuné moment ? Quand me sera-t-il donné de te plaire en toutes choses ? Quand sera mort en moi tout ce qui t'est contraire ? Quand serai-je entièrement à toi ? Quand cesserai-je d'être à moi ? Quand, ô mon Bien-Aimé, seras-tu mon unique vie ? Quand t'aimerai-je du cœur le plus enflammé ? Quand m'embrasera toute la flamme de ton amour ? Quand serai-je tout liquéfié, tout transformé en toi par ta toute puissante suavité ? Quand ouvriras-tu à ce pauvre mendiant ? Quand lui découvriras-tu ton royaume, ce beau royaume qui est au dedans de moi, et qui n'est autre que toi-même avec toutes tes richesses, quand me raviras-tu, quand, ô mon Bien-Aimé, m'enlevant, me transportant tout entier en toi, me cacheras-tu dans ton cœur de manière que je ne paraisse plus jamais ? Quand, brisant tous les obstacles et toutes les chaînes, me feras-tu un esprit avec toi, de manière que je ne puisse plus me séparer de toi ?

 

Ô Bien-Aimé, Bien-Aimé, Bien-Aimé de mon âme ! Ô délices, délices de mon cœur ! Exauce-moi, Seigneur, non à cause de mes mérites, mais à cause de ton infinie bonté. Sois mon maître, ma lumière, mon guide, mon secours en toutes choses, afin que je ne fasse, que je ne dise rien qui ne soit agréable à tes yeux. Ô Dieu, ô mon Bien-Aimé, ô mon cœur, ô bien de mon âme ! Ô mon doux amour, ô mon inénarrable plaisir, ô ma force, viens à mon aide ; ô ma lumière, daigne me guider.

 

Ô Dieu de mon cœur, pourquoi ne te donnes-tu pas au pauvre ? Tu remplis le ciel et la terre, et mon cœur, tu le laisses vide ? Toi qui revêts les lis des champs, qui prépares la pâture aux petits oiseaux, qui nourris les vers de terre, pourquoi m'oublies-tu, moi qui pour toi ai oublié tous les mortels ? Je t'ai connue trop tard, Bonté infinie ; je t'ai aimée trop tard, Beauté si ancienne et si nouvelle ! Qu’il est digne de larmes, le temps où je ne t'ai point aimée ! Que j'étais à plaindre, puisque je ne te connaissais pas ! Que j'étais aveugle, puisque je ne te voyais pas ! Tu étais au dedans de moi, et j'allais te chercher dehors. Mais puisque enfin je t'ai trouvé, ne permets pas, Seigneur, par ta divine clémence, que je t'abandonne jamais ! Et s'il est vrai qu'une des choses qui te charment le plus, et qui font à ton cœur une plus grande blessure, c'est d'avoir des yeux pour savoir te regarder ; je t'en conjure, Seigneur, donne-moi de tels yeux pour te voir ; je veux dire les yeux simples de la colombe, des yeux chastes et purs, des yeux humbles et amoureux, des yeux remplis de dévotion et de larmes, des yeux attentifs et clairvoyants pour connaître ta volonté et l'accomplir. Exauce-moi, Seigneur ; que je te regarde ainsi, afin qu'en retour tu me regardes de ces yeux, avec lesquels tu regardas saint Pierre, quand tu lui fis pleurer son péché ; de ces yeux, avec lesquels tu regardas l'enfant prodigue, quand tu allas le recevoir, et que tu lui donnas le baiser de paix ; de ces yeux, avec lesquels tu regardas le publicain, quand il n'osait élever les siens au ciel ; de ces yeux, avec lesquels tu regardas Magdeleine, quand, avec les larmes qui coulaient des siens, elle lavait tes pieds ; enfin, de ces yeux, avec lesquels tu regardas l'Épouse dans les Cantiques, quand tu lui dis : « Tu es belle, ô ma bien-aimée, tu es belle, tes yeux sont ceux de la colombe. » Seigneur, cette grâce, je te la demande, afin que, satisfait des yeux et de la beauté de mon âme, tu lui donnes ces ornements de vertus et ces grâces qui te la fassent trouver toujours belle.

 

Ô très haute, très clémente, très bénigne Trinité, Père, Fils, et Saint-Esprit, un seul vrai Dieu, sois, Seigneur, ma lumière, mon guide, mon aide en tout ! Ô Père tout-puissant, par la grandeur de ton infini pouvoir, arrête et fixe ma mémoire en toi, et daigne la remplir de saintes et dévotes pensées. Ô Fils très-saint, par ton éternelle sagesse, illumine mon entendement et orne-le de la connaissance de la souveraine vérité et de mon extrême bassesse. Ô Esprit-Saint, amour du Père et du Fils, par ton incompréhensible bonté, fais passer en moi toute ta volonté, et embrase-moi d'un si grand feu d'amour que les plus grandes eaux ne puissent l'éteindre. Ô Trinité sainte, mon unique Dieu et tout mon bien, oh ! si je pouvais te louer et t'aimer comme te louent et te bénissent tous les anges ! Oh ! Si j'avais l'amour de toutes les créatures, que de bon cœur je te le donnerais, et m'en dépouillerais pour toi ! Ce serait encore trop peu pour t'aimer comme tu le mérites ! Toi seul te peux dignement aimer et dignement louer, parce que toi seul comprends ton incompréhensible bonté ; et ainsi toi seul la peux aimer autant qu'elle le mérite, de manière que dans ton cœur seul, ô grand Dieu, s'observe la justice de l'amour.

 

Ô Marie, Marie, Marie, Vierge très sainte, Mère de Dieu, Reine du ciel, Souveraine du monde, sanctuaire de l'Esprit-Saint, lis de pureté, rose de patience, paradis de délices, miroir de chasteté, modèle d'innocence, prie pour ce pauvre exilé, pour ce pauvre pèlerin, et fais-lui part des surabondantes richesses de ta charité. Ô vous, bienheureux saints et saintes, et vous, bienheureux esprits qui brûlez ainsi des flammes de l'amour de votre Créateur, et vous en particulier, séraphins qui embrasez les cieux et la terre de votre amour, n'abandonnez pas ce pauvre et misérable cœur, mais purifiez-le comme les lèvres d'Isaïe, de tous ses péchés, et embrasez-le de la flamme de votre très-ardent amour, afin que je n'aime que ce Seigneur, que je ne cherche que lui, que je me repose et demeure en lui dans les siècles des siècles. Amen.

 

(1) Ps. LXV, 4