DEUXIÈME SÉRIE DE MÉDITATIONS

Pour chaque jour de la semaine

 

CHAPITRE IV

 

Manière de méditer la Passion

 

Voici maintenant sept méditations sur la passion, la résurrection et l'ascension de Notre-Seigneur, auxquelles on pourra ajouter les autres principaux mystères de sa très sainte vie.

Il faut remarquer ici qu'il y a six choses à méditer principalement dans la Passion de Jésus-Christ. La grandeur de ses souffrances, afin de nous émouvoir à la compassion ; la gravité de notre péché, qui est cause de ces souffrances, afin de l'avoir en horreur ; la grandeur du bienfait, afin d'en remercier le divin Maître ; l'excellence de la bonté et de la charité divines qui éclatent en ce mystère, afin de les aimer ; la convenance du mystère, afin de l'admirer ; enfin, les vertus de Jésus-Christ qui resplendissent dans le cours de sa passion, afin de les imiter.

 

Suivant cet enseignement, nous devons donc, lorsque nous allons méditer, exciter tour à tour notre cœur aux divers sentiments que nous venons de dire. Tantôt nous devons l'exciter à compatir aux douleurs de Jésus-Christ qui ont été les plus grandes du monde, tant à cause de la délicatesse de son corps et de l'excès de son amour, qu'à cause de l'absence de toute consolation où il les a endurées, comme nous l'avons dit plus haut. Tantôt nous devons tirer de la vue du divin Maître des motifs de douleur de nos péchés, en considérant qu'ils furent cause des tourments extraordinaires qu'il endura. Tantôt nous devons en tirer des motifs d'amour et de reconnaissance, en considérant la grandeur de l'amour qu'il nous manifesta, et la grandeur du bienfait par lequel il nous releva, nous rachetant d'une manière si surabondante, au prix de tant de souffrances pour lui, et avec un si ineffable avantage pour nous.

 

D'autres fois nous devons admirer la convenance du moyen que Dieu a pris pour guérir notre misère ; c'est-à-dire pour payer nos dettes pour nous secourir dans nos nécessités, pour nous mériter sa grâce, pour humilier notre orgueil, et pour nous porter au mépris du monde à l'amour de la croix, de la pauvreté, de la pénitence, des injures, et de toutes les peines qu’accompagnent d'ordinaire la vertu et la vie chrétiennes.

 

D'autres fois, il nous faut jeter les yeux sur les exemples des vertus qui resplendissent en sa très sainte vie et en sa très sainte mort, sur sa douceur, sur sa patience, sur son obéissance, sur sa miséricorde, sur sa pauvreté, sur sa pénitence, sur sa charité, sur son humilié, sur sa bénignité, sur sa modestie, et sur toutes les autres vertus, qui resplendissent dans toutes ses œuvres et toutes ses paroles, plus que les étoiles dans le firmament, afin d'imiter en quelque petite chose ce divin modèle ; de cette sorte, nous ferons fructifier l'esprit et la grâce qu'il lui a plu de nous donner pour cela, et nous irons ainsi de lui à lui. C'est là la plus haute et la plus utile manière de méditer la passion de Jésus-Christ, j'entends de la méditer par voie d'imitation. Car par là, nous pourrons arriver à la transformation, et nous pourrons dire avec l'Apôtre : « Je vis, non, ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. » (Gal., II, 20.)

Mais de plus, il convient dans tous ces mystères, d'avoir toujours Jésus-Christ présent devant nos yeux, et de nous considérer nous-mêmes comme présents devant lui. Non-seulement nous devons méditer chacun des mystères de sa passion, mais nous devons encore en peser toutes les circonstances, et spécialement les quatre suivantes : Qui est celui qui souffre ? Pour qui souffre-t-il ? Comment souffre-t-il ? Pour quelle cause souffre-t-il ?

Qui est celui qui souffre ? C'est un Dieu tout-puissant, infini, immense, un Dieu en un mot qui possède toutes les perfections. Pour qui souffre-t-il ? Pour la créature la plus ingrate et la plus méconnaissante qui fut jamais. Comme souffre-t-il ? Avec une humilité, une charité, une bénignité, une douceur, une miséricorde, une patience, une modestie toutes divines. Pour quelle cause souffre-t-il ? Ce n'est pour aucun intérêt propre, ni parce que nous l'avons mérité, mais uniquement à cause de l'infinie bonté et de l'infinie miséricorde de son cœur.

Enfin l'on ne doit pas se contenter de méditer ses douleurs extérieures, il faut encore méditer, et avec beaucoup plus de soin, celles qu'il endure au dedans de lui-même ; parce que l'âme de Jésus-Christ offre à la contemplation un bien plus vaste champ que son corps sacré, soit sous le rapport du sentiment des souffrances, soit sous le rapport des autres sentiments qui remplissaient cette âme, et des pensées qui l'occupaient.

Après ce petit préambule, commençons à reprendre et à mettre par ordre les mystères de la sainte Passion.

 

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MÉDITATIONS SUR LA PASSION

LA RÉSURRECTION ET L'ASCENSION DE NOTRE-SEIGNEUR

 

 

LUNDI

Méditation sur le lavement des pieds et l'institution du Très-Saint-Sacrement

 

En ce jour, après le signe de croix et la préparation déjà indiquée, vous méditerez sur Notre-Seigneur lavant les pieds à ses disciples, et instituant le très-saint Sacrement.

Considère, ô mon âme, dans cette cène la ravissante douceur, l'ineffable bonté de ton Jésus ; vois l'inestimable exemple d'humilité qu'il te donne, en se levant de table et en lavant les pieds à ses disciples.

 

Ô bon Jésus, que faites-vous ? Ô doux Jésus, pourquoi votre majesté s'abaisse-t-elle à un tel point ! Ô mon âme, qu'aurais-tu senti si tu avais vu ton Dieu à genoux devant les pieds des hommes, surtout devant les pieds de Judas ? Cruel, comment ton cœur ne s'amollit-il pas en présence d'une si grande humilité ? Comment tes entrailles ne se brisent-elles pas en présence d'une si touchante mansuétude ? Est-il possible que tu aies résolu de vendre ce très doux agneau ? Est-il possible que la componction ne pénètre pas ton âme à la vue de cet exemple ? Ô blanches et belles mains, comment pouvez-vous toucher des pieds si souillés et si abominables ? Ô très pures mains, comment ne reculez-vous pas d'horreur en lavant ces pieds dégoûtants de la boue du crime, et qui ont couru les chemins de la trahison pour trafiquer de votre sang ? Ô apôtres bienheureux, comment ne tremblez-vous pas en voyant cet excès d'humilité ? Pierre, que fais-tu ? Consentiras-tu par hasard que le Seigneur de la majesté te lave les pieds ? Saisi d'étonnement et comme hors de lui-même, dès qu'il a vu le Seigneur à genoux devant lui, il commence à lui dire : « Eh ! Quoi, Seigneur, c'est vous qui me lavez les pieds ? N'êtes-vous pas le Fils du Dieu vivant ? N'êtes-vous pas le Créateur du monde ? N'êtes-vous pas la beauté du ciel ? Le paradis des anges ? Le salut des hommes ? La splendeur de la gloire du Père ? La fontaine de la sagesse de Dieu, dans les hauteurs du ciel ? Et c'est vous qui voulez me laver les pieds ! Vous, Seigneur de tant de majesté et de gloire, vous voulez me rendre un office si humiliant et si bas ! »

 

Considérez aussi comment cet adorable Maître, en achevant de laver les pieds, les essuie avec ce linge dont il était ceint ; pénétrez plus avant avec les yeux de l'âme, et dans ce mystère vous verrez représenté au vif le témoignage de notre rédemption. Voyez comme ce linge prenant tout ce qu'avaient d'immonde ces pieds souillés, ils demeurèrent propres, tandis que le linge mystérieux, après cet office, gardait toutes les taches et toutes les souillures. Quoi de plus souillé que l'homme conçu dans le péché ? Et quoi de plus pur et de plus beau que le Christ conçu de l'Esprit-Saint ?

 

Mon Bien-Aimé est blanc, mais il a aussi l'éclat vermeil de la rose, dit l'Épouse des Cantiques, et il est choisi entre mille. C'est ce Bien-Aimé si beau et si pur qui a voulu recevoir en lui toutes les taches et toutes les souillures de nos âmes ; mais ce qu'il enlève à ces âmes, qu'il laisse pures et affranchies, il le garde sur la croix, et c'est ce qui le fait paraître à nos yeux si flétri et si défiguré.

Méditez ensuite ces paroles par lesquelles le Sauveur met fin à cette histoire : Je vous ai donné l'exemple, afin que vous fassiez comme vous m'avez vu faire. Il ne faut pas seulement rapporter ces paroles à ce mystère et à cet exemple d'humilité, mais encore à toutes les œuvres et à la vie entière de Jésus-Christ ; car elle est le modèle le plus accompli de toutes les vertus, et en particulier de celle qui se montre si bien à nous dans ce mystère.

 

 

De l’institution du Très-Saint Sacrement

 

Pour comprendre quelque chose de ce mystère, il faut présupposer qu'il n'y a point de langue sur la terre qui puisse exprimer la grandeur de l'amour que Jésus-Christ porte à l'Église, son épouse, et par conséquent à chacune des âmes qui sont en état de grâce, parce que chacune d'elles est aussi son épouse. Étant donc sur le point de quitter cette vie et de priver de sa présence l'Église, son épouse, ce très doux Époux, de crainte que cette séparation ne fût pour elle une cause d'oubli, lui laissa pour mémorial ce très saint Sacrement, dans lequel il restait lui-même, ne voulant pas qu'entre lui et elle, il y eût, pour le rendre sans cesse présent à son souvenir, d'autre gage d'amour que lui-même. Le céleste Époux voulait aussi, durant une si longue absence, laisser à son épouse une compagnie, afin qu'elle ne demeurât pas seule ; il lui laissa celle de ce sacrement où il réside lui-même, lui donnant ainsi la meilleure compagnie qu'il pût lui laisser.

Il voulait aussi, en ce moment, aller souffrir la mort pour son épouse, la racheter et l'enrichir du prix de son sang ; et afin qu'elle pût à son gré jouir de ce trésor, il lui en laissa les clefs dans ce sacrement ; « car, comme dit saint Chrysostome, toutes les fois que nous nous en approchons , nous devons penser que nous portons nos bouches au côté de Jésus-Christ, que nous nous abreuvons à la source de son précieux sang, et que nous nous rendons participants de ce divin trésor. » Ce céleste Époux désirait aussi d'être aimé d'un grand amour par son épouse ; et, dans ce dessein, il institua cette mystérieuse nourriture, consacrée par des paroles telles, que quiconque la reçoit dignement, est aussitôt touché et blessé de cet amour.

 

Il souhaitait, de plus, rassurer son épouse, et lui donner des gages de la possession éternelle de son royaume, afin que, par l'espérance de ce bonheur, elle traversât avec allégresse toutes les tribulations et toutes les souffrances de cette vie. Et, voulant que l'épouse vécût dans une espérance certaine de ces biens éternels, il lui en laissa pour gage sur la terre cet ineffable trésor, qui vaut autant que tout ce qu'elle espère dans le ciel, afin qu'elle ne doutât jamais que son Dieu ne lui donnât un jour, dans la gloire où elle vivra en esprit, ce même trésor dont il l'avait enrichie dans cette vallée de larmes, où elle vit dans l'infirmité de la chair.

Il voulait aussi, à l'heure de sa mort, faire un testament, et léguer à son épouse quelque don signalé qui fût sa consolation en cet exil ; et il lui laissa cet adorable sacrement comme le don le plus précieux et le plus avantageux dont il pût l'enrichir, puisque, avec ce don, il lui laissait son Dieu.

 

Enfin il voulait laisser à nos âmes un aliment pour les soutenir et les faire vivre, parce qu'elles n'ont pas moins besoin de nourriture pour vivre d'une vie spirituelle, que le corps pour vivre d'une vie corporelle. C'est pour ce sujet que ce sage médecin, qui connaissait bien notre faiblesse, institua ce sacrement sous forme de nourriture, afin que la forme même sous laquelle il l'instituait nous déclarât hautement l'effet qu'il opérait, et le besoin qu'en avaient nos âmes, qui ne peuvent pas plus vivre sans ce divin aliment, que le corps sans la nourriture qui lui est propre.

 

 

MARDI

Méditation sur l'oraison du jardin, sur la prise de notre Seigneur

et son entrée dans la maison d’Anne

 

En ce jour, vous méditerez sur l'oraison du jardin, sur la prise de Notre-Seigneur, sur son entrée dans la maison d'Anne, et sur l'affront qu'il y reçut.

Considérez comment le divin Maitre, après avoir terminé cette mystérieuse cène, s'en alla avec ses disciples à la montagne des Oliviers, pour prier avant d'entrer dans le combat de sa passion. Par là, il voulait nous enseigner, que, dans toutes les peines et les tentations de cette vie, nous devons toujours recourir à la prière, comme à une ancre assurée au milieu de la tempête. Par son efficacité, ou bien nous serons délivrés du poids de la tribulation, ou bien nous recevrons des forces pour le soutenir, ce qui est une nouvelle grâce plus grande. Le Seigneur, pour avoir une compagnie durant le chemin, prit avec lui les trois disciples qu'il chérissait le plus, saint Pierre, saint Jacques, saint Jean ; comme ils avaient été témoins de sa glorieuse transfiguration, il voulait qu'ils vissent de même la figure si différente que son amour pour les hommes allait faire prendre à Celui qui leur avait apparu si resplendissant de gloire au Thabor. Afin de leur faire comprendre que les souffrances de son âme n'étaient pas moindres que celles qui commençaient à paraître au dehors, il leur dit ces paroles empreintes d'une si profonde douleur : « Mon âme est triste jusqu'à la mort. Attendez ici, et veillez avec moi (1). » Ayant dit ces paroles, il s'éloigna des disciples à la distance d'un jet de pierre, et, prosterné contre terre, avec un très grand respect, il commença à prier, disant : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de moi ; cependant qu'il soit fait, non selon ma volonté, mais selon la vôtre (2). » Ayant fait cette prière trois fois, à la troisième, il entra dans une telle agonie, qu'il commença à suer des gouttes de sang qui coulaient avec abondance de son corps sacré, et tombaient à terre. Considérez attentivement ce bon Maître, dans ce mystère si douloureux. Là, il se représente tous les tourments qu'il va souffrir ; il voit de la manière la plus distincte les douleurs si cruelles que l'on prépare au plus délicat de tous les corps ; il voit tous les péchés du monde pour lesquels il souffrait, et en même temps l'ingratitude de tant d'âmes qui ne devaient ni reconnaître un tel bienfait, ni profiter d'un remède si grand et qui coûtait si cher. À cette vue, son âme est brisée par de telles angoisses, ses sens, son organisation si délicate, reçoivent une secousse si profonde, que les forces et toute l'harmonie de ce corps en demeurent troublées. Cette chair bénie s'ouvre de toutes parts, donne un libre passage au sang qui, de tous les membres, coule en telle abondance, qu'il ruisselle jusqu'à terre.

 

Si la chair, qui n'endurait que par contrecoup ces douleurs, en était là, que devait-il se passer dans l'âme qui les endurait directement ! Quand la prière du jardin est terminée, arrive ce faux ami, à la tête d'une infernale cohorte. Après avoir abdiqué l'apostolat, il s'est fait le chef et le capitaine de l'armée de Satan. Considérez comment il marche sans honte le premier, et comment, arrivé près du bon Maître, il le vend par un perfide baiser. À cette heure, le Seigneur dit à ceux qui venaient pour le prendre : « Vous êtes venus à moi, comme à un voleur, avec des épées et des lances ; j'étais au milieu de vous, chaque jour, dans le temple, et vous n'avez pas mis la main sur moi ; mais cette heure est la vôtre, et celle de la puissance des ténèbres (3). » C'est là un mystère qui doit jeter l'âme dans une bien grande admiration. Quoi de plus étonnant que de voir le Fils de Dieu prendre la ressemblance, non-seulement d'un pécheur, mais encore celle d'un réprouvé ? « Celle-ci est votre heure, dit-il, et celle de la puissance des ténèbres. » L'on infère de ces paroles que, pendant cette heure, ce très innocent Agneau fut livré au pouvoir des princes des ténèbres, qui sont les démons, pour qu'ils lui fissent subir, par le moyen de leurs ministres, tous les tourments et toutes les cruautés qu'ils voudraient. Vous qui méditez ceci, mesurez maintenant du regard jusqu'où voulut descendre, par amour pour vous, cette haute majesté d'un Dieu, puisqu'il descendit jusqu'au dernier de tous les maux, qui est d'être livré au pouvoir des démons. C'était la peine que méritaient vos péchés ; pour vous en délivrer, il voulut s'y soumettre et l'endurer.

 

Après ces paroles, cette troupe de loups affamés fond sur ce doux Agneau : les uns le saisissent d'un côté, les autres d'un autre, chacun comme il peut. Avec quelle inhumanité ils le traitent ! Quelles paroles insultantes ils lui adressent ! Que de coups ils déchargent sur lui ! Avec quelle violence ils l'entrainent ! Quels cris ils jettent ! Quelles horribles clameurs ! On dirait des vainqueurs qui ont saisi leur proie. Ils prennent ces saintes mains, qui un peu auparavant avaient opéré tant de miracles, et les attachent par des nœuds si forts, que la chair des bras en est déchirée et que le sang jaillit. C'est ainsi qu'ils le mènent par les voies publiques, lié et couvert d'ignominie. Considérez bien attentivement comment il parcourt ce chemin, abandonné de ses disciples, accompagné de ses ennemis, forcé de hâter le pas, manquant d'haleine, les traits altérés, le visage enflammé et rouge par la précipitation de la marche. Au milieu de traitements si indignes, contemplez la modestie de sa figure, la dignité de son regard, et ce visage divin qui, au milieu de toutes les insultes du monde, ne put jamais être obscurci.

Suivez le divin Maître à la maison d'Anne. Là, répondant avec respect à la demande que lui adresse le pontife, sur ses disciples et sur sa doctrine, un de ces misérables qui étaient présents lui décharge un grand soufflet au visage, en lui disant : « Est-ce ainsi que tu réponds au pontife ? » Le Sauveur se contente de lui dire : « Si j'ai mal parlé, montrez en quoi ; et si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous (4) ? »

 

Ô mon âme ! Considère bien ici, non-seulement la douceur de cette réponse, mais encore ce visage meurtri et coloré par la violence du coup, la modestie de ces yeux si sereins, ce front si calme, et, à l'intérieur, cette âme très-sainte, si humble et si disposée à présenter l'autre joue, si le bourreau le demandait.

 

 

MERCREDI

Méditation sur les outrages faits à Notre-Seigneur dans la maison de Caïphe,

sur le reniement de saint Pierre et sur la flagellation

 

En ce jour vous considérerez le Seigneur en présence de Caïphe, ce qu'il endura cette nuit, le reniement de saint Pierre, et la flagellation à la colonne.

Considérez d'abord comment le Seigneur est conduit de la maison d'Anne à celle du pontife Caïphe, où il est juste que vous le suiviez. Là, vous verrez éclipsé le Soleil de justice, et couvert de crachats ce visage divin que les anges ne se rassasient pas de contempler. Adjuré au nom de son Père de dire qui il était, le Sauveur répond d'une manière digne de lui ; mais ces malheureux, qui ne méritaient pas d'entendre une si haute réponse, s'aveuglent à l'éclat d'une si vive lumière. Se tournant contre le Sauveur comme des bêtes féroces, ils font éclater contre lui toute leur colère et leur rage : là, tous à l'envi déchargent sur ses joues les plus rudes soufflets, et les coups les plus violents sur sa tête. Ils osent, avec leurs bouches infernales, cracher sur ce visage divin. Ils lui couvrent les yeux avec un bandeau, et lui donnant de cruels soufflets, ils se jouent de lui, disant : Devine qui t'a frappé. Ô humilité ! Ô admirable patience du Fils de Dieu ! Ô beauté des anges ! Était-ce donc là un visage sur qui dussent tomber des crachats ? C'est vers le coin le plus vil que les hommes se tournent quand ils veulent cracher, et dans tout ce palais, il ne se trouve donc pas un endroit plus vil que le visage de mon Dieu, pour être ainsi souillé par le dernier des outrages ? Comment ne t'humilies-tu pas à cet exemple, toi qui n'es que cendre et que poussière ?

 

Considérez ensuite les tourments qu'endura le Sauveur durant toute cette nuit si douloureuse. Les soldats qui le gardaient se faisaient un jeu sacrilège de sa personne, au rapport de saint Luc ; et, pour vaincre le sommeil de la nuit, ils ne cessaient de l'accabler des plus amères dérisions, et de se jouer du Seigneur de la gloire.

Vois, ô mon âme, comme ton très doux Époux sert là de but pour recevoir les flèches de tant de coups et de soufflets qu'on lui donne. Ô nuit cruelle ! Ô nuit accablante et sans repos ! Durant ces longues heures, ô mon doux Jésus, vous ne dormiez point, et vos bourreaux ne dormaient pas non plus : les cruels, ils mettaient leur repos à multiplier vos tourments. La nuit a été faite pour que toutes les créatures prissent leur repos, afin que les sens et les membres fatigués des travaux du jour, trouvassent dans le sommeil une vigueur nouvelle ; et ce temps de la nuit, ces pervers le prennent, ô mon tendre Maître, pour tourmenter tous vos membres et tous vos sens, en blessant votre corps, en affligeant votre âme, en liant vos mains, en souffletant vos joues, en crachant sur votre visage, en torturant votre ouïe par l'insulte et le blasphème ; ils veulent, les inhumains, que dans le temps où tous les membres ont coutume de se reposer, tous en vous aient leurs souffrances et leurs tortures ! Que ces chants du matin étaient différents de ceux que les chœurs des anges, à la même heure, vous faisaient entendre dans le ciel ! Là ils disent : Saint ! Saint ! Saint ! Ici l'on dit : Qu'il meure ! Qu’il meure ! Crucifiez-le ! Crucifiez-le ! Ô anges du paradis qui entendiez ces deux voix, que devait-il se passer en vous, en voyant si maltraité sur la terre Celui que vous traitez avec un souverain respect dans le ciel ? Qu'éprouviez-vous en voyant que Dieu souffrait de tels tourments pour ceux-là mêmes qui les lui faisaient souffrir ? Qui jamais entendit parler d'un tel excès de charité, qui fait que l'on meurt pour arracher à la mort celui de qui l'on reçoit le coup mortel ?

Les tourments de cette nuit douloureuse s'accrurent encore par le reniement de saint Pierre. Cet ami qui vivait dans une si intime familiarité avec le Sauveur, ce disciple choisi pour être témoin de la gloire de la transfiguration ; lui, honoré par-dessus tous les autres, par la primauté dans l'Église ; c'est lui qui, le premier de tous, non pas une, mais trois fois, en présence du Seigneur lui-même, jure et atteste par un faux serment qu'il ne le connaît point, et qu'il ne sait point qui il est. Ô Pierre, est-il donc un si méchant homme, Celui qui est là, que ce soit à tes yeux une si grande honte même de l'avoir connu ? Entends-le bien ! Par une telle conduite, le premier, tu portes contre lui la sentence de condamnation, avant les pontifes eux-mêmes, car tu fais naître la pensée que ton Maître est tel, que c'est un déshonneur pour toi seulement de le connaître. Peut-il y avoir une plus grande injure que celle-là ? Ce fut alors que le Sauveur se tourna, qu'il regarda Pierre, et que ses yeux rappelèrent cette brebis qui s'était perdue. Ô regard de mystérieuse puissance ! Ô regard silencieux, mais divinement expressif ! Pierre sut entendre ce langage et cette voix : le chant du coq n'avait pu le réveiller ; mais, à la voix de ce regard, il sort de son sommeil. Non-seulement les yeux de Jésus-Christ parlent, mais ils opèrent ; les larmes de Pierre en sont la preuve, larmes fortunées qui ne coulèrent pas tant des yeux de Pierre que des yeux de Jésus-Christ.

Après toutes ces injures, considérez les coups de verge que le Sauveur endura à la colonne. Le juge, voyant qu'il ne pouvait apaiser la furie de ces bêtes féroces possédées de la haine de l'enfer, résolut de faire subir à ce très doux Agneau un si effroyable châtiment, que la rage de ces cœurs si cruels en fût enfin satisfaite ; il espérait que, contents de cela, ils ne demanderaient plus sa mort. Entre maintenant, ô mon âme, entre en esprit dans le prétoire de Pilate. Prépare-toi à répandre des larmes, car il en faut, et beaucoup, pour ce que tu vas voir et entendre. Regarde comme ces cruels et vils bourreaux dépouillent le Sauveur de ses habits, avec la dernière inhumanité, et comme il se les laisse enlever avec une ineffable humilité, sans ouvrir la bouche ni répondre une seule parole à tant d'insultants traitements dont il était l'objet. Regarde comment bientôt ils attachent ce saint corps à une colonne, afin de pouvoir le blesser à plaisir, là où ils voudraient, et de la manière qu'ils voudraient. Vois combien était seul le Seigneur des anges au milieu de si cruels bourreaux, n'ayant ni protecteurs, ni défenseurs qui se déclarassent pour lui, ne rencontrant pas même des yeux dans lesquels il pût lire un sentiment de compassion. Regarde comment ils commencent, sans perdre un moment, et de la manière la plus cruelle, à frapper avec leurs verges et leurs cordes hérissées de nœuds, ces chairs infiniment délicates ; comment les coups succèdent aux coups, comme les plaies s'ajoutent aux plaies, et les blessures aux blessures. Quel spectacle ! Bientôt ce corps très saint se couvre de tumeurs livides, les chairs se déchirent, le sang jaillit et s'échappe en ruisseaux de toutes parts. Mais que sera-ce surtout de voir cette grande plaie qui s'est ouverte entre les épaules, parce que c'était là principalement que tombaient tous les coups !

Cette sanglante flagellation terminée, considérez comment le Sauveur couvre son corps, comment il va dans tout ce palais, cherchant ses habits en présence de ces cruels bourreaux, sans que personne le serve ni vienne à son secours ; sans que personne lui présente ni eau rafraîchissante, ni remède pour ses blessures, comme on a coutume de le faire pour ceux qui sont ainsi couverts de plaies.

Tous ces tourments du divin Maître sont faits pour exciter en nous une grande douleur et une vive reconnaissance ; ils doivent être aussi l'objet d'une profonde méditation.

 

 

JEUDI

Méditation sur le couronnement d'épines, sur l’Ecce Homo,

sur Notre-Seigneur portant sa croix et rencontrant sa sainte Mère

 

En ce jour, vous méditerez sur le couronnement d’épines, sur l'état où était le Seigneur lorsque Pilate dit aux Juifs : Voilà l'Homme ! Vous le considérerez ensuite portant sa croix, et rencontrant sa très sainte Mère.

Les paroles de l'Épouse dans le livre des Cantiques nous invitent à la considération de ces mystères si douloureux : « Sortez, dit-elle, filles de Jérusalem, et voyez le roi Salomon avec la couronne dont le couronna sa mère au jour de ses fiançailles et au jour de l'allégresse de son cœur (5). »

 

Ô mon âme, que fais-tu ? Ô mon cœur, que penses-tu ? Et toi, ma langue, comment es-tu muette ? Ô mon très-doux Sauveur, lorsque j'ouvre les yeux et que j'aperçois le tableau si douloureux que me présente ce mystère, je sens mon cœur se briser. Eh quoi ! Seigneur, n'était-ce donc pas assez des coups de fouet de la colonne, de votre mort prochaine, et de tant de sang répandu ? Fallait-il encore que les épines fissent violemment couler le sang qu'avait épargné la flagellation ! Ô mon âme, pour sentir un peu ce mystère de douleur, rappelle-toi d'abord l'image de cet adorable Maître avant sa passion, la souveraine excellence de ses vertus, et considère ensuite l'état où il est ici réduit. Oui, commence par contempler la grandeur de sa beauté, la modestie de ses yeux, la douceur de ses paroles, son autorité, sa mansuétude, sa sérénité et cet air divin qui commande tant de respect ; puis, quand tu auras ainsi reposé tes regards sur une figure si achevée, et que tu te seras enivrée de cette vue, viens considérer ton adorable Maître tel qu'il se montre ici, couvert de ce lambeau dérisoire de pourpre, le roseau pour sceptre royal à la main, cet horrible diadème sur la tête ; contemple ces yeux presque éteints, ce visage d'un mort, cette figure toute couverte de sang et salie par les crachats que ces misérables n'ont pas eu horreur de vomir contre lui. Considère-le bien tout entier, et au dedans et au dehors, le cœur traversé par les douleurs comme par un glaive, et le corps partout sillonné de blessures. Vois ton doux Maître abandonné de ses disciples, poursuivi par les Juifs, servant de jouet aux soldats, méprisé des pontifes, renvoyé avec dédain par un roi inique, accusé injustement, et destitué de tout appui humain. Ne considérez point cela comme une chose passée, mais comme présente, non comme une douleur étrangère, mais comme votre propre douleur. Mettez-vous vous-même à la place de celui qui souffre, et faites-vous une idée de ce que l'on vous ferait souffrir si, à un endroit aussi sensible que la tête, on enfonçait des épines nombreuses et aiguës qui pénétrassent jusqu'aux os. Que dis-je, des épines ? Quand ce ne serait qu'une piqûre d'épingle, à peine pourriez-vous l'endurer. Que devait donc souffrir cette tête de la plus délicate organisation qui fut jamais, quand on lui faisait endurer un tel genre de tourment ? Après que les épines ont été ainsi enfoncées autour de la tête du Sauveur, après qu'il a servi de jouet, le juge le prend par la main, et, dans l'horrible état où il est réduit, il le montre aux yeux du peuple transporté de fureur, et leur dit : Ecce Homo, voilà l'Homme, comme s'il disait : Si c'est par envie que vous demandiez sa mort, le voilà maintenant dans un état qui n'excite plus la jalousie, mais la compassion ; vous aviez peur qu'il ne se fît roi : le voilà si défiguré, qu'à peine il paraît un homme. Qu'avez-vous à craindre de ces mains liées ? Cet homme a été battu de verges, que demandez-vous de plus de lui ?

 

Par là tu peux te former une idée, ô mon âme, de l'état dans lequel parut alors le Sauveur, puisque le juge crut qu'il suffisait de le montrer pour briser le cœur de pareils ennemis. Comprends aussi combien il est indigne qu'un chrétien n'ait pas compassion des douleurs de Jésus-Christ, puisqu'elles étaient si grandes, qu'au jugement de Pilate, elles devaient amollir des cœurs si endurcis.

Voyant cependant que tous les supplices qu'on avait fait subir à ce très-doux Agneau ne suffisaient pas pour adoucir la fureur de ses ennemis, le juge rentre au prétoire et s'assied sur son tribunal pour prononcer la sentence définitive sur cette cause.

 

Déjà, aux portes, était la croix, instrument du supplice ; déjà commençait à se déployer en l'air ce redoutable étendard menaçant la tête du Sauveur. La cruelle sentence est enfin prononcée, elle est promulguée ; soudain les ennemis ajoutent cruauté à cruauté ; ils chargent sur ses épaules si meurtries, si déchirées par les coups de verge, le bois pesant de la croix. Ce tendre Sauveur ne refuse pas néanmoins de se courber sous ce fardeau qui n'était autre que celui de tous nos péchés ; que dis-je ? Par amour pour nous, il embrasse la croix avec une charité et .une obéissance infinies.

 

L'innocent Isaac s'achemine donc vers le lieu du sacrifice avec ce fardeau si accablant sur ses épaules si affaiblies. Une grande multitude le suit ; là sont aussi plusieurs pieuses femmes qui l'accompagnent de leurs larmes. Et qui aurait pu ne pas verser des pleurs à la vue du Roi des anges gravissant la montagne du Calvaire avec une charge si pesante, les genoux tremblants, le corps incliné, les yeux modestes, le visage ensanglanté, avec cette guirlande à la tête, au milieu de ces honteuses clameurs et de ces vociférations que l'on proférait contre lui ?

Cependant, ô mon âme, détourne quelques instants tes regards de ce cruel spectacle ; va en toute hâte, navrée de douleur, exhalant tes gémissements et tes plaintes, va à la demeure de la Vierge ; dès que tu seras en sa présence, tombe à ses pieds, et dis-lui avec l'accent de la plus amère douleur :« Ô Souveraine des Anges, Reine du ciel, Porte du paradis, Avocate du monde et Refuge des pécheurs, Salut des justes, Allégresse des saints, Maîtresse des vertus, Miroir de pureté, Gardienne de la chasteté, Modèle de patience et vivant abrégé de toute perfection ! Grâce, grâce, ma Souveraine ! Pourquoi ma vie a-t-elle été conservée jusqu'à cette heure ? Comment puis-je vivre, ayant vu de mes yeux ce que j'ai vu ? Pourquoi en dire davantage ? Je viens de quitter votre Fils unique et mon Maître ; il est entre les mains de ses ennemis, il porte sur ses épaules une croix sur laquelle il va être immolé. »

 

Qui pourrait jamais comprendre jusqu'où alla en ce moment la douleur de la Vierge ? Elle sentit son âme défaillir ; son visage et son corps virginal se couvrirent d'une sueur mortelle qui aurait dû lui ôter la vie, si Dieu, par un miracle ne l'eût réservée à un plus grand martyre, comme aussi à une plus grande couronne.

La Vierge se lève donc pour aller à la recherche de son Fils : le désir de le voir lui rend les forces que la douleur lui enlevait. Elle entend de loin le bruit des armes, le tumulte de la multitude, le cri des hérauts publics qui annonçaient la marche de la victime. Bientôt elle aperçoit les fers des lances et des piques qui brillaient en l'air ; elle trouve des gouttes et une trace de sang : c'en est assez pour suivre les pas de son Fils, elle n'a pas besoin d'autre guide. Elle approche de plus en plus de ce Fils bien-aimé, elle lève ses yeux obscurcis par la douleur et l'ombre de la mort, et cherche à découvrir ce Bien-Aimé de son âme. Ô amour, ô crainte du cœur de Marie ! D’un côté elle désirait de le voir, mais d'un autre, elle ne pouvait se résoudre à le voir dans un si lamentable état. Enfin, elle arrive à un endroit d'où elle peut découvrir son Fils ; leurs yeux se rencontrent, et ce regard d'ineffable compassion et d'ineffable amour perce leurs cœurs, et fait à leurs âmes mourantes la plus profonde blessure. Les langues étaient muettes, mais les cœurs se parlaient, et celui de ce très doux Fils disait à celui de sa Mère : « Pourquoi êtes-vous venue ici, ô ma Colombe, ô ma Bien-Aimée et ma Mère ? Votre douleur accroît la mienne, et vos tourments percent mon cœur. Retournez, mère chérie, retournez à votre demeure. Il ne convient pas à votre modestie et à votre pureté virginale de se trouver dans la compagnie d'homicides et de voleurs. »

Voilà les paroles, et d'autres plus touchantes encore, que durent s'adresser ces deux cœurs si remplis de compassion l'un pour l'autre. De cette manière, se fit ce cruel chemin jusqu'au lieu où l'on allait dresser la croix.

 

 

VENDREDI

Méditation sur le crucifiement et les sept dernières paroles de Notre-Seigneur

 

En ce jour, vous contemplerez le mystère de la Croix, et vous méditerez les sept dernières paroles de Notre-Seigneur.

Réveille-toi maintenant, ô mon âme, et commence à penser au mystère de la sainte Croix dont le fruit a réparé le mal que nous avait fait le fruit empoisonné de l'arbre défendu. Vois d'abord ce qui se passe dès que le Sauveur est arrivé au lieu du supplice. Afin de rendre sa mort plus honteuse, ses pervers ennemis le dépouillent de tous ses vêtements, lui enlevant jusqu'à sa tunique intérieure, laquelle depuis le haut jusqu'en bas n'était qu'un seul tissu, sans aucune couture. Considère avec quelle douceur ce très innocent Agneau se laisse déchirer sans ouvrir la bouche ni dire une seule parole contre ceux qui le traitent ainsi ; c'était au contraire de bon cœur qu'il consentait à être dépouillé de ses vêtements, et à subir toutes les hontes de la nudité, afin de couvrir par ses propres vêtements, bien mieux qu'avec les feuilles du figuier, la nudité où nous étions tombés par le péché de nos premiers pères.

Quelques docteurs disent que pour enlever au Seigneur cette tunique, on commença par lui arracher avec une grande cruauté la couronne d'épines qu'il avait à la tête, et que quand on l'eut dépouillé, on la lui remit en enfonçant une seconde fois les épines jusqu'au cerveau, ce qui dut lui causer une indicible souffrance. Il est à croire que ses bourreaux usèrent envers lui de cette cruauté, eux qui lui en firent subir tant d'autres et de si inhumaines dans le cours de sa passion ; que ne nous donne pas à entendre l'Évangéliste quand il dit qu'ils firent de lui tout ce qu'ils voulurent ? Comme la tunique était collée aux plaies reçues à la colonne, que le sang en était déjà glacé et ne formait qu'un même tissu avec elle, quand ils voulurent l'en dépouiller, ces cruels, sans entrailles, sans compassion, la lui arrachèrent d'un coup et avec tant de violence, qu'ils rouvrirent et renouvelèrent toutes les plaies de la flagellation ; de telle sorte que le saint corps resta de toutes parts ouvert, privé de son harmonie naturelle, et changé tout entier en une grande plaie qui, de tous côtés, laissait couler du sang.

 

Considère ici, ô mon âme, la hauteur de la bonté et de la miséricorde de Dieu, qui dans ce mystère, resplendissent d'une manière si visible. Vois comment celui qui revêt le ciel de nuages, et les champs de fleurs et de beauté, se trouve ici dépouillé de tous ses vêtements. Imagine quel froid dut souffrir ce saint corps, étant, comme il était, tout sillonné de blessures. Non-seulement ses habits lui ont été arrachés avec violence, mais sa chair même a volé en lambeaux sous les coups redoublés des verges. De la tête aux pieds, ce ne sont que des plaies ouvertes. Saint Pierre, avec ses vêtements et sa chaussure, avait souffert du froid la nuit précédente ; combien plus dut le sentir ce corps si délicat, entr'ouvert par tant de blessures, et sans aucun vêtement !

 

Considère ensuite, ô mon âme, comment le Seigneur fut attaché à la croix avec des clous, et la douleur qu'il devait ressentir pendant qu'on faisait entrer ces clous si forts et si acérés dans les plus sensibles et les plus délicates parties du corps le plus délicat qui fut jamais. Considère aussi le martyre que devait endurer la Vierge, quand elle voyait de ses yeux, qu'elle entendait de ses oreilles, ces coups cruels et redoublés qui tombaient sur ces membres divins ; car il est vrai de dire que ces mêmes clous qui perçaient les mains du Fils, perçaient en même temps le cœur de la Mère.

 

Considère comment ils se hâtèrent d'élever la croix en haut, et comment ils allèrent l'enfoncer dans l'endroit qu'ils avaient creusé pour cela ; comment ces cruels bourreaux, lorsqu'ils voulurent la planter, la laissèrent tomber tout d'un coup, en sorte que ce saint corps suspendu en l'air en ressentit une effroyable secousse, et que les blessures faites par les clous s'agrandirent, ce qui dut causer au divin Maître d'intolérables douleurs.

 

Ô mon Sauveur, ô mon très doux Rédempteur, peut-il y avoir quelque cœur, si dur qu'il soit, qui ne se fende de douleur (car en ce jour les rochers même se fendirent) s’il considère ce que vous endurez sur cette croix ? « Les douleurs de la mort vous ont environné ; et tous les vents et tous les flots de la mer se sont déchaînés contre vous (6). Vous avez été submergé au plus profond des abîmes, et vous ne trouvez pas sur quoi vous appuyer (7). » Le Père vous a abandonné ; et en cet état, Seigneur, que pouvez-vous espérer des hommes ? Vos ennemis jettent des cris contre vous, vos amis vous brisent le cœur, votre âme est affligée, et par amour pour moi, vous ne voulez point recevoir de consolation. Mes péchés ont été véritablement bien grands, et il n'en faut point d'autre preuve que la pénitence que vous avez voulu en faire. Je vous vois, ô mon souverain Maître, attaché à un bois. Pour soutenir votre corps béni, il n'y a que trois clous ; eux seuls le tiennent suspendu, sans autre adoucissement. Quand vous voulez vous appuyer sur les pieds, les clous qui les traversent en élargissent les plaies ; et quand vous vous appuyez sur les mains, le poids du corps en élargit également les blessures. Et votre sainte tête, tourmentée et affaiblie par la couronne d'épines, quel oreiller a-t-elle pour la soutenir ? Oh ! Que vos bras, divine Vierge, lui rendraient bien cet office ! Mais ce n'est pas aux vôtres, c'est à ceux de la croix que cet office est réservé. C'est sur eux que s'appuiera la tête sacrée de votre Fils quand elle voudra chercher quelque repos ; et le soulagement qu'elle en retirera, sera d'enfoncer plus profondément les épines dans le cerveau.

Un surcroît de douleur pour le Fils, ce fut la présence de sa divine Mère ; par cette vue, il endura dans son cœur un crucifiement non moins douloureux que celui qu'il endurait extérieurement dans son saint corps.

 

Ô bon Jésus ! Il y a en ce jour deux croix pour vous, l'une pour le corps, l'autre pour l'âme ; l'une vient des tourments, l'autre de la compassion ; l'une transperce votre corps avec des clous de fer, l'autre votre âme très sainte avec les pointes de la douleur. Qui pourra dire, ô bon Jésus, ce que vous ressentiez, lorsque vous considériez les angoisses de cette très-sainte âme que vous saviez si certainement être attachée avec vous à la croix ! Quand vous voyiez ce cœur si maternel percé et traversé par le glaive de la douleur ! Quand vous tourniez vers elle vos yeux baignés de sang, et que vous contempliez ce divin visage couvert de la pâleur de la mort ! Quand vous étiez témoin de ces agonies de son âme qui, sans mourir, était déjà plus que morte ! Quand vous voyiez ces torrents de larmes qui coulaient de ses yeux très-purs, et quand vous entendiez les soupirs qu'arrachait à son cœur très saint l'excès de son incomparable douleur !

Enfin, vous pourrez méditer les sept paroles que Notre-Seigneur fit entendre sur la croix. La première : Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (8). La seconde, qui fut dite au larron : Aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis (9). La troisième, à sa très sainte Mère : Femme, voilà votre fils (10). La quatrième : J'ai soif (11) La cinquième : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné (12). La sixième : Tout est consommé (13). La septième : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains (14).

 

Regarde, ô mon âme, avec quel excès de charité il recommanda dans ces paroles ses ennemis à son Père ; avec quelle miséricorde il reçut le larron qui confessait sa divinité ; avec quelle tendresse filiale il recommanda sa très aimante Mère au disciple bien-aimé ; vois quelle soif et quel ardent désir il montra du salut des hommes ; avec quelle voix douloureuse il répandit sa prière, et exprima sa tribulation en présence de la très-sainte majesté de son Père ; comment il persévéra, jusqu'à la dernière heure, dans l'obéissance qu'il lui avait vouée ; et comment, enfin, il lui recommanda son âme, et se remit tout entier entre ses divines mains.

 

Il est facile de voir que chacune de ces paroles renferme une admirable leçon de vertu. Dans la première, le divin Maître nous recommande la charité envers les ennemis ; dans la seconde, la miséricorde envers les pécheurs ; dans la troisième, l'amour envers les parents ; dans la quatrième, le désir du salut du prochain ; dans la cinquième, la prière dans les tribulations et dans les délaissements de Dieu ; dans la sixième la vertu de l'obéissance et la persévérance ; enfin dans la septième, la parfaite résignation entre les mains de Dieu, qui est l'abrégé et le comble de toute notre perfection.

 

 

SAMEDI

Méditation sur le coup de lance donné au Sauveur, sur la descente de la croix,

sur les douleurs de la Vierge, et sur la sépulture de Notre-Seigneur

 

Vous considérerez en ce jour comment Notre-Seigneur eut le côté percé par une lance, comment il fut descendu de la croix, reçu dans les bras de la Vierge, et porté au tombeau.

Considérez donc comment le Sauveur ayant rendu le dernier soupir sur la croix, et ses plus cruels ennemis ayant exécuté le dessein qu'ils avaient de le faire mourir, leur fureur néanmoins n'est pas encore assouvie. Ils veulent pousser plus loin leur vengeance : ils s'acharnent sur le corps inanimé du divin Maître ; ils tirent au sort et se partagent ses vêtements, et ils percent sa poitrine sacrée d'un coup de lance.

Ô cruels bourreaux ! Ô cœurs de fer ! Ce corps a-t-il donc, à votre gré, si peu souffert étant vivant, que vous ne vouliez pas lui faire grâce, même après sa mort ? Est-il inimitié, si implacable qu'elle soit, qui ne s'apaise en voyant devant elle son ennemi mort ? Inhumains, levez un peu votre regard vers la croix, et voyez cette figure où la mort est peinte, ces yeux éteints, cette pâleur, cette ombre du trépas ; et, quoique vous soyez plus durs que le fer, que le diamant, vous-mêmes, à cette vue, vous vous adoucirez.

Le soldat, ministre de leur vengeance, arrive donc la lance à la main, et la plonge avec force dans la poitrine nue du Sauveur. La croix fut ébranlée en l'air par la violence du coup, et du côté entr'ouvert du Sauveur, il sortit de l'eau et du sang qui guérissent les péchés du monde. Ô fleuve qui sors du paradis et qui arroses de tes eaux toute la surface de la terre ! Ô plaie du précieux côté du Sauveur, faite bien plus par son amour pour les hommes que par le fer de la lance cruelle ! Ô porte du ciel, entrée du paradis, lieu de rafraîchissement, tour inexpugnable, sanctuaire des justes, sépulture des pèlerins, nid des colombes simples, et lit fleuri de l'épouse des Cantiques ! Je te salue, plaie du précieux côté, qui t'imprimes dans les cœurs dévots, blessure qui blesses les âmes des justes, rose d'ineffable beauté, rubis d'inestimable valeur, entrée du cœur de Jésus-Christ, témoignage de son amour et gage de l'éternelle vie !

Considérez ensuite comment, ce même jour, au soir, arrivèrent ces deux saints personnages, Joseph et Nicodème, et comment, ayant appliqué leurs échelles contre la croix, ils descendirent entre leurs bras le corps du Sauveur. Dès que la Vierge vit que ce corps sacré, qui venait d'essuyer la tourmente de la passion, était près de toucher à terre, elle se prépara aussitôt à lui offrir sur son sein un port assuré, et à le recevoir des bras de la croix dans les siens. Elle demande donc avec une grande humilité à ces nobles disciples qu'ils lui permettent maintenant de s'approcher de son Fils, puisqu'elle n'avait pu lui dire un dernier adieu, ni recevoir ses derniers embrassements quand il était sur le point d'expirer sur la croix ; qu'ils ne souffrent pas que sa douleur s'accroisse de toutes parts ; et que, si ses ennemis l'ont privée de cette consolation pendant que son Fils était vivant, ses amis du moins la lui accordent après sa mort. Mais quelle langue pourrait dire ce que la Vierge sentit lorsqu'elle le tint dans ses bras ? Ô anges de paix ! Pleurez avec cette divine Vierge ; cieux, pleurez ; pleurez, étoiles du ciel, et vous toutes, créatures de l'univers, unissez vos larmes à celles de Marie.

Cette très sainte Mère embrasse ce corps qui n'est plus qu'une plaie ; elle le serre étroitement contre son cœur, car il ne lui restait de forces que pour cela ; elle met sa tête entre les épines de sa tête sacrée, et colle son visage à celui de son Fils. La figure de la très-sainte Mère se teint du sang du Fils, et celle du Fils est arrosée des larmes de la Mère.

Ô douce Mère, est-ce donc là votre très doux Fils ? Est-ce là Celui que vous avez conçu avec tant de gloire, et enfanté avec tant d'allégresse ? Où sont donc maintenant vos joies passées ? Que sont devenues vos anciennes jubilations ? Où est ce miroir de beauté où vous vous regardiez ?

 

Tous ceux qui étaient présents pleuraient ; ces saintes femmes pleuraient ; ces nobles vieillards pleuraient ; le ciel et la terre pleuraient, et toutes les créatures mêlaient leurs larmes à celles de la Vierge. Saint Jean l'Évangéliste pleurait aussi amèrement, et, tenant embrassé le corps de son bon Maître, il disait : « Ô mon Seigneur et mon cher Maître ! Qui m'enseignera désormais ? À qui irai-je dans mes doutes ? Sur la poitrine de qui reposerai-je ? Qui me découvrira les secrets du ciel ? Ô quel étrange changement ! Hier soir vous me teniez sur votre cœur, répandant en moi l'allégresse et la vie ; et maintenant je vous paye une faveur si extraordinaire, en vous tenant mort sur mon cœur ! Est-ce là ce visage que je vis transfiguré sur la montagne du Thabor ? Est-ce là cette figure plus resplendissante que le soleil en son midi ? »

 

Magdeleine, la sainte pécheresse, fondait aussi en larmes, et, tenant embrassés les pieds du Sauveur, elle disait : « Ô lumière de mes yeux et remède de mon âme, si le souvenir de mes péchés m'accable, qui me recevra ? Qui guérira mes blessures ? Qui prendra la parole en ma faveur ? Qui me défendra contre les Pharisiens ? Oh ! Que ces pieds étaient différents de ce qu'ils sont maintenant, quand vous me permîtes de m'en approcher, et que je les lavai de mes larmes ! Ô Amour de mon cœur, que ne m'est-il donné en ce moment de mourir avec vous ! Ô Vie de mon âme, comment puis-je dire que je vous aime, puisque je suis vivante et que je vous vois mort devant mes yeux ? »

 

Ainsi pleurait et se lamentait toute cette sainte compagnie, arrosant et lavant de ses larmes le corps sacré. Mais l'heure de la sépulture étant arrivée, ils enveloppent ce saint corps d'un linceul blanc ; ils enveloppent sa tête d'un suaire, et, l'ayant placé sur un brancard, ils s'acheminent vers le monument qui lui était préparé, et ils y déposent ce précieux trésor. Le sépulcre fut fermé par une pierre. À ce moment, le cœur de la divine Mère est plongé dans un abîme de tristesse. Là, elle se sépare une seconde fois de son Fils ; là, elle commence de nouveau à sentir sa solitude ; là, elle se voit dépossédée de Celui qui est tout son bien ; là, son cœur demeure enseveli avec Celui qui est son trésor.

 

 

DIMANCHE

Méditation sur la descente de Notre-Seigneur aux limbes,

sur ses apparitions à la très-sainte Vierge et aux disciples,

et sur le mystère de sa triomphante ascension

 

En ce jour, vous pourrez vous occuper de la descente du Seigneur aux limbes, de ses apparitions à Notre-Dame, à sainte Magdeleine et aux disciples, enfin du mystère de sa glorieuse ascension.

Considérez d'abord combien grande dut être l'allégresse de ces saints patriarches des limbes, le jour où ils reçurent la visite de leur libérateur, où ils jouirent de sa présence. Par quels cantiques d'actions de grâce, par quelles louanges, quelles bénédictions, ils exaltent Celui qui a fait lever sur eux ce jour de la délivrance si désiré et si attendu ! On dit que ceux qui reviennent des extrémités de l'Orient se trouvent bien payés de tous les ennuis de la navigation par la joie qu'ils éprouvent le jour où ils foulent le sol de leur chère patrie. Si, après la traversée, après un ou deux ans d'exil, l'aspect de la patrie cause tant de bonheur, quel torrent d'allégresse ne dut pas inonder les habitants des limbes, le jour où, après trois ou quatre mille ans d'exil, ils voyaient briller la bannière de la délivrance, et touchaient au port dans la terre des vivants !

 

Considérez ensuite la joie dont le cœur de la très sainte Vierge tressaille en ce jour, à la vue de son Fils ressuscité : de même que c'est elle qui, sans nul doute, a le plus ressenti les douleurs de sa passion ; de même aussi c'est elle qui participe le plus à l'allégresse de sa résurrection. Que se passe-t-il dans son cœur, quand elle voit devant elle son Fils vivant, resplendissant de gloire, accompagné de tous ces justes qui ressuscitèrent avec lui ? Que fait-elle ? Que dit-elle ? Avec quel élan d'amour elle se jette dans les bras de ce Fils bien-aimé ! Avec quelle tendresse de mère elle l'embrasse ! De quelles larmes de bonheur ses yeux l'inondent ! Oh ! Comme elle voudrait ne plus se séparer de lui, si cette grâce lui était accordée !

 

Après l'allégresse de la divine Vierge, considérez celle de ces saintes Maries, et en particulier l'allégresse de cette Marie qui persévérait à pleurer près du sépulcre, attendant le moment où elle verrait le Bien-Aimé de son âme, et se jetterait à ses pieds. Quel moment pour elle, quand tout à coup elle voit ressuscité et vivant Celui qu'elle cherchait et qu'elle désirait si ardemment de voir, ne serait-ce que mort ! Pesez ceci bien attentivement : après la divine Mère, c'est à Marie-Magdeleine que Notre-Seigneur se montre d'abord, c'est-à-dire à celle qui l'aima le plus, qui persévéra le plus, qui pleura le plus, qui le chercha avec le plus de sollicitude. Cette conduite du divin Sauveur vous apprend que si vous cherchez votre Dieu avec ces mêmes larmes et ces mêmes sollicitudes, vous le trouverez, vous aussi.

 

Considérez comment il apparut sous la forme d'un voyageur aux disciples qui allaient à Emmaüs ; remarquez avec quelle affabilité il leur parle, avec quelle familiarité il les accompagne, avec quelle douceur il se cache, et ensuite avec quel amour il se fait connaître ; enfin comment il laisse ces heureux disciples ravis de sa présence, et le cœur inondé de joie. Comme eux, entretenez-vous avec douleur et un vif sentiment de compassion des souffrances et des travaux de Jésus-Christ, et tenez pour certain qu'en gardant fidèlement ce souvenir, vous aurez le bonheur de jouir de la présence et de la compagnie de ce bon Maître.

 

Quant au mystère de l'ascension, considérez d'abord comment Notre-Seigneur différa de remonter à la droite de son Père, l'espace de quarante jours, pendant lesquels il apparaît à différentes reprises à ses disciples, les instruisant et parlant avec eux du royaume de Dieu. Ce bon Maître ne voulut monter au ciel ni se séparer de ses chers disciples qu'après les avoir rendus capables de s'élever en esprit avec lui et de le suivre par le cœur, jusqu'au séjour de sa gloire. Vous apprendrez par là que la présence corporelle de Jésus-Christ, c'est-à-dire la douceur sensible de la consolation, abandonne très souvent ceux qui ont assez de force pour prendre leur vol en esprit jusqu'aux régions élevées, et s'y maintenir plus à l'abri du danger. C'est en cela que resplendit merveilleusement la providence de Dieu, et la manière dont il traite les siens en divers temps. Il accorde des douceurs aux faibles, et il exerce les forts ; il donne du lait aux tout petits, et il sèvre les grands ; il console les uns, et il éprouve les autres ; il traite chacun suivant le degré de vertu où il est arrivé. C'est pourquoi celui qui reçoit des douceurs n'a point à s'enorgueillir, puisque ces douceurs sont une preuve de sa faiblesse ; et celui qui est désolé ne doit point perdre courage, puisque ces désolations sont très souvent l'indice de la force.

 

Notre-Seigneur monta au ciel en présence de ses disciples et sous leurs yeux, parce qu'ils devaient être témoins de ces mystères ; et nul n'est meilleur témoin des œuvres de Dieu que celui qui les connaît par expérience. Si vous voulez véritablement savoir combien Dieu est bon, combien il est doux et suave envers les siens, combien grande est la puissance et l'efficacité de sa grâce, de son amour, de sa providence et de ses consolations, demandez-le à ceux qui en ont fait l'épreuve ; c'est à eux qu'il appartient d'en rendre témoignage. Le divin Maître voulut aussi que ses disciples le vissent monter au ciel afin qu'ils le suivissent de leurs regards et de leurs cœurs, qu'ils fussent sensibles à son départ, qu'ils se trouvassent, par son absence, dans une cruelle solitude, parce que c'était là la meilleure disposition pour recevoir sa grâce. Élisée demanda à Élie son esprit : le bon maître lui fit cette réponse : « Si tu me vois quand je prendrai mon essor en me séparant de toi, c'est la preuve que ta demande est accordée (15). » Disons-le donc, les vrais héritiers de l'esprit de Jésus-Christ seront ceux que leur amour pour ce divin Maître rendra sensibles à son départ, et qui, inconsolables de son absence, ne cesseront, tant qu'ils seront dans cet exil, de soupirer après sa présence. Tels étaient les sentiments de ce saint homme qui disait : « Tu nous as quittés, ô tendre consolateur, et tu ne m'as pas dit un dernier adieu ; en suivant cette route lumineuse qui te conduisait à la patrie, tu as béni les tiens, et moi je ne l'ai point vu ; les anges promirent que tu reviendrais, et moi je ne l'ai point entendu ! » etc.

 

Mais quelles paroles pourraient peindre la solitude, la douleur, les soupirs, les larmes de la très sainte Vierge, du disciple bien-aimé, de sainte Magdeleine, et de tous les apôtres, quand ils virent s'élever dans les airs et disparaître à leurs yeux Celui qui emportait leurs cœurs si bien ravis par son amour ! Il est dit cependant qu'ils retournèrent à Jérusalem avec une grande joie, tant ils aimaient cet adorable Maître. Ce même amour qui leur faisait si cruellement sentir son départ, les inondait de joie à la pensée de sa gloire, parce que le véritable amour ne se cherche point lui-même, mais uniquement son Bien-Aimé.

 

Il reste à considérer avec quelle gloire, quelle allégresse, quels accents, quelles louanges, ce divin triomphateur dut être reçu dans la Cité souveraine. Quelle fête ! Quel accueil ! Quel spectacle ! Les hommes, ne faisant qu'un avec les anges, s'avançant dans cette noble cité, et allant peupler ces places désertes depuis tant d'années ; et cette humanité très-sainte du Christ, s'élevant au-dessus des hommes comme au-dessus des anges, et allant s'asseoir à la droite du Père ! Tout mérite ici les plus profondes réflexions ; on voit le prix et la couronne des souffrances endurées pour l'amour de Dieu ; on voit comment Celui qui s'est plus anéanti et qui a plus souffert que toutes les créatures, est maintenant exalté et infiniment élevé au-dessus d'elles. Par là, les amateurs de la véritable gloire apprennent quel chemin ils doivent suivre pour l'obtenir : ce chemin, c'est de descendre pour monter, c'est de se mettre au-dessous de tous pour être élevé au-dessus de tous.

 

(1) Matth., XXVI, 38

(2) Matth., XXVI, 39

(3) Luc., XXII, 52, 53)

(4) Joan., XVIII, 23

(5) Cant., III, 11

(6) Ps. XVII, 5

(7) Ps. LXVIII, 3

(8) Luc., XXIII, 34

(9) Luc. , XXIII, 43

(10) Joan., XIX, 26

(11) Joan. XIX, 28

(12) Matth., XXVII, 46

(13) Joan., XIX, 30

(14) Luc., XXIII, 46

(15) IV. Reg. II, 10