Le cas de Martin a fait l'objet d'une étude approfondie par l'historiographe G. Lenôtre; son livre a pour titre: Martin, le Visionnaire (1816-1834); il est bien entendu que le millésime 1816 ne se rapporte pas à la naissance de notre Voyant, mais à l'année où ont eu lieu les apparitions de l'Archange Raphaël. Le livre de Lenôtre a paru dans la collection: Figures d'Histoire tragique ou mystérieuse, chez Perrin, Paris 1924.

 

     Les cent premières pages de l'ouvrage rapportent les mêmes faits que ceux que nous avons reproduits d'après notre document de 1817, document que Lenôtre ne semble pas avoir connu, car il ne le cite pas. Pour son étude, cet auteur a consulté les documents d'archives, rapports de police, rapports médicaux et lettres de Martin qu'il reproduit dans leur texte original, émaillé de nombreuses fautes d'orthographe, ce que n'a pas cru devoir faire notre document; le sens de ces missives est identique.

 

     Tout en admettant la réalité des apparitions et des messages reçus par Martin, Lenôtre laisse planer un certain doute sur le phénomène; ainsi nous relevons des phrases comme celle-ci: «Avant de «s'évaporer» l'apparition révéla ce qui allait arriver» (p. 38), et quelques pages plus loin nous lisons encore: «II (Martin) voit ou croit voir un Ange». Cependant la même page nous donne cette appréciation: «La sincérité de Martin est absolue».

 

      Toutefois Lenôtre, immédiatement après, émettra les remarques suivantes qui montrent que, rationnellement, il fait toutes réserves:

 

      La réalité de cet ange inspire, il faut l'avouer, plus de méfiance: son costume, d'abord — chapeau haut, longue redingote, brodequins lacés — est un peu déconcertant; puisqu'il n'est visible que pour Martin, que ne se montre-t-il dans l'appareil prestigieux que la tradition attribue aux miliciens des phalanges célestes: robe vaporeuse, ailes frissonnantes, étincelante auréole?

      Dans ce cas, en décidant que l'apparition angélique aurait dû se conformer à une certaine représentation picturale, toute symbolique, l'auteur montre qu'il n'a pas eu connaissance ou qu'il ne tient pas compte des descriptions d'anges données par des mystiques qui s'accordent tous pour ne pas leur avoir vu des ailes. En frontispice de son ouvrage, Lenôtre donne la reproduction d'un curieux tableau illustrant la vision de Martin, tableau attribué à Van der Cuisse. La figure de Martin aurait été peinte d'après nature, en 1816, à Gallardon. Celle de l'Ange, d'après les indications données à l'artiste par le visionnaire. Le tableau original appartient à M. Frédéric Barbey, ministre de Suisse en Belgique.

      Et Lenôtre de poursuivre sa critique de l'apparition angélique:

       On est aussi un peu déçu de l'inélégance de ses paroles et de l'indigence de ses discours; ils ne nous sont connus, c'est vrai, que par l'interprétation de Martin et, peut-être, en les répétant, le paysan les accommode-t-il à sa manière. L'ange, d'ailleurs, est singulièrement instruit de ce qui se passe et même de ce qui se prépare au ministère de la police: il serait embrigadé parmi les agents provocateurs de Decazes qu'il n'en saurait pas davantage...

       D'autre part, puisque la véracité de Martin est indéniable, il n'est point permis de faire une sélection dans ses récits, d'en admettre ce qui paraît vraisemblable pour rejeter ce qui choque l'entendement.

      D'après Lenôtre, le Roi n'aurait pas cru à la réalité de l'Ange, «il entrevoit une inexplicable machination dont le naïf laboureur est la dupe».

 

      Cependant trois pages plus loin (p. 86), l'auteur rapporte un fait en complète contradiction avec cette première assertion: «Le Roi saisit la main de Martin debout auprès de son fauteuil: «Que je touche la main que l'Ange a serrée... Priez pour moi!»

 

      Sa mission une fois accomplie, de retour à sa ferme, Martin mène une vie modeste et sans prétentions; l'Ange ne se manifeste plus. Cependant, son histoire s'étant ébruitée, malgré le secret dont on l'avait entourée, Martin reçut beaucoup de visites et de lettres flatteuses et enthousiastes; à la fin, elles eurent raison de la modestie du paysan; il succomba et fut dominé par l'orgueil. Dès lors il fut une victime aux mains des naundorffistes qui pensèrent pouvoir utiliser le crédit surnaturel dont bénéficiait le laboureur à cause de ses visions passées.

 

      Notre document sur Martin, datant de 1817, ne fait état que de la grande modestie du visionnaire, ainsi que de sa grande discrétion. Les cent cinquante dernières pages du livre de Lenôtre sont consacrées à relater l'effet désastreux des adulations dont Martin était la victime; pour comble de malheur le curé de Gallardon avait été déplacé et il ne pouvait plus être de bon conseil à son ancien protégé. À ce sujet, Lenôtre aura une page pleine de sens:

      C'est à ce moment que Martin, jusqu'alors dénué de prétentions et réfractaire à toute gloriole, commença de prendre goût à la renommée, aux hommages, aux protestations de vénération exaltée dont l'accablaient les dévots inconnus qui, de tous les points du royaume, lui écrivaient pour réclamer son intercession et ses prières, ou entreprenaient, afin de fléchir devant lui le genou et lui baiser la main, le pèlerinage de Gallardon. Privé de son guide spirituel, il allait, pour la première fois, se trouver sans défense, aux prises avec le démon de l'orgueil, céder à l'ambition de jouer un rôle et de recueillir les avantages honorifiques et les faciles profits matériels inhérents à son exceptionnelle situation (p. 111).

 

       Cette transformation de Martin fut déplorable, et Lenôtre de le noter avec netteté:

      Martin est fait maintenant à ce cérémonial (baise-main); il ne s'étonne plus des hommages. On discerne facilement qu'il n'est plus le paysan timoré qu'effrayaient les premières apparitions de l'Ange et qui ne faisait rien sans consulter son curé. Gorgé d'adulations, il sent son importance: il a pris de l'autorité; il commandée et traite des choses saintes avec la rondeur tranchante d'un initié, familier des phalanges célestes.

 

       Cependant l'Ange, ainsi qu'il l'avait dit dès le début, ne vient plus. Martin prétend entendre des voix qui le guident et le conseillent. Il est embrigadé dans la cause de Naundorff et déclare même que l'horloger prussien est bien Louis-Charles évadé du Temple. Et tous les naundorffistes de renchérir à qui mieux mieux sur «l'infaillibilité du visionnaire de Gallardon». Ce qui amènera cette réflexion sous la plume de Lenôtre: «Les partisans de Naundorff sont naïfs, crédules, dénués d'esprit critique; leur fervente dévotion incline au mysticisme; ils ont la faiblesse de croire aux visions et aux prophéties, et, sur ce point, tout s'accorde à nourrir leur illusion.» Cependant la voix aurait révélé à Martin que Naundorff, «vers la fin, se verra abandonné de tous ses amis.» Ce qui arriva en effet.

 

      Au soir de sa vie, en 1834, Martin entend «une voix sévère, bien différente de la voix miraculeuse qui lui a parlé en tous lieux depuis dix-huit ans». Cette voix le sommait de renoncer à sa mission d'annonciateur du Dauphin ressuscité.

 

      Se trouvant à Chartres, fin avril 1834, Martin tomba malade et après une courte rémission du mal, serait mort d'indigestion, le 8 mai. On pensa naturellement à un empoisonnement, ce qui ne put être prouvé (l'autopsie fut trop tardive).

 

 

 

Mlle Couédon et les multiples manifestations de l'Archange Gabriel

 

      Le cas de Mlle Couédon, inspirée par l'Archange Gabriel, est à mettre en parallèle avec celui du laboureur Martin, inspiré par l'Archange Raphaël. Gaston Méry a fait de ce cas une étude très détaillée et il a consigné ses observations en une suite de brochures intéressantes à consulter:

 

Fascicules

     I à III La Voyante de la Rue de Paradis.

          IV La Voyante et les Apparitions de Tilly-sur-Seulles.

           V La Voyante et les Apparitions de Tilly (Eugène Vintras).

          VI La Voyante et ses détracteurs.

         VII La Voyante et les derniers événements de Tilly. Le Roi. Le Tzar.

        VIII La Voyante et les Maisons hantées.

          IX La Voyante et l'Histoire de demain.

 

      Tous ces fascicules ont paru chez Dentu, à Paris s. d. (1896-1897).

      Mlle Henriette Couédon est née à Paris, le 16 octobre 1872, rue de Paradis. C'est en 1896 que M. Gaston Méry eut l'occasion de suivre et d'examiner longuement cette voyante, dont les facultés extraordinaires avaient débuté et s'étaient développées au contact d'une autre voyante, Mme 0. qui, dès le début, avait prédit l'apparition des extases chez Mlle Couédon et prévu l'importance de sa mission.

 

      Toutes les prédictions de la Voyante sont de sérieux avertissements: les hommes doivent faire pénitence, sinon la France sera châtiée, Paris sera brûlé; il y aura de terribles épidémies, les malades verront leur peau se tacher de points sanguinolents. À ce moment, les Anges deviendront familiers; il y aura de multiples conversions; la guerre éclatera. «Je vois, dit-elle, les gens massacrés, et la Seine de sang teintée».

 

      Voici quelques déclarations intéressantes de la Voyante:

      «L'Archange Gabriel me parle et j'entends sa voix. Je retiens ce qu'il m'adresse à moi. J'oublie, ou plutôt j'ignore ce qu'il me fait dire aux autres... Quand l'Ange parle par ma bouche, je ne suis qu'un instrument, je disparais, je suis nulle... L'Archange a dit qu'il était le messager de Dieu, envoyé pour annoncer aux hommes les maux qui les menacent et prédire à la France le retour à la Royauté... L'Ange m'a dit que j'aurais des épreuves à traverser, un véritable calvaire... Si je reçois de l'argent, mes dons me seront retirés, car les dons de Dieu ne se vendent pas.»

 

      Dans la majorité des cas, les prédictions de l'Ange se sont révélées parfaitement exactes, même dans certains cas où les consultants ont tout d'abord déclaré que les dires de la Voyante ne correspondaient pas avec les possibilités prévisibles du sujet. Ainsi il fut dit à un prêtre interdit qui consultait l'Archange sur son propre devenir, qu'il serait bientôt réintégré dans ses fonctions, ce qui arriva en effet; à un autre prêtre il fut prédit qu'il changerait de diocèse, chose qui lui paraît sur le moment fort improbable et la mutation intervient cependant à brève échéance. Un consultant obtint un diagnostic précis de l'état sanitaire de sa fille. Un autre consultant, à sa grande surprise, apprend qu'il est en passe de recevoir l'avis d'un héritage inattendu.

 

      M. l'abbé Sabatier fut averti de la maladie de sa sœur; croyant qu'elle se portait parfaitement bien, il déclare la prédiction erronée, mais de retour chez lui, il trouve une lettre qui lui apprend que sa sœur était gravement malade.

      Gaston Méry à plus d'une reprise a reçu des avertissements qui se sont révélés parfaitement exacts.

 

      Citons un dernier cas de voyance extraordinaire de faits ignorés des consultants; un vieillard maniaque et sénile était mort sans laisser aucune fortune à ses héritiers et cependant on savait qu'il avait un certain nombre de titres; la Voyante décrit une cachette dissimulée dans un placard où sont déposés les titres avec encore dessus une pièce de cent francs en or; recherches faites, on trouve la cachette dissimulée derrière un mur de briques.

 

      Il est à noter que les catastrophes annoncées par Mlle Couédon ont une grande analogie avec ce que la Vierge Marie a révélé, sur la montagne de la Salette à Mélanie Calvat, la jeune bergère.

 

      Un prêtre, frappé par les avertissements de l'Ange Gabriel déclara: «L'Ange a été créé pour le service de l'homme en qui devait s'incarner le Verbe. Servir l'homme est sa destination, sa raison d'être, et Dieu ne peut supprimer la liberté de l'homme, sans supprimer l'Ange lui-même.

 

      Il va de soi que les facultés de Mlle Couédon ont suscité des réactions diverses et contraires dans le clan médical et religieux. Un membre de l'Académie de médecine, le Dr Dumontpallier, déclara que la Voyante était une farceuse et une folle; cependant Papus ayant examiné le sujet, ayant constaté les visions justes, ne craignit pas de s'inscrire en faux contre cette condamnation sommaire proférée par l'Académicien. Dans le clan religieux, on incline pour un cas de possession. À l'ouïe de toutes ces critiques prématurées et superficielles, Gaston Méry fera remarquer: «C’est justement parce que le cas de Mlle Couédon déroute les médecins que la majorité d'entre eux se montrent si acerbes à son égard." Et avec un sourire malicieux, il conclura: «Tout ce qui a été dit, tout ce qui a été imprimé, tout ce qui a été tenté pour démonétiser «l'ange Gabriel» a été dit, imprimé et tenté en pure perte. L'Ange Gabriel se porte à merveille et vaticine plus que jamais.»

 

Fig. 34. Mlle Henriette Couédon entend la voix de l'Archange. (D'après une photographie)

Fig. 35. Mlle Henriette Couédon en transe. (D'après une photographie.)

Fig. 36. Autographe et pensée de Mlle Henriette Couédon.

Nous ne devons pas trop nous fier à nous-mêmes, parce que souvent nous manquons d'intelligence et de grâce. Henriette Couédon

 

     Quant aux ecclésiastiques qui pensent que l'esprit qui se manifeste par le canal de Mlle Couédon est démoniaque, l'auteur soumet à leur méditation la communication suivante difficilement attribuable à un esprit de l'ombre:

 

      «Je suis envoyée par la Très Sainte Vierge Marie pour sauver votre terre et ramener à Dieu les pécheurs. Je viens consoler les déshérités du monde, car c'est aux petits que je m'adresse d'abord. Je viens vous enseigner que la main qui dirige tout être est la main de Dieu. Je viens le rappeler à ceux qui ont oublié la puissance éternelle du Seigneur, et le redire aux personnes qui ont le doute en elles. J'avais quitté la terre, mais parmi vous je reviens. Je recommencerai à vous instruire. Tout ce que je vous dis, tout ce que j'enseigne, tout ce que je ferai pour le bien de votre âme émane de Dieu et de sa volonté, car Dieu a gardé pour vous l'amour que vous lui avez refusé!»

 

      Si la plupart des religieux sont restés sur la réserve, il y en eut cependant qui ne craignirent pas de prendre fait et cause pour la Voyante, témoin le petit livre paru chez Téqui, à Paris, en 1897: Les Manifestations du Monde surnaturel et Mlle Couédon, la Voyante de la rue de Paradis, en face des mécréants et des adversaires, avec la réfutation de quelques objections et un des principaux entretiens de la Voyante, par Un Curé de Campagne, auteur de plusieurs ouvrages très estimés. L'auteur, à la suite de son étude affirmera que «l'ange qui se manifeste n'est pas, comme certains ecclésiastiques l'ont prétendu, un ange d'erreur; il dira:

 

«Nous considérons comme se rattachant à cette mission les appels à la prière et à la pénitence, l'annonce de l'intervention de la sainte Vierge et de saint Michel dans la grande crise en question, ainsi que d'un retour général à la religion et de la réparation de ce qu'on a fait contre elle, de telle sorte que l'on brûle ce que l'on avait adoré et que l'on adore ce qu'on avait brûlé.»

 

      Pour bien faire ressortir la similitude de l'enseignement de l'ange avec celui de Jésus-Christ, l'auteur met en parallèle les textes suivants:

 

       La Bible: L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé guérir ceux qui ont le cœur brisé. (Luc IV, 18.)

 

Car le Fils de l'homme est venu sauver ce qui était perdu.(Matth. XVIII, 11.)

 

       L'Ange: Je viens consoler les délaissés du monde, car c'est aux petits que je m'adresse tout d'abord.

 

       La Bible: Jésus dit: «Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël.» (Matth. X, 6.)

 

       L'Ange: Je suis envoyé vers ceux qui sont tombés. C'est pour les égarés que Dieu m'a envoyé.

 

      Et l'auteur de proclamer: «N'est-il pas évident que c'est le même esprit qui se manifeste dans les paroles de l'ange, comme dans celles de Notre-Seigneur Jésus-Christ?»

 

      À méditer également ces paroles de l'Ange:

      «Vous ne comprenez pas quelle grâce Dieu vous accorde!... Vous êtes si imbus de bien-être nécessaire à la vie! Vous n'admettez de bonheur et de satiété qu'en ce que la terre vous procure. De l'or, de l'argent, c'est votre rêve, c'est ce qui vous charme et vous attire, c'est ce qui vous attache et vous lie, c'est ce que vous voulez atteindre. À quoi bon vouloir ces biens périssables! Il en est un plus utile; il est nécessaire, il est éternel: le ciel! Que faites-vous pour le posséder? Rien!»

 

       Voici encore quelques monitions de l'Ange qu'il nous paraît difficile d'attribuer à un ange des ténèbres ainsi que quelques-uns l'ont fait:

 

      II faut demander pardon à Dieu de nos péchés, le remercier de ceux qu'il nous a déjà pardonnés et ne plus l'offenser.

 

      Il faut prier avec humilité et simplicité, prier la Vierge immaculée.

 

      Elle va bientôt se montrer à de pauvres enfants en bas âge. Au moment des dangers, elle nous protégera.

 

      Plusieurs se sont trompés, d'autres ont fait des chutes; il ne faut pas les juger: Dieu seul est juge.

 

      Les anges deviendront familiers et protégeront les simples qui mettront leur confiance en Dieu.

 

      Priez aussi pour celui que Dieu va envoyer, saint Michel; c'est son épée qui pour vous va frapper...

 

      Je vois que l'ange exterminateur a passé. Je vois les maisons marquées. Cependant, il ne faut pas exagérer: il y en aura d'épargnées.

 

      Les riches sans pitié seront exterminés, mais les bons réservés.

 

      On verra la grotte illuminée, la Vierge se montrer. Les anges devenus familiers, pourront vous diriger.

 

      Humilité, pardon, amour, charité. C'est la vraie liberté que je viens vous prêcher.

 

      Vous tous qui m'écoutez, ne vous tourmentez pas. Au moment des dangers, vous serez protégés.

       C'est sur ces réconfortantes promesses de l'Archange Gabriel que nous quitterons la Voyante de la rue de Paradis, Mlle Henriette Couédon!