SECTION II:

Le saint Curé d'Ars (1786-1859) et les manifestations angéliques et diaboliques

 

      Le Curé d'Ars, connaissant le rôle de protecteurs et de guides des âmes dans l'Au-Delà assumé par les Anges, refusait parfois, de prier pour certains décédés; il avait coutume alors de dire: «C'est une de ces âmes pures pour lesquelles on ne prie pas.» ou encore : «Mon enfant, cette personne (sur le point de mourir) est mûre pour le ciel. Le bon Dieu la demande. Ne retardons pas son voyage... Ne la retenons pas, par nos voeux ou par nos prières.» Le curé d'Ars suivait en cela la pensée de Bossuet affirmant: «Le Père céleste ouvre son paradis par avance, et laisse tomber sur les âmes tant de lumière et de douceur (par la succession des hiérarchies célestes), qu'étant encore dans le corps mortel, les fidèles peuvent dire que leur demeure est au ciel et leur société avec les anges.» Or le Curé d'Ars pouvait déjà dire cela par expérience personnelle, car, quoique retenu dans les liens du corps, il n'était guère moins appliqué à Dieu que ces pures intelligences (les âmes des saints et des anges) qui brillent toujours devant Dieu par la lumière de la charité éternelle.

 

      Lors d'un de ses catéchismes, le saint Curé s'écria, dans un ravissement: «Quelle joie pour l'ange gardien chargé de conduire une âme pure... Mes enfants, quand une âme est pure, tout le ciel la regarde avec amour.» Et dans une autre occasion, il dit encore: «Une âme pure est comme une belle perle. Tant qu'elle est cachée dans un coquillage, au fond de la mer, personne ne songe à l'admirer. Mais si vous la montrez au soleil, cette perle brille et attire les regards. C'est ainsi que l'âme pure, qui est cachée aux yeux du monde, brillera un jour devant les anges au soleil de l'éternité.»

 

      Pensant à l'ange de l'oblation, qui préside au mystère de la Sainte Cène, le Curé d'Ars disait: «Comme rien de créé ne peut nourrir l'âme qui est un esprit, Dieu voulut se donner lui-même pour sa nourriture.»

 

      Toute l'aspiration intime de notre Saint se résume dans cette exclamation: «Être enfants de Dieu! ô la belle dignité... Si nous comprenions ce que c'est qu'être enfant de Dieu, nous ne pourrions pas faire le mal, nous serions comme des anges sur la terre.»

 

      Pour bien faire ressortir la puissance de la pureté de corps, d'âme et d'intention, le Curé d'Ars donnait cet exemple: «Sainte Catherine était pure; aussi elle se promenait souvent en Paradis. Lorsqu'elle mourut, des anges enlevèrent son corps et le portèrent sur le mont Sinaï... Dieu a fait voir par ce prodige qu'une âme lui est si agréable, qu'elle mérite que son corps même, qui a participé à sa pureté, soit enseveli par les anges.»

 

      Pour ce mystique, «il y a en l'homme deux cris: le cri de l'ange et le cri de la bête. Le cri de l'ange, c'est la prière, le cri de la bête, c'est le péché.»

 

      À propos de la confession des péchés faite au prêtre et de l'absolution qu'il confère, le Curé d'Ars aura un enseignement très précis, faisant bien ressortir la dignité suréminente du prêtre:

      Allez vous confesser à la sainte Vierge ou à un ange: vous absoudront-ils? Non. Vous donneront-ils le corps et le sang de Notre-Seigneur? Non. La sainte Vierge ne peut pas faire descendre son Fils dans l'hostie. Vous auriez deux cents anges là, qu'ils ne pourraient vous absoudre. Un prêtre, tant simple soit-il, le peut. Il peut vous dire: «Allez en paix, je vous pardonne!»

 

      Si je rencontrais un prêtre et un ange, je saluerais le prêtre avant de saluer l'ange. Celui-ci est l'ami de Dieu, mais le prêtre tient sa place.

 

      Mes enfants, quand l'âme d'un chrétien qui a reçu Notre-Seigneur entre en paradis, elle augmente la joie dans le ciel. Les anges et la Reine des anges viennent au-devant d'elle, parce qu'ils reconnaissent le Fils de Dieu dans cette âme.

 

      Au moment de la consécration de l'hostie, il n'y a pas seulement l'ange de l'oblation qui est présent, mais encore le Christ; ce qui fait dire à notre saint visionnaire: «Ah! Si nous avions les yeux des anges, en voyant Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est ici présent, sur cet autel, et qui nous regarde, comme nous l'aimerions! Nous ne voudrions plus nous en séparer; nous voudrions toujours rester à ses pieds: ce serait un avant-goût du ciel; tout le reste nous deviendrait insipide. Mais, voilà!... C'est la foi qui manque. Nous sommes de pauvres aveugles; nous avons un brouillard sur les yeux. La foi seule pourrait dissiper ce brouillard.»

 

      En maintes occasions le Curé d'Ars recommandait à ses auditeurs de rester en contact intime avec leur ange gardien; il disait «Lorsque nous allons dans les rues, fixons nos regards sur Notre Seigneur portant sa croix devant nous, sur la sainte Vierge qui nous regarde, sur notre ange gardien qui est à nos côtés. Que c'est beau cette vie intérieure! Elle nous donne l'union avec le bon Dieu.»

 

      Le bon Dieu, la sainte Vierge, les anges et les saints non environnent; ils sont à nos côtés et nous voient. Le passage à l'autre vie du bon chrétien, éprouvé par l'affliction, est comme celui d'une personne que l'on transporte sur un lit de roses.

 

      «Notre ange gardien est toujours là, à côté de nous, la plume à la main, pour écrire nos victoires. Il faut nous dire tous le matins: « Allons, mon âme, travaillons à acquérir le ciel!»

 

      Voici une anecdote instructive racontée par le saint Curé: «Un homme qui avait été conduit en prison, accusé injustement d'avoir enlevé des troupeaux, se désespérait. Un ange lui apparut et lui dit: «C'est vrai tu n'es pas coupable du vol dont on t'accuse mais ne te souviens-tu pas que tu aurais pu tirer de l'eau cet homme qui se noyait? Et tu ne l'as pas fait. C'est pour cela qui tu souffres aujourd'hui.»

 

      Quant à la valeur de la charité et de l'aumône, le Curé d'Ars savait à quoi s'en tenir; voici deux récits qui illustrent sa pensée:

      «Quand nous faisons l'aumône, il faut penser que c'est à Notre-Seigneur et non aux pauvres que nous donnons. Souvent nous croyons soulager un pauvre, et il se trouve que c'est Notre-Seigneur... Voyez saint Jean de Dieu: il avait l'habitude de laver les pieds des pauvres avant de les faire manger. Un jour, en se penchant sur les pieds d'un assisté, il vit que ce pauvre avait les pieds percés. Il releva la tête avec émotion, et il s'écria: «C'est donc vous, Seigneur!» Notre-Seigneur lui dit: «Jean, je prends plaisir à voir comme tu as soin de mes pauvres...» Et il disparut.

 

      Autre anecdote tendant à magnifier l'aumône:

      Voyez ce bon saint Grégoire, qui faisait manger tous les jours douze pauvres à sa table. Un jour, il s'en trouva treize, et il dit à son domestique: «II y a treize pauvres». Le domestique répondit: «Je n'en vois que douze». Le saint remarqua que ce treizième personnage changeait de couleur: tantôt il était vermeil, tantôt blanc comme la neige. Quand le repas fut fini, le Pape prit ce pauvre inconnu par la main, et le tirant à l'écart, il lui dit: «Qui êtes-vous ? — Je suis un ange et Notre-Seigneur m'a envoyé pour considérer de près les soins que vous donnez à ses pauvres. C'est moi qui présente à Dieu vos prières et vos aumônes.» À ces mots, il disparut. Cette table, à laquelle l'ange s'est assis, se voit encore à Rome.

 

      Autre anecdote, tirée des Entretiens du Curé d'Ars, destinée à illustrer le pouvoir et le ministère des anges:

      Voyez, ajoutait en pleurant le bon Curé, voyez jusqu'où Dieu est bon à ceux qui l'aiment! Il fait des miracles pour rien, quand c'est un de ses amis qui les lui demande. L'homme commande en maître au bon Dieu quand il a un cœur pur. Saint François de Paule apprit un jour qu'on voulait faire mourir ses parents, parce qu'on avait trouvé un homme assassiné dans leur jardin et qu'on les accusait d'avoir tué. Alors saint François de Paule dit: «Seigneur, faites que je me trouve près d'eux demain!» La nuit, un ange le transporta à 400 lieues, dans le pays où ils étaient. Le lendemain, il dit devant tout le monde: «Faites apporter cet homme qui a été tué». On l'apporte. Il dit alors: «Je te commande, au nom de Dieu de déclarer si ce sont mes parents qui t'ont donné la mort.» Voilà mon homme qui se lève et qui s'écrie devant tout le monde: «Non, ce ne sont pas tes parents». Alors le saint dit encore au Seigneur: «Faites-moi emporter dans mon monastère». Pendant la nuit, l'ange le reprit et l'emporta; il fit ainsi 800 lieues. Le bon Dieu ne peut rien refuser à un cœur pur.

 

      À son arrivée pour la première fois dans la paroisse qui lui avait été assignée, le jeune Curé Vianney songea: «Que c'est petit!» Mais il eut en même temps un pressentiment qu'en fin de compte, cette paroisse ne pourrait contenir tous ceux qui y viendraient plus tard; alors, il s'agenouilla et invoqua l’Ange gardien de la paroisse.

 

      Et de fait, à la mort du saint Curé, cinq chapelles nouvelles avaient été ajoutées à l'église primitive, soit une dédiée à saint Jean-Baptiste, une à sainte Philomène, une à l'Ecce Homo et une autre enfin consacrée à honorer les saints Anges.

 

      Pour la Fête-Dieu de 1818, Monsieur Vianney habilla de blanc les enfants de sa paroisse. «Alors, disait-il, en les revêtant lui-même de leur tunique, vous penserez que vous êtes devant le bon Dieu et que vous tenez la place des anges.»

 

      À l'église, durant toute la journée, partout, M. Vianney, selon son expression imagée «cassait la tête à ses bons saints» pour en obtenir des faveurs: Sainte Philomène était sa chère petite sainte, son Consul, son prête-nom, sa chargée d'affaires auprès de Dieu; de plus, le bon Curé avait la faveur de pouvoir s'entretenir directement avec la sainte Vierge, Reine des anges et avec les anges.

 

      Comme le Padre Pio, le Curé d'Ars expliquait son extraordinaire pénétration de l'âme et de la conscience de ses interlocuteurs ou de ses pénitentes, comme étant le fait de renseignements obtenus par le canal de leur ange gardien; en voici un cas typique: «Un jour, se présente au confessionnal une petite domestique qui se confesse tout en taisant une certaine faute qu'elle n'ose pas révéler. «Mais cela?» demanda le saint Curé, en précisant ce qu'elle voulait cacher. Or la pénitente, fort étonnée, se demandait mentalement comment son Curé avait pu apprendre la chose. Aussitôt M. Vianney de répondre à cette question mentale: «C'est votre ange gardien qui me l'a dit».

 

      Le général des Gorets, un fidèle du Curé d'Ars, a eu l'occasion de l'observer souvent au moment où il célébrait la messe; voici comment il décrit l'aspect du célébrant: «Ange par la foi, séraphin par l'amour, il avait, en célébrant, des yeux de feu qui incendiaient son visage».

 

      Ceux qui eurent le privilège d'assister à la mort du saint Curé ont raconté qu'au moment de la récitation du rituel, arrivé au passage: «que les saints anges de Dieu viennent à sa rencontre et l'introduisent dans la céleste Jérusalem», Jean-Marie-Baptiste Vianney, rendit son âme à Dieu sans agonie et s'endormit paisiblement, âgé de 73 ans.

 

      Le saint Curé d'Ars ne fut pas seulement favorisé de visions béatifiques et angéliques, mais il fut aussi la victime des attaques du démon et de celles de ses maléfiques satellites. Par expérience personnelle et constante, pour avoir été durement en butte aux persécutions et aux coups du malin, M. Vianney avait la certitude qu'il y avait bien un enfer, un diable et des anges déchus, condamnés aux flammes de l'enfer. Il affirmait, pour en avoir été maintes fois la victime, qu'il existait un démon personnel et agissant; qu'il était loin d'être une fiction ou le produit d'un cauchemar, comme beaucoup le croient.

 

      Pendant environ 35 années (1824-1858), le Curé d'Ars fut attaqué et maltraité par le malin; le repos et le sommeil du saint Curé étaient d'autant plus troublés qu'il opérait un plus grand nombre de conversions: coups frappés, ébranlant plancher et meubles, objets jetés à terre et cassés, lit renversé et carbonisé en partie, coups directs et douloureux, rien ne fut épargné par le diable et ses acolytes pour troubler la sérénité et la paix intérieure du saint homme, mais toutes ces attaques maléfiques furent vaines, car les luttes que M. Vianney eut à soutenir avec le démon ne contribuèrent qu'à rendre sa charité plus vive et plus agissante.

 

      Doué d'un bon sens naturel, le Curé était loin d'être un homme crédule, mais ce fut sa propre expérience qui le renseigna sur l'action maléfique du «Grappin» comme il avait dénommé son implacable adversaire, le Diable. Le Curé d'Ars a toujours été averti, dit-il de l'arrivée de grands pécheurs repentants, par une recrudescence de l'action furieuse du «Grappin». Et le bon Curé de faire remarquer: «Voyez combien le péché dégrade; d'un ange créé pour aimer Dieu (Lucifer), il fait un démon qui le maudira pendant toute l'éternité.

 

      Ad. Retté, dans une étude consacrée au Curé d'Ars, dit: «Dans la chambre du saint Curé d'Ars, Notre-Seigneur, la sainte Vierge, les anges sont venus assister le Bienheureux dans ses luttes contre le Mauvais, lui prodiguer les marques de leur tendresse, lui accorder des miracles de conversions et de guérisons. Les triomphes spirituels du saint Curé sur les âmes, le grand nombre d'âmes repêchées, faisaient s'éployer d'allégresse les ailes des archanges et rayonner la face en feu des chérubins.»

 

      Enfin nous connaissons les interventions des anges et du Diable dans la vie du Curé d'Ars, non seulement par ses propres déclarations, mais aussi par les dires de personnes à son service; ainsi Catherine Lassagne affirme avoir vu dans la chambre du saint, la sainte Vierge en personne parlant avec lui; il en est de même pour sainte Philomène qui en plusieurs occasions se manifesta à celui qui avait pour elle une dévotion toute spéciale et qu'il considérait comme sa protectrice.

 

      Au surplus, de nombreux témoins ont confirmé que les saints anges assistaient continuellement le Bienheureux.

 

      Le Chanoine Francis Trochu, dans son livre: Les Inspirations du Curé d'Ars, rapporte un cas spectaculaire d'intervention de l'ange gardien, connu par le bon Curé avant tout rapport.

 

      Mme Berthelier-Vernay, dans sa lettre de novembre 1910, raconte à Mgr. Convert ce qui suit:

 

      «Mon grand-père paternel, Maurice Vernay, était loueur de voitures à Roanne. Très bon conducteur, consciencieux, excellent chrétien, il ne partait jamais en voyage sans avoir entendu la messe.

 

      Un jour, la veuve d'un général vint le trouver et lui dit: « Père Maurice, je désire me rendre à Ars demain». Mon grand-père fit remarquer à Mme D. que l'époque était mal choisie pour ce voyage, qu'il était dangereux de vouloir passer à gué la rivière grossie par les pluies. Mme la Générale, habituée à commander, entendait être obéie. On partit donc. Arrivé à Charlieu, les gens du pays déclarent qu'il est fort imprudent, voire impossible de passer actuellement la rivière à gué. Entêtée, la Générale ordonne d'aller de l'avant ; arrivée en face du lieu où la rivière doit être traversée, mon grand-père hésite de nouveau; mais son impérieuse cliente, abandonnant sa femme de chambre dans l'intérieur de la voiture, où l'eau pénétrera infailliblement, se hisse sur le siège et commande d'avancer.

 

      Le cheval lutte d'abord vaillamment contre le courant. Il ne tarde pas, malheureusement, à perdre pied, et le voilà entraîné à la dérive avec la voiture.

      Mon grand-père qui se sent impuissant, du fond du cœur, invoque son ange gardien, l'appelle à son secours. Soudain, il lui semble qu'une main vigoureuse a saisi la bride de son cheval et l'entraîne vers l'autre bord; l'animal redouble d'efforts; il ne tarde pas à reprendre pied et à aborder la rive opposée.

 

      Mon grand-père, d'un ton d'autorité cette fois, s'adressant aux voyageuses: « Mesdames, remercions Dieu, nous venons d'échapper miraculeusement à la mort». Et tous de se mettre à genoux et de remercier Dieu.

 

      Arrivé à Ars, après avoir fait soigner son cheval, mon grand-père se rendit à l'église dans l'espoir de voir le Curé d'Ars. Ayant pu l'approcher, avant que le pénitent eût commencé sa confession. le Curé lui dit : « Eh bien, père Maurice, à quoi pensiez-vous? Quelle imprudence vous avez commise en vous engageant dans la rivière dont le courant était si fort! Vous deviez tous périr, si l'on n'était venu à votre aide, si votre bon ange ne vous avait secourus.»

 

      Le Curé d'Ars, durant toute sa carrière, a condamné énergiquement la danse qu'il estimait des plus dangereuses pour l'avenir de l'âme. Au demeurant, voici son argumentation: «La danse est la corde par laquelle le démon traîne le plus d'âmes en enfer... Les personnes qui entrent dans un bal laissent leur ange gardien à la porte, et c'est un démon qui le remplace, en sorte qu'il y a bientôt dans la salle autant de démons que de danseurs.»

 

      En matière d'angéologie, l'opinion d'un saint tel que le Curé d'Ars, doit être prise en considération, car les manifestations des anges dont il a été témoin, les secours directs qu'il en a reçus, l'ont amplement renseigné sur la réalité de leur existence et sur leur possibilité d'influencer le devenir humain.