CHAPITRE IX Sections Un & Deux
Encore de l'Angéologie moderne et du Père A. D. Sertillanges
NOUS voulons mettre en parallèle deux conceptions de théologiens catholiques modernes pour montrer leur façon d'envisager le mystère et le ministère des Anges. Dans l'exposé de ces deux auteurs, nous trouverons quelques notions qui compléteront le tableau que nous avons brossé jusqu'à maintenant.
SECTION 1 Le Cardinal Lépicier et l'Angéologie
Dans le cas de cet auteur, faisons d'emblée une remarque; l'angéologie est traitée en fonction d'une idée préconçue, d'un but précis, soit la condamnation du spiritisme; ce qui donne à l'exposé une allure de polémique qui nuit à la valeur de l'ouvrage. Sous le titre, Le Monde invisible. Le Spiritisme en face de la théologie catholique, le Cardinal Lépicier, de l'Ordre des serviteurs de Marie, a publié un gros volume de plus de cinq cents pages et cela dans le but de réduire à néant le spiritisme, uvre du démon. Cet ouvrage a été publié d'abord en anglais, en 1921; il a bénéficié d'une approbation de S. S. Benoît XV, puis, en 1931, parut une édition française par les soins de Ch. Grolleau. Ne perdons pas de vue que les cent cinquante pages traitant de l'angéologie, le sont en fonction d'une condamnation du spiritisme, ce qui en affaiblit beaucoup la valeur et l'intérêt. Aussi comprendra-t-on que la première question que se pose l'auteur est la suivante: Les phénomènes spirites doivent-ils être «attribués aux âmes des morts ou aux purs esprits que nous nommons anges?» Retenons que, pour cet auteur, «dans les phénomènes spirites sont comprises deux sortes de pratiques occultes appelées respectivement hypnotisme et télépathie»; plus tard viendra s'y ajouter le magnétisme. De telles assertions témoignent déjà d'une complète ignorance du sujet ou d'un esprit préconçu qui frise la mauvaise foi. L'auteur posera en principe que, par la seule raison, on ne peut arriver à connaître avec certitude l'existence des purs esprits: il y faut l'aide de la révélation. De plus, un esprit réfléchi sera préparé à accepter une telle croyance comme une vérité fondamentale si elle lui est proposée par une autorité légitime. On doit comprendre qu'il s'agit de l'enseignement doctrinal catholique. En fait, l'existence de purs esprits est une chose concevable et naturelle, mais la réalité de purs esprits peuplant le monde invisible demeurerait cependant un problème insoluble pour nous, sans, comme il a été déjà dit, une révélation spéciale venant de Dieu. Et le Cardinal de donner tout d'abord la définition de l'ange par le quatrième Concile de Latran: «Dieu, par sa Toute-Puissance, a créé à la fois, à l'origine des temps, les deux créatures, la spirituelle et la corporelle, c'est-à-dire l'angélique et la terrestre, et ensuite l'humaine, pour ainsi dire créature commune, composée d'esprit et de corps». Cette définition concorde avec ce que l'on trouve mentionné clairement dans la Bible, tant dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament, et dans les écrits des Pères de l'Eglise. Voici une affirmation de l'auteur qui, par son absolutisme, prête à discussion, surtout si l'on tient compte des visions du P. Lamy au moment de la translation de la statue de la Sainte Vierge à la chapelle de Notre-Dame des Bois: «En un mot, de même que chaque âme est numériquement distincte des autres âmes, ainsi est-elle distincte spécifiquement des purs esprits. Elle ne pourra jamais aspirer à devenir un pur esprit.» Voici comment l'auteur définit ce que l'on doit entendre par pur esprit: Par les mots purs esprits, nous entendons des êtres intelligents d'une nature si subtile qu'elle ne soit en aucune façon composée de matière, quelque raffinée ou éthérée que nous puissions la concevoir. De tels êtres sont ainsi en dehors de toute perception de nos sens, quelque parfaits et raffinés qu'ils soient, et transcendent l'ordre tout entier du monde matériel et visible. Ce serait donc une erreur de les concevoir comme appartenant à une classe intermédiaire entre des êtres doués d'une forme corporelle et ceux qui en sont exempts, tels que la crédulité du Moyen Age a imaginé les Sylphes, c'est-à-dire des substances d'une nature aérienne possédant le pouvoir d'un mouvement léger et rapide... Il n'y a dans les anges, rien de matériel, pas l'ombre la plus légère d'un corps, si subtil et si impondérable que nous puissions l'imaginer. Un point est quelque chose de trop matériel pour représenter la simplicité d'un ange; l'éclair qui passe dans le ciel ne donne pas même une idée de sa vigueur et de son énergie, et la force irrésistible d'un feu violent ne peut être comparée à la puissance de ces merveilleux esprits. Dieu a créé toutes choses en ce monde pour la manifestation extérieure de ses perfections infinies et les Anges sont, par nature, les plus beaux miroirs réfléchissant la spiritualité de la Divinité. En conséquence, l'auteur ne craindra pas de poser en principe: «Le monde des esprits se trouvant tout à fait au delà de notre champ d'expérience», il faut avoir recours à «la théologie catholique, élaborée par les études des Pères et des Docteurs de l'Église qui ont donné depuis longtemps sur tous ces points des explications précises, en dehors desquelles toutes les autres assertions se révèlent inadéquates, sinon tout à fait fausses.» Il serait intéressant qu'on nous dise comment il se fait que les Pères et les Docteurs de l'Église ont eu des révélations sur l'angéologie, révélations refusées au commun des mortels? Au contraire, on nous affirmera: «Le lecteur doit donc être préparé à accepter l'interprétation que fournit la théologie catholique, si subtile qu'elle paraisse, ou abandonner tout espoir de parvenir à une compréhension exacte de la nature de la connaissance angélique.» De telles affirmations aussi absolues et peu nuancées ne sont pas de nature à apporter beaucoup de lumière sur la question du ministère des anges: il y a toujours danger à se croire le seul détenteur de la vérité absolue! Quant à la nature et à l'étendue de la connaissance angélique, l'auteur nous dira: «La théologie catholique enseigne qu'outre leur connaissance naturelle, les anges, ou certains d'entre eux, possèdent aussi une somme de notions surnaturelles, dont la source se trouve dans la vision immédiate de l'Essence divine, vision qui n'est pas commune à tous les anges, mais qui n'est accordée qu'aux bons anges». Il y a une grande différence entre la connaissance de l'homme et celle des anges: «Nous passons graduellement d'un état d'ignorance à un état de connaissance. Les Anges, au contraire, ont possédé, dès le commencement de leur existence, la somme totale des connaissances naturelles propres à leur état». Pour l'Ange, il n'y a donc pas de développement par croissance graduelle, comme chez l'homme; les Anges sont toujours en possession de la lumière et de la science qui leur sont propres. Ce qui fait que: «l'intellect angélique est donc comme un tableau ou mieux encore comme un vivant miroir que l'ange n'a qu'à contempler, pour connaître les choses naturelles de ce monde». Il y a au demeurant une différence entre les images perçues ou les représentations des anges les plus élevées et celles des anges d'un degré inférieur; l'auteur nous dira: La différence consiste en ce que, chez les anges d'un ordre supérieur, ces images sont plus universelles, et par conséquent d'une nature plus élevée, tandis que chez ceux d'un rang plus bas, elles sont plus particularisées et de moindre envergure. D'où il suit que tandis que la connaissance naturelle d'un esprit supérieur a plus d'unité et plus de simplicité, celle d'un esprit inférieur est plus divisée et pour ainsi dire fragmentée. Qu'entend-on par illumination angélique? On entend l'acte par lequel un ange supérieur manifeste à un inférieur quelque vérité de l'ordre surnaturel, vérité connue de celui-là par l'immédiate révélation du Verbe de Dieu, et communiquée par lui aux autres anges. Il y a donc ainsi, tout au long de l'échelle de l'intelligence spirituelle, dans chaque esprit angélique, une influence à la fois active et passive, de telle façon, toutefois, que le premier esprit, tout en illuminant les autres, est lui-même illuminé directement par Dieu seul. D'autre part, le dernier être placé sur l'échelle de l'intelligence spirituelle, tout en étant illuminé, ne communique pas l'illumination aux autres esprits, mais seulement à l'homme... C'est ainsi qu'un ange supérieur s'accommode à la capacité d'un ange inférieur, présentant à l'intellect de ce dernier, sous une force circonscrite, les vérités universelles, dont il a lui-même une compréhension plus universelle et par suite plus simple et sans division. L'auteur tient à faire remarquer que cette illumination angélique joue uniquement pour les bons anges; les mauvais esprits sont exclus de ce commerce intellectuel et illuminatif. Donc en ce qui concerne les bons anges, un plus petit nombre d'images suffit à l'ange supérieur pour juger d'une situation, tandis qu'un plus grand nombre est nécessaire à l'ange inférieur. D'après l'auteur, «les anges ne connaissent ni les événements futurs, ni les secrètes pensées des curs des hommes»; cette connaissance dépend de Dieu seul, mais dans certains cas Dieu peut déléguer à certains anges son pouvoir. De même, «suivant l'enseignement catholique, l'intelligence angélique ne peut, par exemple, par sa puissance naturelle, savoir si nous sommes en état de grâce et d'amitié avec Dieu ou bien en état de péché mortel et séparés de la source de tout bien. Ces choses surpassent la capacité naturelle de l'ange... L'ange ne peut connaître à fond nos pensées intimes sans notre consentement.» Arrivé à ce point de son étude sur la connaissance angélique et sur leurs pouvoirs, l'auteur se rappelle qu'il écrit, non pour parler d'angéologie, mais de spiritisme, et il dit: «Et comme, en vertu du pouvoir que possèdent les anges sur les éléments de ce monde en général et sur le cerveau humain en particulier, ils peuvent communiquer cette connaissance à l'homme, il est facile de conclure que les révélations les plus extraordinaires pourront avoir lieu par l'intermédiaire des substances angéliques, révélations surpassant tout ce qu'il nous est possible de concevoir.» Et l'auteur d'en arriver à cette conclusion qu'il y a lieu de retenir: Ce que nous pouvons conclure du présent examen est que la connaissance angélique étant d'une si grande étendue, il n'est pas une seule des manifestations intellectuelles ou psychologiques, se produisant dans les séances spirites, qui ne puisse être attribuée à l'action de ces substances immatérielles que nous nommons purs esprits ou anges. Voilà une affirmation de nature à réjouir certains spirites, mais l'auteur prendra soin de limiter la portée de son assertion en formulant le distinguo suivant: «Ce que nous aurons donc en outre à rechercher, ce sera de savoir si ces manifestations non seulement peuvent, mais aussi doivent être attribuées à ces intelligences spirituelles. Mais une étude ultérieure de la théologie catholique nous amènera à distinguer deux classes de substances angéliques: celles d'un haut degré de moralité que nous désignons par le nom commun d'anges, et celles d'un caractère moral dépravé que nous appelons démons. Après cela, il nous restera à rechercher à laquelle de ces deux catégories doivent être attribués les phénomènes spirites qui occupent si sérieusement de nos jours l'attention d'un grand nombre, même parmi les hommes de science.» Mais avant d'en venir au verdict final, une étude plus détaillée sur les pouvoirs des Anges dans l'univers et sur la matière sera de nature à nous apporter quelques données intéressantes. «Les anciens philosophes aussi bien que les Pères et les Docteurs de l'Église, dira l'auteur, enseignent unanimement que l'ordre physique de l'univers, en même temps que ses parties matérielles, est soumis à la direction d'êtres spirituels.» À cette affirmation, l'auteur ajoute ce correctif: «Cependant il ne serait pas exact de dire que le premier objet que Dieu s'est proposé dans la création des anges fût le gouvernement du monde... Nous dirons donc que le gouvernement de l'univers ne fut que le but secondaire de la création des anges.» Si Dieu a doté les anges d'un grand pouvoir sur la matière, c'est pour la manifestation de sa plus grande gloire, et surtout pour que l'homme mis en éveil par ces faits extraordinaires puisse faire un retour sur lui-même et revenir dans la voie de la spiritualité. «Et c'est ainsi que les anges deviennent les ministres choisis du grand Roi, dont ils sont par suite les instruments pour la manifestation de sa gloire au genre humain.» C'est de cette façon que les Pères et les Docteurs de l'Église admettent l'opération des anges spécialement préposés aux plantes, aux animaux et surtout à la société humaine. La Sainte Écriture parle aussi de l'ange ayant pouvoir sur le feu (Apoc. XIV, 18) et de l'ange qui domine sur les eaux (Apoc. XVI, 5)... C'est aussi l'enseignement de l'Église Catholique que chaque homme a, dès sa naissance, son ange gardien qui le protège et le défend pendant tout le cours de sa vie mortelle. Disons pour conclure qu'aux anges appartient le droit de régir et de gouverner les éléments matériels du monde, en présidant non seulement aux événements qui surviennent en accord avec les lois de la nature, mais aussi à ces dérogations aux lois naturelles que Dieu ménage au cours des temps pour la manifestation de sa gloire. Sans avoir recours à l'explication d'une dérogation momentanée aux lois naturelles pour la production de certains effets spectaculaires, on pourrait tout aussi bien parler, non de dérogation aux lois naturelles, mais de mise en action de forces supérieures au plan matériel, provenant de l'utilisation d'énergies de plans plus élevés, y compris la force toute-puissante du Saint-Esprit. L'ange a-t-il le pouvoir de changer les corps de place et de mouvoir la matière? L'auteur donnera une réponse qui explique certaines actions des anges en faveur de leurs protégés (cas du Père Lamy et du Padre Pio). L'ange peut certainement et cela est admis par tous les anciens philosophes transférer d'une place à une autre les corps même les plus pesants, et cela avec la plus grande aisance possible et avec une rapidité surpassant les plus parfaites inventions mécaniques qui nous soient connues. En réalité, s'il peut produire, dans les corps, un changement intrinsèque substantiel ou accidentel, la raison de cette possibilité est due au pouvoir qu'il possède de mouvoir dans l'espace les éléments matériels, et nullement à un pouvoir direct qu'on supposerait lui appartenir sur la substance même de ceux-ci... La raison de la possession de ce pouvoir par les anges réside dans cette loi générale, que l'élément le plus élevé dans les choses d'un ordre inférieur est soumis à l'influence des êtres qui appartiennent à l'ordre supérieur.» Une remarque est à retenir: «On doit observer ici que, bien que l'énergie angélique déployée dans la force mouvante soit pour nous incalculable, il faut cependant la concevoir comme admettant divers degrés, suivant la position que chaque ange occupe dans la grande échelle des substances spirituelles.» Ce mystérieux pouvoir accordé aux anges est-il de nature à troubler, dans certaines circonstances, l'ordre du monde? La crainte est inutile si l'on parle des bons anges, et l'auteur aura une page qui mérite d'être reproduite: Mais bien que la puissance de l'ange soit d'une telle ampleur, il n'y a pas à craindre qu'il intervertisse ou bouleverse la marche de la nature, vu qu'un tel privilège n'a pas été donné aux anges pour la destruction, mais plutôt pour le bon ordre et le gouvernement régulier de l'univers. Si donc il arrive parfois que des esprits angéliques d'une nature mauvaise et perverse causent un dommage réel à l'homme ou du désordre dans les éléments de la nature, cela est dû soit à un pacte explicite ou tacite avec eux, comme dans les cas de sorcellerie, soit à quelque disposition cachée de la part de Dieu, qui peut, pour des fins infiniment sages, permettre des bouleversements dans le monde... Un bref examen des phénomènes qui ont lieu dans le monde physique suffira pour nous donner une idée des effets merveilleux dont sont capables les êtres angéliques. En premier lieu, de même que, par les forces de la nature, des masses énormes changent de place, ou que, par l'activité d'agents physiques, les éléments de la matière sont dispersés ou travaillent de concert pour faire naître des tempêtes, des trombes et des ouragans, de même aussi un ange peut, sans la coopération d'agents intermédiaires, transférer des corps énormes d'un endroit à un autre; il peut les soulever et les tenir suspendus en l'air, et cela pendant une période de temps indéterminée; il peut agiter et faire entrer en collision des substances pesantes, retourner de fond en comble des villes et des villages, susciter des tremblements de terre et des soulèvements de mer et faire naître des cyclones ou des ouragans; il peut arrêter le cours des fleuves et même, s'il le désirait, faire s'entrouvrir la mer. L'ange, substance spirituelle, est au-dessus du temps et de l'espace, on ne pourra dire qu'il en occupe un lieu particulier, mais lorsqu'il exerce une action spéciale en un lieu déterminé, il l'occupe, le remplit de telle sorte qu'aucun autre ange ne peut l'occuper. Les corps, revêtus par les anges pour se manifester en un lieu donné, pour se rendre visibles et même tangibles, sont purement mécaniques et n'ont rien de vital; les actes qu'ils accomplissent dans cet état sont des actes mécaniques et non vitaux, puisque le corps fabriqué par l'ange pour sa manifestation est transitoire et ne fait pas partie d'une manière formelle de la nature angélique. Parlant de la «télépathie, ce genre de spiritisme» (sic), l'auteur nous dira que l'ange «peut aussi modifier l'imagination d'un homme, au point de le rendre capable de décrire avec exactitude la topographie d'un lieu qu'il n'a jamais visité, ou les traits caractéristiques d'une personne qu'il n'a jamais rencontrée, comme cela se passe dans les phénomènes dits de clairvoyance.» Ici l'auteur se montre tout à fait ignorant de la question qu'il aborde. En effet aucun métapsychiste sérieux n'admettra que l'on fasse rentrer la voyance ou la métagnomie dans le cadre du spiritisme. Pour montrer que l'influence de l'ange sur l'homme n'est pas fatale, l'auteur relèvera que «dans tous les cas, la volonté du sujet demeure intacte et que nous pouvons toujours résister à l'influence angélique, que celle-ci s'exerce pour le bien ou pour le mal». L'homme, en tout état de cause, conserve toujours son libre arbitre. Ainsi est limité le pouvoir de l'ange. Cependant, il est patent que «les anges ne produisent des effets miraculeux et surnaturels que lorsqu'ils agissent comme ministres de Dieu». Un exemple est donné d'un cas où un même effet produit par deux anges différents est miraculeux dans un cas et pas miraculeux dans l'autre; et voici le raisonnement: «La guérison d'un homme malade de la fièvre peut, dans un cas, être un miracle et ne l'être pas dans un autre. C'est un miracle, s'il se produit si l'ordre de Dieu par l'ange agissant comme son ministre; ce nest pas un miracle, quand il se produit par l'ange agissant de son propre chef, cet effet restant dans la sphère de sa puissance naturelle.» Que voilà une distinction subtile qui nous paraît plutôt difficile à établir dans la pratique courante, l'ange n'ayant pas l'habitude de dire à quel titre il agit en faveur de la personne confiée à sa garde. D'après l'auteur, il est absolument impossible aux anges de produire le phénomène connu sous le nom de compénétration des corps. L'explication de ce fait nous paraît plutôt singulière: La seule chose que les anges puissent faire dans ce domaine, est de se servir des propriétés inhérentes aux éléments de la matière dont ils ont la parfaite compréhension, et, par d'ingénieux subterfuges, d'obtenir des effets surprenants, capables de faire croire que ces effets sont obtenus au moyen de la compénétration des corps, tandis qu'ils ne sont en réalité que le résultat d'une sorte de prestidigitation des plus habiles. Nous avouons ne pas goûter beaucoup ces anges «prestidigitateurs»! Nous apprécions encore moins la conclusion de l'auteur quand il nous dit une fois de plus que tous les phénomènes spirites «peuvent être attribués aux anges, c'est-à-dire aux anges déchus, aux esprits d'un ordre moral que nous appelons démons». Partir d'une idée préconçue est déjà fort dangereux, mais y persévérer envers et contre tout, conduit à l'absurde. Errare humanum est, perseverare diabolicum.
SECTION II
L'Angéologie du Père A. D. Sertillanges 0. P.
Dans son Catéchisme des Incroyants (Paris 1930), le théologien et philosophe A. D. Sertillanges a consacré tout un chapitre à l'exposition de l'angéologie (T. I, pp. 177-187). Le sujet est traité par questions et réponses, à la manière thomiste. Nous allons en reproduire quelques passages parmi les plus illuminatifs. D. Quels sont, par ordre, les bénéficiaires de la Création? R. Les anges, que nous croyons avoir précédé la création matérielle; la création matérielle elle-même; l'homme, et, s'ils existent, les êtres raisonnables, habitants des autres mondes. * D. Revenons aux anges. Vous croyez, vraiment, à ces êtres qu'on ne voit pas? N'est-ce pas une illusion, une duperie? R. L'homme qui est dupe la dupe de ses sens c'est celui qui ne croit qu'à ce qui se voit. * D. Pourquoi ce monde surérogatoire, cette création d'êtres en supplément? R. Vous refusez donc à Dieu de créer des échelons entre Lui et la chair terrestre?... L'antiquité philosophique a cru aux anges autant que l'antiquité instinctive. Aristote et Platon les font intervenir en cosmologie, Socrate en morale; les anges gardiens figurent dans Hésiode et la chute des anges mauvais dans Empédocle. D. Ce qui m'étonne, c'est votre conception de l'esprit pur. R- L'esprit pur est un intermédiaire tout naturel entre le super-Esprit et les esprits enténébrés de matière, ces «monstres» au sens pascalien, qui ont l'air d'appartenir à deux mondes. * D. Vous évoquez ainsi l'Echelle des êtres? R. Cette antique notion éclairait beaucoup de problèmes. On a pu loublier, mais son actualité réelle n'est pas affaiblie. Les espèces d'êtres sont manifestement étagées selon un ordre de valeur croissante ou de valeur décroissante selon le point de vue où on les considère... En nous, l'esprit éclôt à peine; il est actif pendant une période bien réduite de la vie; il est engourdi, durant cette période, la bonne moitié du temps; englué, toujours, dans les pièges de l'imagination, s'échappant à lui-même jusqu'en son meilleur fonctionnement, que mainte erreur dérange. Comment croire que tout sarrête là, et que l'esprit n'ait que ces maigres triomphes! D. N'est-ce pas déjà bien beau que la matière s'éveille à l'esprit? R. C'est si beau qu'elle ne saurait s'y éveiller toute seule. D. Vous dites que la nature est esprit. R. La nature est esprit en ce sens que l'important, en elle, ce sont les idées qui s'y font jour, ses inventions plutôt que ses réalisations matérielles dont on voit qu'elle fait si peu de cas... Je cherche le monde de l'idée stable... plus proche de la Source idéale. Et je suis tout soulagé, comme philosophe, quand l'Église me dit: Voici votre monde: un échelonnement nouveau partant de l'homme au lieu d'y aboutir; des degrés d'esprit en esprit, jusqu'au souverain Esprit, comme vous avez des degrés de corps en corps jusquau corps animé d'esprit; voici mes célestes «hiérarchies»; voici les «churs» des anges. D- Vos anges ne sont donc pas tous de même nature, ne sont donc pas égaux? R. Ils sont égaux et de même nature négativement, c'est-à-dire que tous sont exempts de matière, tous de purs esprits. Mais au positif, il n'y en a pas deux de même nature, il n'y en a pas deux d'égaux ; car ne différant que selon l'esprit, ils représentent chacun, nécessairement une idée de nature différente, et une idée comme telle ne se répète pas. * D. Les anges ont-ils rapport à nous? R. Tous les étages de l'être communiquent; les règnes s'entre-pénètrent et se rendent des services mutuels. Les anges placés entre nous et Dieu, sont comme les ambassadeurs de Dieu, Ses envoyés, ainsi que le mot ange le comporte. Ils sont aussi les nôtres, par la charge qu'ils prennent de nos prières et de nos vux. L'état où ils se trouvent par rapport à nous crée en eux un mouvement inverse du nôtre. Nous cherchons ce que nous ne possédons pas; nos regards vont de bas en haut, vers les régions souveraines. Eux, qui possèdent, tendent à communiquer avec bienveillance ce qu'ils possèdent à ceux qui y tendent encore et pourraient en manquer le chemin. * D. II en est pourtant de mauvais? R. Tous furent créés bons; mais nous croyons en effet qu'il en est de déchus, c'est-à-dire qui ont rejeté le bien et choisi le mal, dans l'inévitable option proposée par la Providence à tout être libre. * D. Une telle croyance nest-elle pas aujourd'hui un peu désuète? R. Dites qu'elle est méconnue. Les vrais chrétiens savent qu'elle est actuelle plus que jamais; les saints l'appuient sur leur expérience; quant aux esprits forts, ils rient du diable et le servent à qui mieux mieux. * D. Comment peut-on servir le diable sans y croire? R. Tandis qu'on ne peut servir Dieu qu'en croyant en Lui, le diable, lui, n'a pas besoin qu'on croie en lui pour le servir. Au contraire, on ne le sert jamais si bien qu'en l'ignorant. D. Nous sommes donc entourés d'êtres invisibles? R. Notre vie est en plein ciel. Si nos yeux s'ouvraient, je veux dire si nous possédions cette intuition de l'esprit qui nous manque, nous serions comme Jacob dématérialisé par son mystérieux sommeil; nous aussi nous verrions des multitudes montant et descendant l'escalier symbolique, et nous percevrions, avec les degrés de l'être, les échanges d'activité qui relient tout. Comme nous l'avons dit, ces quelques questions et réponses extraites du Catéchisme des Incroyants du Père A. D. Sertillanges sont illuminatives et situent bien ce que tout homme peut et doit savoir en matière d'angéologie; le lecteur aura profit à s'assimiler cet enseignement si simple et si clair, peut-être aura-t-il le désir de recourir à la source originale. Et lorsqu'on sait que cet enseignement sur la nature et le ministère des anges nous est donné par un philosophe averti, on sera encore plus porté à bien réfléchir et on assimilera mieux les notions qui nous sont présentées d'une façon si claire et si précise. |