TROISIÈME MOTIF

Tous les saints anges sont au service des hommes

 

 

J'avoue qu'en continuant d'écrire touchant l'amour des anges, mon cœur se sent insensiblement de plus en plus touché ; et s'ils sont des feux et des flammes de feu, comme nous l'apprenons de l'Écriture, je ne suis pas surpris si mon cœur se sent liquéfié, pour parler avec le Psalmiste (XXI, 15), comme une cire qui fond devant le feu. Ô aimables esprits ! Souffrez ici ces élans d'amour à ma pauvre âme. Ou faites que je meure, ou faites que je vous aime tout à mon aise. Faites que j'aime avec vous du pur amour Jésus, le roi de l'amour, et Marie, la reine du saint amour. Ou il faut cesser de vivre, ou il ne faut plus vivre que de la pureté de cet amour.

 

Mais que ces motifs, que nous ne faisons que parcourir, sont capables de nous y engager ! Nous avons dit que les anges aiment les hommes de toutes sortes d'amour, et qu'ils les aiment avec une fidélité inviolable et une patience inouïe ; mais combien y a-t-il de ces aimables princes à leur service ? Quelques-uns, peut-être, de leurs troupes célestes. Écoutons le divin Paul qui nous répond, que tous sont envoyés pour notre salut. (Hebr. I, 14) Tous les anges, enseigne saint Augustin, sont à notre garde, puisque et eux et nous, nous ne faisons qu'une même cité de Dieu, dont une partie que composent les hommes, qui est encore dans la voie, est assistée de l'autre partie, qui sont les anges, qui vivent dans la bienheureuse possession de la fin. Quand l'on parle des anges qui veillent au salut des hommes, dit l'éloquent saint Jean Chrysostome, il ne faut pas seulement entendre les anges des derniers chœurs, mais ceux même des plus élevés et des premiers.

 

L'on demande, à la vérité, si les anges des premiers chœurs descendent ici-bas pour y assister les hommes ? Il y a quelques docteurs qui ne le pensent pas. Mais il leur est difficile d'expliquer les témoignages de l'Écriture qui font voir le contraire. Saint Raphaël, qui servit de guide au jeune Tobie, assure qu'il est l'un des sept princes qui se tiennent devant le Seigneur. Ce sont des chérubins qui apparaissent au prophète Ézéchiel ; c'est un séraphin qui purifie les lèvres d'Isaïe ; nous lisons même dans la Genèse (III, 24), que Dieu a commis un chérubin à la garde du paradis terrestre. Ainsi il est visible que les anges, même des premiers chœurs, sont envoyés ici-bas pour la conduite des hommes. Les histoires des saints nous enseignent cette même vérité. C'est un séraphin qui imprima les plaies de notre bon Sauveur au corps de saint François ; ce fut encore un séraphin qui blessa si amoureusement le cœur de la séraphique sainte Thérèse. Mais enfin ce n'est pas là le point essentiel ; il suffit que ce soit une vérité indubitable que tous, sans réserve, prennent soin de nous, soit d'une manière, soit d'une autre : tous les neuf chœurs des anges sont au service des hommes.

 

Or le nombre de tous ces anges est si excessif, que le saint homme Job déclare qu'il est innombrable. Il y a des savants qui tiennent qu'il surpasse le nombre de tous les astres du ciel, de tous les oiseaux de l'air, de toutes les gouttes d'eau, de tous les brins d'herbes, de tous les atomes, enfin, de toutes les créatures visibles. Saint Grégoire de Nice dit qu'il y en a une infinité de millions, c'est-à-dire, qu'à l'égard des hommes, leur multitude est comme infinie, et n'est connue que de Dieu seul : c'est lui seul, dit le grand saint Denis, qui en sait le nombre.

 

Que ces vérités, quand elles sont bien pénétrées, donnent de grands et de forts mouvements d'amour à nos pauvres cœurs, et qu'elles sont pleines de consolation ! Si l'on vous disait, à vous qui lisez ceci, que le roi a commandé à l'un des premiers princes de sa cour de partir exprès pour se tenir auprès de vous, et pour vous rendre tous les services possibles, où en seriez-vous, et quels sentiments de reconnaissance n'en auriez-vous pas ? Pourriez-vous vous tenir de joie ? Et quel serait votre étonnement, la surprise, l'allégresse de tous vos parents et amis ? Mais c'est ce que nulle histoire ne nous apprend ; la terre n’a rien de si obligeant ; ces faveurs sont réservées pour le ciel. Il n'appartient qu'au Dieu du paradis de faire de ces prodiges d'amour. Ô mon âme, ô mon âme, y avons-nous jamais bien pensé ? As-tu jamais bien considéré que tous les princes de la cour du Roi des rois entrent dans tes intérêts, sont à ta garde, et veillent avec des bontés ineffables sur ce qui te regarde ?

Il est vrai qu'il y a un de ces princes qui y veille plus immédiatement ; mais enfin, tous, nous dit l'Écriture, sont envoyés pour ceux qui prennent l'héritage du salut. (Hebr. I, 14) Ô l'amour du Dieu qui les a envoyés ! Ô l'amour de ces princes qui sont envoyés ! Ô quelle consolation à nos chétives âmes ! Pourquoi après cela seront-elles tristes ? Pourquoi se troubleront-elles ? Un seul de ces princes nous doit bien ôter toute crainte, et relever nos courages, quelque abattus qu'ils soient ; et en voilà des millions, des mille millions, des infinités de millions, pour parler avec les Pères, des nombres innombrables. Ô mon cœur ! Pense une bonne fois que si une si puissante protection te doit bien mettre en sûreté, l'amitié de tous ces illustres de l'Empyrée te doit bien servir d'occupation, Hélas ! Quel temps et quel lieu nous restera-t-il pour la terre ? En vérité, il y a trop de belles amitiés à faire dans le ciel avec les anges, pour s'amuser ici-bas avec les hommes ; mais que ces amitiés sont pures et saintes, puisqu'elles se font avec de purs esprits, dans lesquels il n'y a que Dieu seul !