CHAPITRE XX

Avoir une dévotion particulière à saint Jean l'Évangéliste

 

Il n'est pas possible d'aimer Notre-Seigneur et sa virginale Mère, sans avoir de l'amour pour saint Jean l'évangéliste. Il a été le bien-aimé du tout aimable Jésus, et de la non jamais assez aimée Marie. Or l'âme chrétienne qui ne doit agir que par l'esprit de Jésus-Christ, et qui doit suivre toutes ses inclinations aimant tout ce qu'il aime, et n'aimant que ce qu'il aime, doit par une suite nécessaire aimer saint Jean l'évangéliste, qui a été aimé si tendrement du débonnaire Sauveur, qui dans l'Écriture y est appelé le disciple que Jésus aimait. (Joan. XXI, 7) C'est lui-même qui porte ce témoignage dans son Évangile, et qui assure que son témoignage est vrai ; il n'a pas de peur de rien faire en cela contre la modestie, car c'était une chose si publique parmi les disciples, que pas un n'ignorait qu'il ne fut le cher favori de l'adorable Jésus. Et le Saint-Esprit qui guidait sa plume a voulu que cette glorieuse faveur fut marquée dans l'Évangile, afin que toute la postérité le sût, et fin que tous les Chrétiens, apprenant qu'il avait été si caressé de leur divin roi, lui eussent une dévotion très particulière.

Sa dévotion est donc fondée sur l'Évangile, et elle ne peut être que très juste, puisqu'elle est toute conforme aux inclinations de notre Maitre. Quelquefois il arrive et même dans les dévotions des saints, que l'on s'applique plus aux uns qu'aux autres par mouvement de nature ; mais ici il n'y a rien à craindre, puisqu'en l'aimant, et l'aimant extraordinairement, nous faisons ce que Jésus-Christ a fait.

 

L'amour de cet adorable Théandre a paru particulièrement en le faisant succéder à sa place, lui donna pour mère sa divine Mère, et le donnant pour enfant à celle dont il a voulu être le fils bien-aimé. Pour connaitre une si rare faveur il faudrait connaitre entièrement les inconcevables grandeurs de la Mère de Dieu, mais c'est ce qui ne se peut faire, la connaissance, dit saint Bernardin de Sienne, en étant réservée à Dieu seul : pour en prendre quelque idée, l'on peut considérer que la très sacrée Vierge est plus aux yeux de Dieu elle seule que tout le reste des créatures tant angéliques que humaines : ainsi Notre-Seigneur ayant fait son testament sur le Calvaire, et lui ayant laissé comme pour son héritage, pour tous ses biens, possessions, et revenus (pour parler dans l'esprit de l'Écriture), lui a plus donné que s'il lui avait fait présent de tout le monde, et d'un million de mondes. Le substituant en sa place, dit un ancien, il devenait comme un autre Jésus. C'est pourquoi un grand auteur, faisant parler la divine Marie sur ce sujet à l'archange saint Gabriel, l'introduit parlant de la sorte à cet esprit glorieux : « Allez, Gabriel, je n'ai plus besoin de vos soins, j'ai un autre ange à présent, qui est un ange incarné qui prend soin de tout ce qui me regarde. » Ce grand et incomparable saint représentait tous les Chrétiens sur le Calvaire, et spécialement ceux qui devaient appartenir d'une manière plus particulière à la glorieuse Vierge : c'est pourquoi il en devait posséder éminemment les grâces, selon la doctrine de ces théologiens, qui estiment que les patriarches des ordres renferment en leurs personnes d'une manière éminente, les grâces de tous leurs religieux. Cette pensée fait voir une élévation des grâces incomparables en ce cher favori de Jésus et Marie ; aussi si l'Écriture nous apprend que les divisions des grâces sont différentes, et qu'aux uns est accordé le don de prophétie, aux autres celui de la parole, à ceux-ci la grâce de faire des miracles, à ceux-là le privilège d'entendre les langues, le Saint-Esprit distribuant ses dons comme il veut, et à qui il veut ; il faut dire que notre saint est d'une manière inouïe, privilégié, puisque toutes les grâces lui sont accordées. Il est patriarche, prophète, apôtre, évangéliste, martyr, docteur, prédicateur, confesseur, anachorète, vierge : mais ce qui est grandement surprenant, c'est que non-seulement il possède toutes les grâces, mais il excelle dans chacune de ces différentes grâces. Les autres saints ont éclaté particulièrement en la pratique de quelque vertu qui leur a été spéciale ; mais la vertu particulière de ce disciple bien-aimé est de n'avoir aucune vertu particulière, mais de les posséder toutes dans un degré très éminent ; ainsi il n'est pas seulement patriarche de toutes les Églises d'Asie, mais patriarche de tous les Chrétiens, et spécialement de tous les dévots de la souveraine du ciel.

 

Il est prophète, et ses prophéties sont si sublimes, que les Pères ont dit qu'elles contiennent autant de mystère que de paroles ; les prophéties de son Apocalypse sont appelées simplement la révélation par excellence. Il est apôtre, mais entre les apôtres, il est le bien-aimé. Il est évangéliste, et entre les évangélistes il en est l'aigle ; il est martyr, mais son martyre sera comme celui de la Reine des martyrs, il aura assez de peine pour mourir, ses souffrances devaient lui donner la mort sans miracle, et cependant il ne laissera pas de vivre par un coup du ciel extraordinaire ; il est docteur, mais si admirable, que les Pères l'ont appelé le théologien par excellence. Il est prédicateur, mais si puissant, qu'il en est appelé du Fils de Dieu même l'enfant de tonnerre. (Marc. III, 17) Il est confesseur, mais d'une manière toute glorieuse dans son exil, dans lequel il parut comme une solide colonne de la foi, soutenant tous les fidèles dans la confession du nom de Jésus. Il est anachorète dans sa solitude de Pathmos, où ce cœur parfaitement détaché menait une vie plus céleste que humaine. Il est vierge, mais c'est un vierge qui garde la pureté de la Vierge des vierges : ces grâces incomparables marquent assez la force de l'amour de Notre-Seigneur en son endroit, comme d'un bon père, mais les caresses d'une mère très tendre ne lui manqueront pas. Le Fils de Dieu n'a rien de caché pour lui ; il lui dit tous ses secrets, il lui fait part de tous ses desseins, il lui montre sa gloire sur le Thabor, il le mène avec lui au Jardin. Saint Pierre n'osant lui demander qui serait le malheureux qui le trahirait, il s'adressa à lui, sachant que l'adorable Jésus ne pouvait lui rien céler ; il repose sur la poitrine de son Maître et y reçoit toutes les faveurs dont une créature mortelle peut être capable. C'est le cher disciple du cœur, et il y était si attentif que c'est lui qui parle du coup de lance, l'avant remarqué particulièrement, car sa vue était toujours arrêtée sur la place du cœur amoureux du tout aimable Jésus. Notre-Seigneur paraissant après sa résurrection, et saint Pierre ne le connaissant pas, il lui dit que c'était le Seigneur ; il le reconnut aussitôt, car c'est le propre de l'amour d'appliquer fortement au sujet que l'on aime.

 

Ses lumières ont été admirables, et saint Jean Chrysostome enseigne que les anges ont appris plusieurs choses de ce saint, que les chérubins mêmes et les séraphins l'écoutaient avec attention. Jamais, dit saint Ambroise, homme n'a connu Dieu avec une plus sublime sagesse ; il passe les vertus des cieux, s'élève au-dessus des anges, et va trouver le Verbe uni à Dieu : aussi était-il appelé le dépositaire des trésors du Verbe incarné. Les païens mêmes ont admiré la profondeur de son style, et ont cru que ses paroles devaient être écrites en lettres d'or en tous les lieux les plus honorables. La reine du ciel le députe pour donner une règle de foi à saint Grégoire, le faiseur de miracles. Le Saint-Esprit nous découvre assez la grandeur et la sainteté de ses écrits, puisqu'il déclare (Apoc. I, 3) bien heureux celui qui les lit et les entend. Saint Paul, dit Origène, proteste qu'il a vu des choses qu'il n'est pas permis à un homme de dire, et cependant saint Jean les révèle dans le commencement de son Évangile ; donc il doit être plus qu'homme selon la pensée de cet ancien.

 

L'abbé Rupert écrit qu'après l'ascension de Notre-Seigneur, la très sainte Vierge vivant des biens qui étaient aumônés en commun pour les fidèles, saint Jean l'évangéliste avait soin d'aller prendre tous les jours ce qui lui était donné, et lui apportait avec beaucoup de respect, recevant une double portion, l'une pour sa très bonne mère et l'autre pour lui. Mais il ne s'appliquait pas seulement à sa nourriture corporelle, il la nourrissait tous les jours de la communion vivifiante du précieux corps de son Fils, célébrant le très saint sacrifice de la messe en sa sainte présence. Une si bonne mère ne pouvait se séparer de ce fils aîné de tous ses enfants adoptifs. Elle le suivit jusqu'à Éphèse, comme il est rapporté dans une lettre que le concile tenu en cette ville adresse au clergé de Constantinople ; et celle à qui toutes choses obéissent, à qui Dieu même a bien voulu s'assujettir, obéit à saint Jean. Ô aimable favori du roi et de la reine du ciel, souffrez ici ces élans d'amour en votre glorieuse présence. Ô que les faveurs que le ciel vous fait sont rares ! Et que vos grâces sont précieuses ! Vous avez en votre suite la Mère d'un Dieu. Ô bien-aimé disciple, que vous êtes heureux, et que votre suite est magnifique ! Elle est plus glorieuse que si elle était composée de toutes les têtes couronnées, elle est plus considérable que si tous les séraphins quittaient l'empirée pour vous accompagner. Mais qui pourrait dire tous les mystères, tous les secrets que cette Mère de bonté a appris à cet aimable saint, tous les dons dont elle l'a ennobli ? Si saint Jean-Baptiste a été sanctifié à une seule de ses paroles, que devons-nous penser de la sainteté à laquelle notre saint a été élevé par la conversation familière qu'il a eue avec elle durant tant d'années ! Si les plus impurs, à ses approches, se sentaient portés à la pureté, à quel comble de pureté ce saint est-il arrivé, qui a passé une partie de sa vie avec cette reine des anges ? Si le cœur de la divine Marie était une fournaise d'amour, de quels feux son âme était-elle embrasée ? Nous lisons les vies des saints, et si l'on y rapporte que la très sainte Vierge leur ait parlé quelquefois, c'est ce qui fait le sujet de leurs éloges ; quelles louanges donc mérite cet enfant de Marie, qui a joui si longtemps, et avec des privautés si saintes, des entretiens de celle dont la seule voix réjouit tout le paradis ?

 

Son pouvoir est tout rempli de prodiges, car il chassait les diables des corps des possédés et ressuscitait les morts ; mais sa charité était incomparable, comme son bénin cœur avait reposé sur le cœur tout d'amour du Sauveur des hommes, et qu'il avait tant d'entrée dans le cœur de Marie, le plus aimant et le plus miséricordieux de tous les cœurs après celui de Jésus, il ne faut pas s'étonner s'il était si plein d'un amour admirable pour le cher prochain. Il compatissait aux misères des pauvres avec des tendresses ravissantes ; ayant trouvé un pauvre misérable sur le point de se désespérer, comme il n'avait pas d'argent, vivant dans une grande pauvreté, il changea les feuilles des arbres en or et les cailloux en pierres précieuses pour l'assister dans ses besoins. Saint Jérôme rapporte qu'à toutes les assemblées des fidèles, tous ses sermons se réduisaient à ces paroles : Mes petits enfants, entr'aimez-vous les uns les autres, dont ses disciples étant enfin ennuyés, il leur fit une réponse, dit ce Père, digne de sa personne sacrée, c'est le commandement du Seigneur, et il suffit. L'on voit, dans ses Épîtres, des expressions toutes pleines de tendresses ; mais, ce qui est bien remarquable, c'est que sa divine charité souffrait tout, espérait tout, ne rebutait jamais personne ; ce qu'il fit bien voir par un exemple merveilleux qui est rapporté dans l'Histoire ecclésiastique. Cet homme apostolique avait confié le soin d'un jeune homme à un évêque qu'il considérait, c'était une personne de grande espérance et qui promettait beaucoup ; mais, comme l'homme est inconstant dans ses voies, ce qui nous doit tous faire craindre, il se laissa tellement aller aux tentations du diable, qu'il se mit à voler dans les bois, et il ne fut pas longtemps à mener cette misérable vie, que toute la troupe malheureuse des voleurs le choisit pour leur guide et leur capitaine. Le saint apôtre passant par le lieu et la résidence de l'évêque à qui il l'avait confié, et après lui avoir demandé des nouvelles du jeune homme, ayant appris l'état dans lequel il était, et lui ayant remontré doucement qu'il ne devait pas l'abandonner, quel criminel qu'il pût être, il se met en chemin, tout vieux qu’il était et chargé d'années, et s'en va le chercher. La divine Providence, qui le conduisait, lui ayant fait trouver, le jeune homme fut tellement surpris à la rencontre du saint apôtre, qu'il prit la fuite, ayant honte de paraître en la présence de l'homme de Dieu. Le bon vieillard commença à doubler le pas, l'amour donnant des forces à son corps il le poursuivit amoureusement, et enfin la douceur de ses paroles l'ayant obligé de s'arrêter, bien loin de crier ou de lui faire des reproches, il le consola par ses paroles toutes de charité, et comme il remarquait qu'il cachait sa main qui avait fait tant de meurtres, et qui avait rougi tant de fois dans le sang innocent de ceux qu'il avait tués, il la lui prit avec beaucoup d'amour et la baisa avec des tendresses capables de toucher les cœurs les plus insensibles ; aussi le jeune fut-il touché, et, quittant sa malheureuse vie, il suivit le saint et fit une conversion admirable ; et, à quelque temps de là, il entra dans l'état ecclésiastique, ayant reçu des grâces très extraordinaires par les intercessions du charitable saint.

 

Sa charité est si admirable qu'après sa mort même tout glorieux qu'il est dans le ciel, il veut bien encore se charger de la conduite particulière des âmes comme il l'a fait voir en sainte Élisabeth de Hongrie, qui l'a eu pour son directeur par une grâce spéciale. Comme il a été le disciple de la croix, il lui en procura de bien grandes, et en bon nombre, et en des sujets très sensibles, c'est ce qu'il lui avait promis, lorsque lui apparaissant visiblement, il lui dit : Élisabeth ma chère fille, les croix ne vous manqueront pas.

 

Il prend des soins merveilleux de la perfection de ses dévots. À Paris, un jeune homme qui portait son nom et qui lui avait une dévotion particulière, entendit une voix la nuit, qui l'animait à persévérer dans le dessein qu'il avait pris de quitter le monde. Huit jours après, entendant la même voix, et demandant qui c'était qui lui parlait ? C'est saint Jean l'évangéliste, répond le charitable apôtre, et huit jours encore après, le saint revenant, lui mit en main un papier, dans lequel était écrit le nom de la Compagnie de Jésus, ce qui l'obligea d'entrer dans cette Compagnie.

 

Il assiste à la mort de ses dévots, il leur obtient des grâces de la Mère de Dieu. Ferdinand, prince de Portugal, un peu avant que de mourir, fut visité par sa chère maîtresse, la très digne Mère de Dieu, accompagnée d'un grand nombre d'esprits bienheureux, dont saint Michel qui était l'un de ces esprits célestes, s'étant prosterné devant cette reine du ciel, la pria de tirer des misères de cette vie le prince Ferdinand, et de le mettre en leur compagnie. Saint Jean l'évangéliste en qui ce grand prince avait une confiance toute particulière, lui fit aussi la même demande, mais il ajouta qu'il méritait les couronnes dues aux âmes chastes, ayant gardé son innocence baptismale, qu'il perdrait s'il tardait davantage avec les hommes. Souvent les personnes innocentes sont enlevées par une mort qui paraît précipitée ; mais c'est par une douce disposition de l'amoureuse providence de Dieu, qui les ôte du monde, de peur qu'y restant davantage ils n'en prennent la corruption.

 

Mais il n'a pas seulement des bontés toutes particulières pour ses dévots, il en a encore pour les amis de ses dévots ; c'est assez que l'on appartienne en quelque manière aux personnes qui l'honorent pour en recevoir des assistances admirables. Saint Édouard, roi d'Angleterre, une dévotion singulière à ce glorieux apôtre, et il ne refusait jamais rien de tout ce que l'on lui demandait en son nom, et pour l'amour de lui : une dévotion si rare mérita que saint Jean l'Évangéliste lui parût déguisé en pèlerin, lui demandant l'aumône en son nom, et comme c'était dans un temps où le roi (son aumônier étant absent) n'avait rien sur soi qu'un anneau de très grand prix, le saint le voulut éprouver : mais l'amour du prince pour ce grand apôtre, surpassant toutes les inclinations qu'il pouvait avoir pour les choses du monde qui lui étaient les plus chères, fit que sans autre considération il tira l'anneau de son doigt pour le donner à ce pèlerin déguisé.

À quelque temps de là deux pèlerins anglais étant allés aux lieux saints de Jérusalem, et s'étant trouvés surpris de la nuit, ils découvrirent enfin une maison, où ils trouvèrent un vénérable vieillard qui les reçut avec une grande douceur et leur donna à manger : mais le lendemain ils furent bien étonnés de voir disparaître cette maison et d'apprendre de la propre bouche de leur hôte qu'il était saint Jean l'évangéliste, et qu'il aimait uniquement leur roi pour sa rare chasteté ; il leur donna l'anneau qu'il avait reçu de sa main, et les chargea d'avertir le roi que dans six mois il mourrait, qu'il ne manquerait pas d'assister à son trépas, et de le visiter à ce moment qui fait la décision de tout notre bonheur.

 

Le pieux Ribadeneïra conseille de prendre ce saint apôtre pour avocat auprès de la Mère de Dieu ; sa qualité d'enfant de Marie, tous les soins qu'il en a pris pendant sa vie toute sainte, l'amour du cœur de ce saint pour Marie, sont des motifs tout puissants pour nous engager à l'honorer en cette qualité, et nous servir de lui dans toutes les requêtes que nous aurons à présenter à notre bonne Mère. Les contemplatifs et les personnes d'oraison doivent y avoir recours, ce saint ayant été élevé dans les plus hauts degrés de l'oraison et union avec Notre-Seigneur, les personnes peinées tant intérieurement qu'extérieurement doivent se mettre sous sa protection, car il est le disciple de la croix, et il a eu pour partage le calice de son Maître, avec la très sacrée Vierge. Les prédicateurs, missionnaires, docteurs, confesseurs, doivent avoir pour lui une vénération singulière, ayant possédé toutes ces qualités d'une manière très éminente. Ceux qui sont dans la vie active, ceux qui sont dans la retraite et la solitude, doivent lui être bien dévots, ayant mené toutes ces deux vies et les ayant consommées dans une très haute perfection. Mais surtout il doit être le grand patron des vierges, et des âmes chastes, celles qui ont dessein de garder la chasteté doivent lui recommander sur toutes choses, lui mettre entre les mains, et sous sa bienheureuse protection ; Jésus-Christ, ayant confié à ses soins, la virginité de la Vierge des vierges, sa très pure et immaculée Mère, on ne peut pas la mettre en meilleure main. Enfin, comme il a reçu toutes sortes de grâces, toutes sortes de personnes de tous états et conditions ont droit de le prendre pour patron et protecteur. Comme son cœur a été rempli d'une charité si universelle, même pour les plus grands pécheurs, les plus misérables peuvent avec confiance s'approcher de ce saint aussi bien que les plus parfaits ; son charitable cœur n'est fermé à personne, il est ouvert à tous ; l'on célèbre sa fête deux fois l'année, le vingt-septième de décembre et le sixième de mai, où l'on fait mémoire de ses cruelles souffrances devant la Porte-Latine. On peut s'y préparer comme aux fêtes de grande dévotion, par jeûnes ou abstinence, par des mortifications intérieures, par des aumônes, par des prières, par la visite de quelque chapelle ou autel consacré à Dieu en son honneur, assister le jour aux sermons qui s'en font, ne manquer pas de s'y communier, lire quelque chose de sa vie ou de ses grandeurs, tâcher de gagner quelques personnes pour leur en inspirer le culte et la dévotion, donner de ses images ou des livres qui parlent de ce saint. Il y en a qui récitent tous les jours le commencement de son Évangile : In principio ; les premiers Chrétiens le portaient sur eux, et à présent, par l'ordre de l'Église, les prêtres le lisent à la fin de la sainte messe. Dieu a donné souvent des secours miraculeux à ceux qui le lisent, ou même qui le portent par pure dévotion, sans y mêler rien de superstitieux, comme quelques-uns font par les mouvements du démon, qui tâche de la sorte de profaner les choses les plus saintes ; et l'expérience fait voir que c'est un singulier remède contre les maléfices, les vérités d'un Dieu incarné qu'il renferme mettant eu fuite les diables, et détruisant tous les maléfices des sorciers et magiciens ses suppôts.

 

Quand l'Église, dans le verset qu'elle chante en son office, le jour de sa fête, parle de l'honneur qui lui est dû, elle dit qu'il le faut beaucoup honorer ; et l'expression qu'elle en fait est très remarquable. Saint Thomas et le vénérable Bède estiment qu'il est au ciel en corps et en âme, Notre-Seigneur et sa sainte Mère n'ayant pas voulu différer la résurrection de son corps au temps de la résurrection générale, voulant avoir auprès d'eux leur cher favori. Il est vrai qu'il y en a qui tiennent qu'il n'est pas mort, et qu'il est réservé pour combattre l'Antéchrist dans les derniers temps ; mais saint Jérôme écrit qu'il est mort à Éphèse. La tradition de sa mort est merveilleuse, car l'on rapporte qu'avant fait assembler les fidèles à son ordinaire, comme ses disciples le portaient entre leurs bras (son extrême vieillesse l'empêchant de marcher), après leur avoir donné la paix de Jésus-Christ et pris congé d'eux, il se fit descendre dans une fosse où il fut à même temps environné d'une grande lumière, qui ayant produit dans l'esprit de tous les fidèles beaucoup d'admiration et de profonds respects, cette lumière étant disparue, comme ils voulurent s'approcher de ce sacré tombeau, ils n'y trouvèrent plus rien, mais seulement une liqueur précieuse et toute pleine d'effets admirables.