CHAPITRE XV

 

SA RETRAITE

LE PÈLERINAGE DE NOTRE-DAME DES BOIS

 

 

La santé du P. Lamy était devenue très chancelante et sa vue avait beaucoup baissé : en 1923, il demanda sa retraite, craignant, s'il restait dans sa paroisse, de la faire péricliter. Il ne se sentait plus la force de soutenir activement les œuvres qu'il avait créées et amenées à un état de prospérité très remarquable. Dès lors, il passa l'hiver à l'Infirmerie Marie-Thérèse, rue Denfert-Rochereau, et la belle saison au Pailly, en compagnie de sa sœur et de son beau-frère. Avec les capitaux laissés par leurs parents, une petite maison avait été bâtie en face l'ancienne, où la place était insuffisante pour trois ou quatre personnes.

 

Un travail plus modéré devait rétablir la santé du P. Lamy et l'opération de la cataracte, faite le 23 mars 1924, lui rendre la vue de l'œil gauche. Son séjour annuel à Paris était coupé de quelques déplacements chez des amis ; il allait parfois dire la messe à Meudon, et, au petit printemps, il faisait un séjour à Chartres, heureux d'aller prier Notre-Dame de Sous-Terre. A Paris, et même au Pailly, une foule de visiteurs le harcelaient sans cesse ; attirés par sa réputation de sainteté et par les prodiges qu'on lui attribuait. A quelqu'un qui l'interrogeait sur ce que tant de personnes différentes pouvaient bien lui demander : « Ah ! Madame, répondit-il, toutes sortes de choses matérielles et très peu de spirituelles. Les marchands et les marchandes qu'on achète leur marchandise. Et puis, ce sont toutes sortes d'affaires ! Et les maladies, les têtes, les dents, les pieds ! Que sais-je ? Et, quelquefois, ces choses demandées avec une insistance ! Je leur réponds : « Je mets tout dans le tas, tout dans le sac, et je présente à la Sainte Vierge. Elle y prend ce qu'Elle veut ». Mais ça ne leur suffit pas. Il y a quelque temps, une dame vient me trouver : « Ma fille est folle depuis deux ans. Je veux qu'elle soit guérie ». Elle insistait et elle insistait. Vraiment, je l'avais sur le dos. Je ne savais comment m'en dépêtrer. « Il me faut cette guérison, Monsieur l'Abbé !

— Eh bien ! Prenez-la donc, Madame !

Je lui ai dit, pour m'en débarrasser : « Allez, elle sera guérie dans six mois ». La Très Sainte Vierge m'a pris au mot : six mois après, elle a été guérie. »

 

A Paris, comment échapper à la foule pour prier tranquillement ? La chose était bien difficile au P. Lamy. Quand on ne le trouvait ni dans la chapelle, ni dans l'oratoire, où il disait habituellement sa messe, ni dans sa chambre, on était à peu près sûr de le découvrir, disant son rosaire au fond du jardin, quelque temps qu'il fit. Tel venait le chercher pour un conseil, tel pour une confession, tel encore pour le conduire chez un malade. Lui-même, tous les mercredis, se rendait rue d'Ulm pour adorer le Saint-Sacrement. De temps en temps, il allait au Sacré-Cœur, à Notre-Dame-des-Victoires, aux chapelles de la rue du Bac et de la rue de Sèvres.

 

Au Pailly, le P. Lamy était un peu moins harcelé. Il cultivait son jardin tout en priant à longueur du jour. Il se rendait plusieurs fois par semaine à Notre-Dame des Bois, rarement à pied, car le chemin est long, mais dans sa petite voiture à âne, ou dans les autos des pèlerins, ou encore dans le camion du crémier de Grenant, qui passe prendre le lait dans les villages des environs. Ces visites à Notre-Dame des Bois faisaient sa joie. Il y disait la messe plusieurs fois l'an. Il venait beaucoup de monde à la messe de juin, surtout de Paris et de La Courneuve. Le dimanche dans l'octave de la Nativité il chantait les vêpres à Notre-Dame des Bois devant une assistance qui atteignait quelquefois huit cents fidèles ; le lendemain, avec un groupe de pèlerins qui variait entre quarante et cinquante personnes, il se rendait à Gray. Il y disait la messe, en souvenir du 9 septembre 1909. Quand on allait remercier le P. Lamy pour des grâces reçues ou des guérisons, il invitait à envoyer une note ou les certificats médicaux au curé de Violot, dans la paroisse duquel s'élève la petite chapelle de Notre-Dame des Bois.

 

« La Sainte Vierge guérit. Elle le fait. Je La prie que ça n'ait pas lieu sur-le-champ, dans la chapelle. Elle m'a dit : « Ils me font travailler la matière ». Mais Elle préférerait qu'on Lui demandât le miracle d'une âme. Son Fils a souffert pour les âmes. Le corps, ça passe ! Ah ! si tous les chrétiens savaient ce qu'il y a là, combien ils viendraient prier ! Ceux qui viennent à Notre-Dame des Bois maintenant ne viennent pas de mon fait : je n'ai jamais écrit un mot pour recommander le pèlerinage. »

 

« Il est venu à moi récemment (16 janvier 1924) une jeune fille intéressante, dans les dix-huit, dix-neuf ans, qui avait perdu toutes ses dents, comme moi, ici, celles du devant. Chez elle, tout s'était gâté et était devenu noir. C'était très gênant pour elle. Elle est allée à Notre-Dame des Bois et a bu à la source. L'eau de la source jouissait déjà d'une certaine réputation (riant) : elle n'a rien perdu de ses vertus avec la venue de la Sainte Vierge ! Les dents ont recommencé à pousser, et, sept, huit mois après, elle m'a montré toutes les dents de sa mâchoire supérieure, qui étaient repoussées. Je lui ai dit : « Que vous servent ces dents ? Vous ne pouvez pas manger. Retournez-y et demandez à la Très Sainte Vierge les dents d'en bas ». Elle y est retournée, et toutes les dents de la mâchoire inférieure sont repoussées. Docteur, je vous l'enverrai, et vous verrez. Pour moi, j'ai vu là une dentition nouvelle, qui m'a paru très belle. »

 

« Tout est ex-voto à Notre-Dame des Bois : le chœur, l'autel, les vitraux, la statue sur le toit. L'horloge est aussi un ex-voto. C'est joli, dans les bois, quand vous entendez Ave Maria ; quand la musique cesse, l'heure sonne. L'autel Saint-Michel à Notre-Dame vient de la cathédrale. M. Pivent a donné avec M. Louis Martin la statue de saint Michel. Pour Notre-Dame des Bois, tout est venu tout seul, tout a été envoyé par la Sainte Vierge ; quant à moi, je m'arrête strictement à Sa volonté. »

« A Notre-Dame des Bois, moi, je me charge de toutes les dépenses sur ce qu'on me donne de la main à la main. Tout l'argent du tronc passe au curé de Violot pour des messes aux bienfaiteurs de la chapelle. Le précédent évêque m'avait interrogé là-dessus. Je lui ai répondu : « Monseigneur, soyez tranquille. Je n'ai jamais gardé un sou, à moins que je l'aie fait par erreur. »

 

« La Très Sainte Vierge est venue deux fois dans l'intérieur de la chapelle. J'ai eu les dates exactes sur un papier, mais je ne sais ce que j'en ai fait. La première peut être retrouvée, grâce à un fait ; on sonnait un baptême quand la Très Sainte Vierge est apparue. On sonnait à Violot, et l'enfant qui a été baptisée ce jour-là est la nièce de l'abbé Vauthelin. Elle a fait sa première communion cette année (1925), et, au déjeuner, on l'a mise à côté de moi. J'ai vu la Vierge Immaculée dans le vestibule quand les transformations n'étaient pas encore faites. J'ai vu la Sainte Vierge derrière Sa statue, tout près de moi, à 1 mètre, comme vous ici. C'était pendant les travaux. J'ai été d'abord étonné. Non de voir la Sainte Vierge comme cela, car je L'avais déjà vue sous cet aspect, mais de La voir à ce moment, si brusquement. »

 

« L'autre fois, c'était pendant la guerre, en février, je crois en 1915. Je Lui portais une petite couronne qu'on m'avait donnée pour sa statuette. M. le Curé de Violot a apporté un globe, qui est maintenant dans l'armoire. Ce globe venait de l'église de Palaiseul : il couvrait une fleur. La Vierge (de bois) était sur l'autel, mais les gens la prenaient dans leurs mains, et la dorure s'écaillait. Nous avions donc placé la statue sous le globe : il était assez long pour la Vierge, mais pas pour la petite couronne. Nous l'avions là pour la poser sur la statue. Il me dit : « Le globe ne sera pas assez grand pour la couvrir. » Je lui dis : « Il ne sera pas assez grand ? De combien faut-il l'allonger ? Je vais demander ». La Sainte Vierge a exaucé ma prière, et le globe s'est allongé de ce qu'avait dit le curé de Violot. Il y a maintenant un petit fléchissement : il faut être au soleil pour le voir : la Très Sainte Vierge l'a laissé exprès. Avant, il était parfaitement arrondi. Il aurait fallu qu'il (le curé de Violot) me dit : « La main toute entière ! » Il avait dit : « Trois doigts. Ce sera largement suffisant ». Je lui ai dit : « Vous ne pouviez me dire : la main toute entière ? » La Très Sainte Vierge ne l'a pas allongé plus que je ne l'avais demandé, et, avec la couronne, ça allait tout juste, tout juste. Le haut de la couronne touchait le globe après son allongement. Lui dit (sur un ton de bougonnerie) : « Il va l'allonger comme un tuyau de poêle ! » Je n'ai pas voulu demander un second allongement à la Très Sainte Vierge. Nous nous chamaillions. M. le Curé de Violot était là sur une chaise, essuyant le globe. Il m'avait dit : « Essuyez donc la statue sur l'autel, qui est blanche de poussière ». Je tire de ma poche un mouchoir propre, et je nettoie la statuette sans voir cette poussière, qui devait être bien légère. Au moment même, je sens que je passe le linge sur la figure d'une personne. Je lâche la statuette et je m'incline profondément devant la Vierge et l'Enfant. On sent bien la différence, au toucher, entre un bout de bois et un visage humain. La Sainte Vierge était là, souriante : Elle avait entendu la discussion. Elle se sera dit : « Voilà deux vieux qui se chamaillent ». L'Enfant était souriant. Elle n'a pas changé son attitude de la statuette. Elle étendait le bras comme ça. Elle a complété le geste qui est simulé dans la statuette. Elle est protectrice : c'est la Vierge Puissante. Elle étend son manteau sur ceux qui veulent venir là. Mais l'Enfant Jésus était habillé jusqu'aux chevilles, contrairement à celui de la statuette. Il a les manches, comme nous, assez larges. L'Enfant Jésus est très joli. Je n'ai jamais vu de lui une image ressemblante. Les artistes s'inspirent des beautés de la terre. C'est comme si un homme n'ayant vu que des rivières voulait peindre la mer : il fera des bords sur les deux côtés, assez distants peut-être, mais cela ne ressemblera en rien à l'immensité qui vous frappe à la vue de l'océan. Je suis plus libre avec Notre-Seigneur. Quand je L'ai touchée, ce n'était ni désiré, ni voulu. Avec lui, je suis comme un fils avec son bon papa. Saint Bernard a eu d'autres sentiments en demandant du lait de la Vierge. Cette fois-là, Elle ne portait pas Sa couronne de fleurs. »

« J'essuyais la statuette et j'étais retourné, parlant au curé, quand je sens une figure, une vraie figure. Je me suis arrêté un petit instant. Elle m'a regardé, l'Enfant aussi. J'ai fait comme ça, pour aller contre le mur, qui n'était pas ouvert, pour passer derrière l'autel. La Sainte Vierge a dit un mot, et l'Enfant rien. Je dépose rapidement la statuette sur l'autel, je m'agenouille devant eux. Un moment, j'ai eu la tentation de dire : « Donnez-moi l'Enfant ! » Elle n'a pas été longtemps. »

 

« Le saint archange Gabriel y vient souvent. Il y est encore venu le 29 juin (1925). J'étais seul ; je disais mon bréviaire. J'avais renvoyé l'enfant (de chœur). Il me parle des choses célestes. C'est le messager divin, non celui d'un homme de la cent cinquante-quatrième classe ! Je le charge de mes messages pour la Très Sainte Vierge. Je lui dis : « Dites-Lui donc ceci, cela... » Il ne répond pas, mais il sourit. »