CHAPITRE XVII

 

SES DERNIERS MOIS SUR TERRE

SES VERTUS

 

 

Le P. Lamy, revenu, après cette épreuve terrible, à la vie qu'il menait auparavant, continuait à se dépenser toujours pour les œuvres de charité et l'apostolat. Son cœur était resté avec ses religieux dispersés, dont il recevait les visites ou avec lesquels il correspondait. « Depuis la destruction de l'œuvre, disait-il, je semble encore debout, mais ce n'est plus qu'une apparence : je suis effondré. Mes facultés baissent beaucoup en ce moment, et je considère cela comme une bonté de la Providence à mon endroit. Ainsi, je sens moins le grand chagrin que j'ai eu à Chambourg. Je savais que ça irait mal. Je ne croyais pas à ce point. Quelquefois, après avoir parlé dix minutes, il faut m'arrêter dix autres. Cette affaire m'a porté un coup ? »

 

« Elle a voulu pour moi, toute ma vie, des épreuves et des tribulations. Des épreuves, nous en avons eues tant et plus, avec la congrégation, de Satan et de ses suppôts. Elle prolonge ma vie. Je devrais être mort depuis bien quatre ans. Quand Elle m'emmènera, je prierai à ce moment-là pour le groupement. Le grain reposant en terre semble mort. Je désirerais que, bientôt, quand je ne serai plus sur terre, vous vous rappeliez mes encouragements, mes avertissements, que vous soyez bien armés à ma mort. A force de prières, tout commencera à s'éclaircir, tout s'agrandira ; l'œuvre sera comprise. Elle prospérera. Vous trouverez des concours, des amitiés fidèles. Ceux de vos amis, qui se sont écartés, vous reviendront. »

 

Sa mort, trop longuement différée, ne devait pas se produire dans les circonstances où le P. Lamy l'avait vue à Gray. De ce changement, il avait reçu l'impression dans ses derniers temps et spécialement le 15 novembre 1931. Il notait, ce jour-là, sur son carnet intime : « A 6 h. 1/2, messe à l'oratoire. La Vierge Puissante fait descendre dans mon âme un peu de sa douce paix. Je me demande si Elle me prépare à mon voyage pour l'éternité ». Le pronostic était exact. Quinze jours plus tard, le soir du 1er décembre, de passage chez un de ses amis, où il s'était rendu par charité envers une malade et des vieillards indigents, saisi d'une crise cardiaque foudroyante, il mourait en quelques instants, après avoir confié son âme à Marie et à saint Gabriel, ses protecteurs bien-aimés. Deux jours plus tard, on l'enterrait, au milieu d'un grand concours de monde, au cimetière de La Courneuve.

 

Ce recueil des conversations du P. Lamy sur quelques points saillants de son existence a été rédigé à la demande de ses amis. Pour eux est-il besoin de commémorer ses vertus ? Ne faisaient-elles pas tout son attrait ? N'est-ce pas, enfin, une gageure de vouloir trouver dans les paroles de ce chrétien admirable de quoi concourir à sa louange, quand, chez lui, tout amour-propre était effacé par une passion inouïe du divin ?

Nous avons donné sur sa piété enfantine le témoignage de sa sœur et montré que cette vertu touchait, dès lors, au pur prodige. Qui d'entre nous l'a vu cesser un seul instant de prier, tant que la chose était possible ? Il fallait qu'un travail fût bien absorbant pour arrêter sa récitation perpétuelle du chapelet : « C'est l'inverse pour moi, disait-il ; plus je récite de rosaires à la suite, plus je vois distinctement les mystères. Mon âme se fixe dans la scène. Je m'en rapproche de plus en plus et je finis par n'être plus séparé des personnages qui sont en jeu. Je ne comprends pas toujours les mystères comme ils sont représentés dans les tableaux. »

 

« Le chapelet en cœur (remarqué lors de sa vision de Gray), c'est pour montrer combien cette dévotion Lui tient à cœur, combien, par elle, Elle aime à répandre ses bénédictions sur la terre... Saint Dominique n'a pas établi la dévotion du rosaire, qui préexistait ; mais la Très Sainte Vierge l'a confirmé dans cette dévotion. Et, avant notre chapelet sous sa forme actuelle, il y avait des chapelets primitifs, des baguettes de bois à encoches, où on plaçait le doigt comme ça, une petite roue, qu'on tournait comme ça autour du doigt ; l'arrêt était un Gloria. Après ça sont .venus de petits cubes, qui étaient très bien faits. »

 

« Quand vous circulez en récitant le rosaire, vous n'avez rien à craindre. Vous pouvez circuler en toute confiance. On ne craint rien en le récitant. La Très Sainte Vierge enverrait quelques-uns de Ses anges – Elle en a tant ! – pour nous protéger, s'il y avait péril. Moi-même, je n'ai jamais rien eu comme accident en circulant de jour et de nuit à La Courneuve, dans un endroit si mal peuplé. C'était pour une grande part, l'écume de la population de Paris qui venait s'y fixer. »

 

« Vous me trouvez bien regardant sur le travail du dimanche. On ne l'est jamais trop. Je vais jusqu'à préférer de ne pas offrir une fleur à la Très Sainte Vierge que de la cueillir le dimanche. Quand le travail du dimanche entre dans une âme, c'est comme la gangrène : tout y passe ! »

« Les jeux et les sports, tels qu'ils sont compris actuellement pour la plupart, c'est une attaque directe de Satan, contre les offices du dimanche. Il disait avec mépris : « Je suis le maître ici. Je les pousse comme un troupeau ! »

« Afin d'éviter les châtiments du ciel, il faudrait d'abord que les catholiques se concertent pour observer et faire observer la sanctification du dimanche. J'ai toujours été strict sur cet article dans ma paroisse, et la Très Sainte Vierge goûtait cette sévérité. Un pauvre prêtre était en rapports avec une ligue belge qui avait pour objet l'observation du dimanche ; un jour qu'il priait avec intensité, la Très Sainte Vierge a dit : « Il prie pour cela depuis longtemps, mais c'est comme un gros rocher, oui, un gros rocher qu'il jette dans la mer ! » Mais il en faudrait beaucoup pour la combler ! Elle se plaint de la profanation du dimanche, mais Elle ne jette pas la pierre à ceux qui le profanent. La profanation du dimanche, c'est un manque à l'adoration. Elle ressent vivement l'injure faite à Dieu : c'est un fait ; mais Elle a pitié de ceux qui font l'injure. »

 

Le P. Lamy intercédait dans ses prières pour tous ceux qu'il approchait, et la vue des âmes, dont il était souvent favorisé, l'y incitait continuellement : « L'état de mes voisins, je le connais assez souvent, mais pas absolument toujours. Je frappe à la porte des âmes : je n'ai pas la prétention d'ouvrir. Un prêtre de mes bons amis disait que c'est un devoir pour nous de monter dans le compartiment où il y a le plus de monde, pour semer quelques bonnes paroles. Si j'essaie toujours d'engager la conversation avec mes compagnons de route, ce n'est pas, vous le pensez bien, pour le plaisir de parler. Dans trois cas, je crois avoir ramené des âmes dans la bonne voie. Cela m'a valu aussi plusieurs avanies. Des injures, cela m'est bien égal ! »

 

« Quelquefois, quand Notre-Seigneur envoie sa lumière, on voit clair dans une âme comme dans son bréviaire, quand on y lit. On y lit de même. Quelquefois une âme est tellement à Dieu que c'est visible comme pour le fer ou le bois : ça, c'est du fer ; ça, c'est du bois. Il n'y a pas d'erreur possible. Quelquefois, Notre-Seigneur n'envoie pas sa lumière ; alors, c'est le brouillard. Il a ses raisons pour l'envoyer ou ne pas l'envoyer. De voir les âmes, c'est un don que je ne vous souhaite pas. Rien n'est plus lourd que ce don-là. Et pas toujours, heureusement. Ô mes enfants ! Quelquefois, j'ai eu des tristesses à en mourir ! Quand je vois des âmes, à qui je souhaite tout le bien qu'on peut, des âmes qui m'apparaissent comme des bâtons desséchés ! Je me dis, de certains : « Ils sont entrés dans la maison de Dieu ; ils en sont sortis ; qu'est-ce qu'ils ont emporté ? » Combien de fois j'ai demandé à la Très Sainte Vierge de ne pas le voir, de ne pas le constater ! »

 

« Pour l'odeur du péché, je ne sais si tous les prêtres sont comme moi. Les femmes peuvent se mettre les meilleurs parfums et les plus forts, je le sens malgré cela. C'est une odeur qui se sent intérieurement. La semaine dernière, il est venu ici une femme très élégante, que je ne connaissais pas. Elle m'apportait de l'argent pour Notre-Dame des Bois. Bien que je fusse sensible au geste qui l'amenait, elle sentait si fort le péché que sa présence m'avait été pénible. Elle est revenue, et j'ai été délivré physiquement quand elle est partie. Cette mauvaise odeur m'a incommodé longuement : (souriant) j'en ai été bougon toute la journée. »

 

Quelque concentrée que parût l'action du P. Lamy sur des objectifs immédiats, qui semblaient l'absorber tout entier, sa pensée restait libre de tout lien et d'une compréhension réellement catholique, c'est-à-dire universelle. Il priait, en particulier, très souvent pour les Anglicans : « Parmi les Anglicans, disait-il, il y en a beaucoup qui sont moins coupables que nous. Ils sont dévots à la Très Sainte Vierge, au Saint-Sacrement. Leur erreur, ce n'est pas à eux-mêmes qu'il faut l'imputer, mais à leurs aînés. Même si le Saint-Sacrement n'est pas là, ils le prient réellement. De ces dévotions, il ne peut leur en revenir que du bien. La réconciliation avec Rome, aussi bien en Angleterre que dans leurs colonies et que dans les missions protestantes, ce serait un bien énorme. Et pour les églises schismatiques, quel exemple ! Leur principal appui disparaîtrait. »

 

« Les Juifs, eux-mêmes, sont dans tous les pays, mais ne sont pas abandonnés. Dieu n'abandonne jamais les siens. »

 

Nous avons vu combien le P. Lamy se montrait défiant vis-à-vis des manifestations surnaturelles, et cela .depuis son enfance, par son attitude au Pré Jacquot. Sa prudence et son sens critique se montraient en toute circonstance. « Je me méfie, disait-il de ma méditation, car l'âme travaille. Je le disais un jour à une religieuse de grande valeur : « Y avez-vous pensé ? Méfiez-vous de vous-même ». Nous partons quelquefois avec une idée préconçue : il ne faut pas que ce soit pris pour une conversation avec Notre-Seigneur. Je m'en garde toujours bien, car nous pourrions faire à la fois questions et réponses. Souvent, nous pensons avoir une méditation corsée, et c'est du vague. »

 

Quelle simplicité et quelle humilité chez le P. Lamy ? Une personne avait voulu dessiner son portrait. La séance finie, elle lui demande s'il se trouve ressemblant. « Cela, répond-il, je ne saurais le dire : je n'ai pas vu ma figure depuis vingt ans. J'avais un miroir étant vicaire à Saint-Ouen, mais je l'ai cassé et ne l'ai pas remplacé. Je n'avais pas de glace, non plus, à La Courneuve, mais j'en trouverai bien quelqu'une, ce soir, à l'infirmerie, et je me regarderai pour juger de la ressemblance. »

 

« Mon Dieu, comme les bons conseillers sont rares ! Et je ne suis pas du nombre, quoique bien vieux, car je suis trop bête. Le P. Etrayé me disait souvent : « T'es bête ». – Et moi : « Je le sais bien. Vous n'avez pas besoin de me le dire ». Quand il me voyait, il disait : « Le voilà qui vient m'attaquer ». Il avait une expérience de quarante ans, et c'était certainement le plus remarquable des chanoines de Troyes. J'allais souvent l'attaquer, chaque fois que j'avais besoin d'un conseil. Ses décisions étaient marquées au coin de la prudence et du jugement. »

 

« Peu de temps après mon ordination, j'avais été mis par Dieu sur le chemin d'un garçon taré au possible, qui avait été perverti par des hommes vicieux. Ce malheureux venait d'être ajourné ; il habitait chez une logeuse. J'en ai été très mal accueilli tout d'abord, le malade menaçant de me cracher au visage. Je lui ai répondu que ce serait seulement un peu de salive sur de la boue, que cela ne m'importait pas. L'ayant vaincu, bien plus par une insistance affectueuse, que par mes arguments, je me vis enfin demander les sacrements. Le malheureux garçon mesurait sa déchéance et me disait qu'aucune lessive ne pourrait plus nettoyer son âme : « Elle est pourtant, lui dis-je, d'un linge très fin, d'une toile très précieuse, car elle a été rachetée par le baptême. Quelles que soient les immondices qui l'ont salie, elle redeviendra parfaitement propre ». Ce jeune homme s'est réconcilié avec Dieu, et, un matin, il a été trouvé mort dans sa chambre. »

 

« Une fois, à La Courneuve, je revenais de Paris en tramway. Un homme et une femme me demandent si je connais un saint prêtre, qui habite à La Courneuve et qu'on leur a conseillé de voir. Je réponds : « C'est un vieil imbécile, qui ne dit que des bêtises. Je le connais très bien ». L'homme dit à la femme : « Eh bien ! Tu vois ! Celui-ci doit le savoir. Et tu m'emmènes le voir ? Il n'y a qu'à retourner ». J'ai changé au Pont de Flandres. Je suis resté assez longtemps en route : j'avais un enfant à ondoyer. Mais... ils m'attendaient à La Courneuve. (Souriant.) Mais c'est assommant, tout le temps des gens pendus derrière vous ! Et elles sont des dizaines. »

 

« En bénissant, je les mets (certains enfants) sous le patronage de la Très Sainte Vierge. C'est Elle qui le fait. C'est une grande grâce que l'appel d'une vocation. Vous pensez bien que ce n'est pas un homme de dernière classe comme moi qui peut donner quelque chose. »

 

Parlant d'un jeune valet renvoyé de l'infirmerie quelques jours auparavant : « Ce n'était pas un méchant garçon, mais peu développé. Il avait aussi un empressement singulier à dire dans la figure ce qu'il croyait être des vérités. Cela ne lui a pas réussi avec la petite Sœur X. Un jour, il m'a dit : « On dit que vous êtes un saint ; mais, les saints, je m'en fiche ! » Je lui ai répondu en riant : Vous avez tort pour les saints, mais pas pour moi. On vous a mal renseigné, car je n'ai rien de l'un d'eux. »

« Puisque vous serez là (présent à sa mort), je souhaite d'être enterré en dernière, dernière, dernière classe. Vous savez où. Vous savez quelle tombe j'ai achetée à La Courneuve. Je serai mis dans la tombe du P. Mamet, tout près de la grille, (souriant) regardant les gens. »

 

L'humilité semblait innée dans le P. Lamy, tant elle avait jeté en lui des racines profondes. A qui le connaissait bien, le plus léger mouvement de vanité, la plus légère complaisance en soi-même eût paru, chez lui, être l'impossible. L'orgueil lui semblait bien moins quelque chose de criminel que d'absurde. Ce sentiment perce dans des propos comme celui-ci : « Il (Lucifer) paraît en la présence de Dieu, et le Père lui-même se souvient d'être son créateur. S'il trouvait un biais, il pardonnerait à l'archange. Mais c'est son orgueil ! Il voudrait prendre la place de Dieu. Un jour, Lucifer m'accusant, Elle (la Vierge) lui répondait : « C'est un bien petit péché ; c'est de la faiblesse humaine ». Les péchés de faiblesse humaine, ce sont des péchés ; la Sainte Vierge y trouve des excuses. Mais le péché d'orgueil n'a pas d'excuse. Rien, absolument, ne vient de nous, ni l'être, ni la famille, ni les talents, ni la situation : toutes choses nous ont été données par Dieu. Les vertus elles-mêmes, ne sont qu'un reflet de Dieu, un reflet bien léger des grâces qu'il nous accorde. Dieu donne la prairie, et l'enfant offre une fleur de la prairie, qu'il va porter à son père. »

 

« Que de choses extraordinaires j'ai vues dans ma pauvre vie !

— Et combien malaisé d'éviter tout orgueil, alors qu'on voit le ciel s'abaisser jusqu'à soi ?

— Que cela vous trompe ! Que c'est faux ! Il est absolument impossible alors d'avoir de l'orgueil, de concevoir la moindre vanité. Alors seulement, on conçoit la distance qui sépare le ciel de la terre. On voit qu'on n'est rien, moins que rien devant Dieu et devant la Très Sainte Vierge. Alors seulement, nous estimons ce que nous sommes en réalité, et nous voudrions être encore plus petits pour plaire davantage. Quand vous voyez le respect des anges pour Dieu, pour la Très Sainte Vierge, vous rentrez en vous-même. De quelle façon respectueuse le saint Archange Gabriel parle-t-il à la Très Sainte Vierge ? « Reine », et il s'incline. Elle lui répond sur un ton, que je dirais presque maternel. »

 

La délicatesse du P. Lamy dans ses rapports avec le prochain était extrême, de même sa réserve dans les conseils qu'il donnait. « Avec quel doigté, disait-il, les religieux devront traiter les âmes ! On les prend souvent comme des fagots ! Respect pour les âmes, respect pour leurs fautes mêmes, O felix culpa ! que la Providence fait concourir à leur sanctification. »

 

« La conscience est un lieu qui nous est défendu. C'est le Saint des Saints, un sanctuaire inviolable. Il n'y faut pas entrer. Le grand prêtre entrait dans le Saint des Saints seulement une fois l'an et avec une corde autour du corps pour que, s'il venait à y périr, on put l'en tirer. Notre-Seigneur, durant la sainte Cène, n'a pas voulu, lui, le Créateur, qui en avait le droit absolu, entrer dans la conscience des apôtres. Il s'est contenté de cette allusion voilée : « Vous êtes purs, mais pas tous ». Si j'ai eu quelque influence sur les enfants, c'est pour le respect que je leur ai porté. (Riant.) Cela ne veut pas dire que je ne leur aie tiré les cheveux quelquefois ; mais j'ai respecté leur conscience. Dans le monastère, incendiez toute chose, mais respectez l'âme des religieux, n'entrez pas dans leur conscience. Beaucoup de supérieurs ne comprennent pas ça, et cela cause un grand mal. Rappelez cette parole que je vous ai dite dans le Bois-Notre-Dame : « L'âme du chrétien est un sanctuaire qui ne doit pas être violé ». Si Notre-Seigneur a respecté l'âme de Judas, à plus forte raison devons-nous nous respecter celle de nos frères. Dans l'ordination des prêtres, l'évêque interroge ses diacres et il leur demande s'ils les croient dignes du sacerdoce. Ceux-ci répondent : « Autant que la faiblesse humaine peut le faire croire, je crois qu'ils en sont dignes ». — « Deo gratias », dit l'évêque, et c'est tout. Celui-là même qui possède les lumières du Saint-Esprit ne va pas plus loin. On respecte encore les corps, mais pas assez les âmes. »

 

Si réservé qu'il fût, le P. Lamy savait rappeler à l'ordre avec fermeté, quand il remarquait un manquement aux bienséances ou une atteinte à la pudeur : « On voit les anges dans les sanctuaires, disait-il, se détourner, tourner le dos devant les personnes vêtues immoralement. Je suis sévère, mais pas au point où je devrais l'être. On ne s'imagine pas la sévérité du tribunal de Dieu pour certains gestes : ce sera terrible. On va me répétant : « C'est la mode ; c'est la mode ! » Ce sera la mode de passer sous le pressoir. »

 

« A La Courneuve, j'avais mon mouchoir de confession, un grand mouchoir à carreaux. Je le posais sur une chaise devant le confessionnal, et toutes celles qui n'avaient rien sur la tête, et pas de mouchoir à mettre, devaient le prendre ; elles le savaient bien, et il y en avait qui s'en allaient plutôt que de le mettre. »

 

Nous terminerons cette courte revue par un mot relatif à la sobriété et à l'amour de la pauvreté, si remarquables chez le P. Lamy. Qui d'entre ses amis ne l'a surpris, soit à La Courneuve, soit au Pailly, étant à sa table et, n'attendant personne ? Quels repas alors ? Combien misérables ! Jamais il n'avait voulu fumer, même au régiment. Et son attention à toujours mouiller son vin, vin ordinaire ou vin fin, et, de même pour son café, quand il n'avait pas eu le geste de refus assez prompt. « Je ne me plais, disait- il, que là où il me manque quelque chose. Et quand il ne me manque rien, c'est là que je ne suis plus à mon aise. »

« A Gray, Lucifer a dit : « Il n'est pas avare ». La Très Sainte Vierge : « Non, il n'est pas avare ». Le démon était furieux, que je ne sois pas avare. Il aime prendre les prêtres sur l'avarice. Elle n'a pas trouvé que la sauce que je prenais à Troyes fût trop grasse ! »

 

Non seulement le P. Lamy inculquait la pauvreté à ses religieux, mais il l'avait fait pratiquer à sa sœur, qu'il aimait tendrement, n'utilisant ni pour lui-même, ni pour elle, certaines sommes d'argent destinées par ses parents à leur famille. Il conservait fidèlement le dépôt pour le transmettre, mais ne voulait pas en tirer quelques facilités de vie bien légitimes. »

« Je ne veux plus rien avoir à moi quand je mourrai », disait-il, et, de fait, le P. Lamy n'avait plus à son heure suprême que les sommes reçues par lui les jours précédents destinées à telle série de messes, à telle œuvre, à tel de ses anciens religieux, comme il était marqué dans un carnet de comptes scrupuleusement tenu à jour. Pour les souvenirs qui lui étaient particulièrement précieux, il les avait distribués depuis longtemps.