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L'Homme Le 3 février 1926 s'éteignait à Paris une des voix les plus prestigieuses et les plus émouvantes qu'il ait été donné d'entendre ; une voix qui a versé dans le coeur de très nombreux êtres la consolation, la certitude, la paix : la voix de Sédir. * * *
Dès ses débuts il connut la peine : la situation matérielle difficile de ses parents ; pour lui, une tuberculose latente accentuée par les privations, une fracture de la jambe, le mal de Pott.
Étant enfant, il aurait aimé être berger. Il était dit qu'il mènerait, pour reprendre la parole de Péguy, « un bien autre troupeau à la droite du Père ». Plus tard, il eut un désir différent quoique voisin. Il avait toujours été adroit de ses mains et il a souvent dit à ses proches qu'il aurait rêvé d'être « bricoleur ». Sa mère nous a raconté qu'en 1882 il fut possible de lui faire donner des leçons de violon et qu'il jouait assez bien. Elle nous a également dit que tout enfant il a eu une très belle écriture qu'il a conservée toute sa vie. Il apprit le catéchisme en l'église Saint-Augustin. Il commença presque tout seul ses études primaires à l'école des François-Bourgeois, où enseignaient les frères de la Doctrine chrétienne. Le 10 juillet 1883 il obtint le certificat d'études supérieures ; puis, en août 1888, le baccalauréat de l'enseignement secondaire spécial. Une malencontreuse chute lui fractura une seconde fois la jambe. Lors de son immobilisation, il lut beaucoup et commenta les Pères de l'Église. Et il cultiva le dessin avec amour. A cette époque, le jeune Le Loup se préoccupa de se faire une situation. Il avait obtenu une place d'employé dans une administration. Un vieil ami de la maison, qui avait un poste à la Banque de France, l'aida a se présenter au concours d'entrée. Le Loup entra à la Banque de France le 28 octobre 1892 comme « agent auxiliaire » et il resta vingt ans dans le même service des « Dépôts de titres ». Il disposait d'une heure un quart pour le repas de midi. Sa promenade constante fut les quais de la Seine où il furetait dans les boites des bouquinistes. Immenses satisfactions pour son esprit, mais travail aride pour mettre en ordre les connaissances éparses. * * *
Il y avait environ deux ans que Sédir étudiait l'ésotérisme par ses propres moyens, sans autre guide que la lumière intérieure, sans autres adjuvants que son intelligence, sa faculté d'observation, sa puissance de travail et les livres que son budget, plus que modeste, lui permettait d'acquérir. C'est alors qu'il décida de se mettre en rapport avec ceux qui représentaient à Paris le courant d'idées dont il avait, seul, abordé l'étude.
Aux environs de 1888, Lucien Chamuel, qui devait éditer les premiers ouvrages de notre ami, avait fondé avec Papus (le docteur Gérard Encausse) la « Librairie du Merveilleux ». Cette maison d'édition (salle de conférences et librairie), située 29, rue de Trévise, était alors le rendez-vous de ceux qui s'intéressaient à l'hermétisme. C'est là qu'à la fin de 1889 Yvon Le Loup se présenta. Et voici comment un assistant raconte cette première entrevue : « Je me trouvais un soir dans la fameuse boutique de la rue de Trévise où régnait le bon Chamuel, quand se présenta un jeune homme mince et lent qui déclara à brûle-pourpoint : « Voilà ! je veux faire de l'occultisme. « A l'aspect gauche et non dégrossi de l'arrivant, je ne pus m'empêcher de rire. La suite me montra combien j'avais tort. Papus, qui savait utiliser les hommes, ne rit pas. Il dit : « C'est très bien, mon garçon. Venez chez moi dimanche matin. « Et, ce dimanche-là, Papus confia au néophyte le soin de tenir en ordre la précieuse bibliothèque qu'il se constituait. « Ainsi débuta dans les hautes études le gars breton qui se nommait Yvon Le Loup. » A cette époque, Papus de six ans et demi plus âgé que Sédir avait déjà publié le Traité élémentaire de sciences Occultes et il préparait son remarquable Essai de philosophie synthétique. Il avait fondé, en 1888, la revue L'Initiation et, en 1890, Le Voile d'Isis, consacré surtout au côté ésotérique de l'occultisme. Il avait également constitué un groupement d'étudiants occultistes qui se réunira plus tard 4, rue de Savoie, d'abord sous le nom de « Groupe indépendant d'Etudes ésotériques », puis qui s'intitula « Université libre des hautes Etudes », avec ce sous-titre : « Faculté des Sciences hermétiques ». Papus s'était classé d'emblée comme un animateur hors pair. Sa haute silhouette, sa carrure qu'une obésité précoce alourdissait un peu, sa face puissante et léonine, son regard incisif, lumineux et fin, voilé parfois de rêverie profonde, son nez large aux narines mobiles, sa bouche où se lisait la bonté, son front vaste et d'un beau modelé faisaient de lui un type d'homme remarquable, taillé pour le combat. En face de Papus bouillonnant on voyait, dans cette retraite de la rue de Trévise où le jeune Le Loup faisait son entrée, Lucien Chamuel calme, accueillant, mettant à la disposition de ces adolescents épris de science, grands remueurs d'idées, les conseils de son expérience de réalisateur, les trésors de ses connaissances théoriques et pratiques. Il savait canaliser les enthousiasmes de ceux qui voulaient se faire imprimer avant d'avoir vraiment quelque chose à dire ; fournissant lui-même un labeur acharné, il avait autorité pour mettre ses camarades en garde contre les improvisations et leur conseiller le travail en profondeur. « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » Erudit sans vanité, s'y connaissant en hommes, il pouvait suggérer à celui-ci une étude, redresser un point faible dans l'ouvrage de celui-là, orienter un autre vers le genre de travaux pour lequel il avait des aptitudes. Il témoigna immédiatement une grande amitié à Sédir. C'est lui, plus tard, lorsque sa maison d'édition fut transférée au 5 de la rue de Savoie, qui édita, de 1894 à 1898, les premiers articles, les tout premiers ouvrages de notre ami. * * *
Possédant une mémoire prodigieuse, un sens critique très aigu, une rare intuition, Sédir lut et assimila un nombre considérable d'ouvrages, la plus grande part traitant de philosophie, de symbolisme, d'ésotérisme, tout en se créant une culture générale des plus complètes. Il nous a dit les exercices, véritables tours de force, auxquels il s'est livré pour se former un style. Par-dessus tout, se sachant porteur d'un message d'une sublimité unique, il voulut que la forme de son récit fût aussi digne que possible de la communication qu'il avait à faire, et en vérité le style de Sédir est d'une particulière élévation. Surtout il parle au coeur, il éveille en son lecteur le désir du plus élevé, du meilleur qui sommeille au fond de l'être, il montre la voie vers l'idéal, la voie austère mais si attirante suivie par les êtres privilégiés que le Christ a désignés comme « le sel de la terre » et « la lumière du monde ».
Non seulement Papus ouvrit à Sédir les trésors de sa bibliothèque, mais il le mit en rapport avec les chefs du mouvement occultiste d'alors, notamment avec Stanislas de Guaita. Une intimité véritable se noua entre eux et Sédir fut très vite un habitué des soirées que Guaita donnait dans son appartement de l'avenue Trudaine et où se rencontrait l'élite des amateurs de hautes sciences. Guaita possédait une immense bibliothèque qu'il mit à la disposition de son jeune ami, et Sédir, après ses journées de travail à la Banque de France, venait poursuivre ses études chez Guaita. Très souvent il passait la nuit entière dans la lecture et la méditation. Sédir fut immédiatement un des collaborateurs de L'Initiation où il publia, en octobre 1890, sous la signature Yvon Le Loup, son premier article intitulé : « Expériences d'occultisme pratique. » C'est dans L'Initiation d'octobre 1891 que le nom de Sédir apparaît pour la première fois ; notre ami l'avait trouvé dans Le Crocodile, de Louis-Claude de Saint-Martin. Le 6 mai 1891, Le Voile d'Isis avait aussi annoncé sa collaboration. Sédir, anagramme de « désir ». Désir de Dieu, désir inextinguible de l'Absolu, du Permanent par dessus et par-delà l'existence quotidienne qu'il magnifie, désir d'un service toujours plus total, toujours plus parfait du prochain pour l'amour du Christ. Désir qui fut pour toujours l'aiguillon de son âme, l'inspiration de ses efforts. Papus se l'adjoignait comme conférencier à sa « Société des Conférences spiritualistes », puis il lui confia un cours à sa « Faculté des Sciences hermétiques » qui venait de s'installer 13, rue Séguier. Sédir collabora à un très grand nombre de publications dont nous donnons la liste en appendice. * * * Papus introduisit également Sédir dans les cercles d'occultistes auxquels appartenaient alors, entre autres, Paul Adam, F.-Ch. Barlet, F.-R. Gaboriau, Emile Gary de Lacroze, Julien Lejay, Jules Lermina, Victor-Emile Michelet, René Philipon. Sédir pouvait aussi apercevoir Verlaine dans certaines tavernes du Quartier Latin. * * *
La magie pratique l'intéressait beaucoup. Chamuel raconte que Sédir avait à sa disposition des forces extraordinaires. « Un dimanche matin, nous avions fait une promenade à pied dans la vallée de Chevreuse. Le ciel s'assombrissait ; de gros nuages d'orage s'assemblaient. Sédir me proposa une expérience sur la possibilité de changer le temps par un moyen magique, de chasser en peu d'instants les nuages, de sorte qu'on puisse voir à nouveau l'azur du ciel. Après exactement cinq minutes de concentration silencieuse, il me pria de lever les yeux et, en effet, au-dessus de nos têtes, on pouvait voir dans le ciel une échancrure bleue. »
Une autre fois, en Vendée, Sédir fit transformer l'aboiement furieux d'un chien en ces gémissements que l'on nomme « l'appel de la mort ». Dans le domaine moins obscur des recherches alchimiques il lui fut permis de retrouver les bases du « Grand Oeuvre ». Il ne réalisa pas l'or philosophal, mais il prépara la poudre de projection et un élixir aux propriétés puissantes. Au 4 de la rue de Savoie il avait constitué un laboratoire magique où seul un petit nombre d'amis éprouvés avaient accès. Mais rien ne transparut de ces travaux. * * *
Sédir devint très rapidement un maître dans le cénacle dont Papus était l'animateur. Titulaire de grades élevés dans les diverses organisations occultes d'alors, son influence était très grande. D'un dévouement sans limites, d'un zèle infatigable, il recevait ceux qui, attirés par les ouvrages de Papus ou par sa revue, demandaient conseils ou directions. Il les voyait, leur écrivait, et sa correspondance se répandit dans le nouveau comme dans l'ancien continent.
Les premières oeuvres Vers ce temps-là, Sédir s'était installé à Montmartre ; d'abord, pendant peu de temps, 3, rue d'Orchampt, puis 14, rue Girardon, au haut de la butte. La Rencontre Le 13 juin 1899 Sédir avait épousé Alice, Estelle Perret-Gentil, qui était née le 5 septembre 1867 aux environs de La Chaux-de-Fonds, épouse exemplaire, lumière qui s'effaçait volontairement, qui fut pour lui la compagne la plus parfaite. Elle devait mourir dix ans plus tard. * * *
Le bonheur de Sédir était de partager les conquêtes de son esprit. Chaque horizon découvert, chaque problème élucidé, il en faisait part à ceux qui, comme lui, étudiaient ces vénérables traditions.
Dans sa demeure de Montmartre il recevait régulièrement ses amis, le vendredi soir. La petite salle à manger était bondée d'une jeunesse enthousiaste et hétérogène qui buvait du thé ou du café et parlait sciences, occultisme, magnétisme et surtout qui fumait, au point que l'air était bleu, même les soirs d'été où la fenêtre restait ouverte. Quand on entrait, Sédir se levait, serrant la main pardessus les têtes, cherchant une place encore possible. Alice Sédir se faufilait entre les groupes afin de servir l'ami qui venait d'entrer et, après le brouhaha de l'arrivée et les paroles de bienvenue, chacun, par groupe d'affinités, reprenait la conversation. Sous une apparence qu'il n'arrivait pas à rendre banale, Sédir était un homme étrange au rayonnement puissant, porteur d'une lumière intérieure qui pouvait éclairer ceux qui se confiaient à lui. Le maître de la maison avait autour de lui ses plus vieux amis, chers visages dont la plupart sont aujourd'hui disparus, amis des beaux jours d'autrefois qui sont maintenant des ombres dans nos mémoires et des lumières sur nos chemins... * * *
Comme le dit encore Théophile Briant, Sédir « était aux sciences occultes ce que Stéphane Mallarmé était à la poésie ». D'une culture encyclopédique, doué d'une puissance de travail prodigieuse, il avait fait le tour des connaissances humaines, il avait exploré toutes les disciplines ; il traitait avec une égale maîtrise tous les sujets possibles. Dans les réunions à son foyer on parlait, on lui posait des questions et il y répondait avec cette bonne grâce dont il ne s'est jamais départi, redressant l'idée émise par quelques mots précis ou prenant une adroite tangente où chacun pouvait trouver un enseignement.
Que de souvenirs nous remontent au coeur lorsque nous regardons vers ces jours du passé ! Nous n'en dirons que trois ; il faut essayer de se limiter ! Deux de ses amis étaient partis dans une laborieuse discussion philosophique dont le sujet n'importe pas ici. Chacun tenant pour son idée, ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord. L'un d'eux s'écria : « Allons trouver Sédir ; il nous départagera ou il conciliera nos deux points de vue. » Sitôt dit, sitôt fait. Et les voici il était fort tard dans la nuit, si je me souviens bien qui, devant leur grand ami attentif et indulgent, reprennent leurs arguments. Celui-ci, dubitatif et souriant, écoute, hoche la tête en tirant de sa pipe d'abondantes bouffées, n'approuve ni ne désapprouve et ne dit mot. Mais les deux amis sont enchantés. Toute difficulté évanouie, ils sont pleinement d'accord ; la solution du problème leur parait éclatante de bon sens et de simplicité. Et ce n'est que plus tard qu'ils s'avisèrent que Sédir n'avait pas prononcé une syllabe. Un autre aspect du caractère de Sédir était la fidélité au devoir. Un certain soir d'hiver, la neige se mit à tomber avec une telle abondance qu'en un instant tous les transports furent arrêtés. Il faut dire qu'à cette heureuse époque le métro n'existait pas. Et c'était un soir de cours. Beaucoup auraient pensé qu'il était vain de se déranger, car la route est longue de Montmartre à la rue Séguier ; beaucoup se seraient dit que la salle serait déserte et la course inutile. Mais Sédir n'était pas de ceux-là. A l'heure réglementaire il entrait dans la petite salle et deux dames, qui avaient également bravé les frimas, à tout hasard, se trouvèrent être son seul public. Sans étonnement, comme si la salle eût été comble, Sédir fit son cours devant ses deux auditrices, sans l'abréger d'un mot ; puis il repartit vers dix heures, comme s'il avait fait le plus beau temps du monde. Son devoir était accompli. Voici enfin une de ses actions qui montre à quel point sa conduite était en parfaite concordance avec ses convictions et son enseignement : Un jour, dans la rue, sortant de chez lui, il rencontre un homme qui lui dit : « Vous ne me connaissez pas, mais moi, je vous connais. » Et qui lui raconte que, si dans la journée il n'avait pas quarante francs (c'étaient des francs or), on le mettrait à la porte de son logement, ainsi que sa femme et ses enfants. Sédir sortit un papier de sa poche sur lequel il écrivit : « Ma chère Alice, voudrais-tu donner quarante francs au porteur de ce mot. » Il aurait pu préciser : les quarante francs, car c'était tout ce qu'il y avait à la maison. Assurément ce n'est pas Sédir qui a fait connaître cette anecdote. Sa chère Alice l'a racontée à quelques amis, en ajoutant : « Sédir a compris que c'est Dieu qui avait envoyé l'homme, car celui-ci a demandé, non pas 35 francs ni 50, mais les 40 francs qu'ils possédaient. » * * *
Depuis des années que nous connaissions Sédir, nous l'avions toujours vu user de la plus grande prudence quand il parlait des choses de l'invisible. Il disait toujours n'en rien savoir personnellement, se borner à répéter des choses qui lui avaient été dites ou qu'il avait lues, en général sans préciser :
« Il y en a qui disent... »
Un jour, brusquement, sans transition, cette forme prudente disparut. Aux questions que nous lui posions il répondit désormais avec autorité et par une affirmation péremptoire : telle chose est ainsi telle chose se passe de telle façon. Après avoir parlé pendant des années comme ayant entendu dire, il parlait soudain comme sachant. C'est alors, également, ayant atteint les plus hauts sommets de la connaissance et des pouvoirs, qu'il abandonna ses titres, lança par-dessus bord ses « trésors de sagesse » et, rejetant toute initiation et toute logosophie, qu'il se sépara de la plupart de ses compagnons de route pour se consacrer uniquement à l'Evangile. Cette évolution surprit ses plus anciens amis. Plusieurs d'entre eux ne la comprirent jamais. Assurément ce changement correspondait à ce qu'il y avait en Sédir de plus profond ; on pourrait en donner une preuve par ce «Cours de mystique » professé en 1896 et publié en 1898 dans L'Initiation et qui contient en germe ses travaux ultérieurs. Mais il y eut dans sa vie une circonstance extérieure, un événement solennel et décisif qui lui fit toucher du doigt le néant des sciences et des sociétés secrètes et qui le plaça pour toujours dans la seule voie de l'Evangile. Il n'eut plus qu'une doctrine : l'amour du prochain, qui donne la clef du monde, qu'un seul but : chercher le Royaume de Dieu, sachant que « le reste » lui serait donné par surcroît. * * * Sur cet événement capital de sa vie, Sédir a fait des déclarations de la plus haute importance : Les dernières oeuvres
* * *
Une de ses dernières lettres se termine par les mots suivants :
« Acceptez tous mes voeux. Ne pensez qu'au Christ, ne parlez que du Christ, ne travaillez que pour le Christ. Servez les pauvres et les malades. Tout le reste n'est que curiosité. » On peut considérer ces paroles comme le résumé des directives, comme les dernières recommandations de celui qui fut, à partir de la « rencontre » et jusqu'à la fin de sa vie, un Témoin du Christ, un Messager de l'Evangile. Sa vie, son enseignement furent un témoignage rendu à la certitude qui avait empli, illuminé son être. Il aurait pu prendre à son compte les paroles de Saint Paul : « Paul, esclave de Jésus-Christ. Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. Le Christ est ma vie. » Une dame appartenant à la haute société protestante nous disait : « Quand Sédir parle du Christ, Il est là, présent. » Voilà le secret de son apostolat. Il nous plaçait en présence du Christ ; par lui, c'est le Christ qui nous parlait, nous instruisait, nous encourageait, nous relevait. De même que le Christ fut toute sa pensée, tout son amour, toute son espérance, de même l'Evangile fut toute sa foi, tout son enseignement. A la lumière de l'Evangile il répondait à toutes les questions, il dissipait toutes les inquiétudes, il rendait la confiance, l'espoir, il redonnait la certitude. Les pages qu'il a écrites sur l'Evangile et qui remplissent ses livres sont les plus belles, les plus émouvantes, les plus réconfortantes que l'on peut lire. Mais il n'a jamais voulu entendre parler d'un christianisme austère. Souvent il a dit la parole bien connue : un saint triste est un triste saint. Et il écrivait à ses amis : « Une profonde, une grave incompréhension de l'Evangile : on se figure qu'il nous interdit toute joie parce qu'il nous demande le renoncement. Nous nous trompons. Il n'est rien de pur ici-bas, en effet, mais c'est de notre faute ; car, si quelque beauté parfaite s'offre à nous, nous n'en reconnaissons jamais le prix. Impurs et laids, nous la repoussons. Et cependant palpitent en nous le souvenir et l'espoir d'une patrie sans frontière qui, par-delà les étoiles, développe ses paysages sous des soleils toujours à leurs midis. Nous savons qu'une terre de béatitude existe ; nous désirons y prendre pied, mais c'est avec roideur et gaucherie. Nous nous essayons aux gestes de l'Amour avec les mines renfrognées de l'avare récalcitrant à l'aumône. Vers les cieux clairs que traversent les anges souriants, nous ne levons que des visages maussades. » « Il faut nous détendre. Dieu n'est pas que dans l'Infini ; Il traverse également le Fini ; le Ciel n'exclut pas la Terre. Si nous voulons y entraîner les autres, ne leur cachons pas qu'il est aimable et que son air est délicieux à respirer. Se perdre dans les plaisirs de ce monde est une erreur ; mais maudire les pauvres joies à peu près saines, les pauvres beautés à peu près nobles que l'on peut cueillir sur ces chemins-ci est une autre erreur. » « Epanouissez-vous ; ouvrez les portes et les fenêtres ; faites doux accueil à tout être et à toute chose. "Aimez-vous les uns les autres", cela ne veut pas dire de vous imposer des gênes mutuelles plus ou moins dissimulées. Que vos rencontres soient des fêtes ; soyez les uns aux autres des soleils. Vous n'êtes pas riches d'argent ; soyez fastueux par le coeur. » * * *
Tel est l'idéal que Sédir a présenté. Théophile Briant, qui pénétra très profondément dans la pensée, dans le coeur, dans la foi de Sédir, a écrit :
« Le flambeau que Sédir reçut d'une main mystérieuse, il le tend vers nous. A nous de le saisir si nous en sommes dignes ! » Et il ajoute : « Même au coeur de la plus noire douleur, il ne faut jamais désespérer. La promesse du Sauveur est formelle : jusqu'à la fin du monde Dieu est toujours parmi nous. Mais il ne faut le chercher ni sur les planches, ni dans les palais, ni dans les endroits où retentissent-les trompettes de la renommée. Il est comme l'Inconnu de Sédir, noyé dans la foule anonyme. Il se dérobe "aux curiosités des pervers ». « Aimons nos frères comme nous-mêmes et nous le trouverons... C'est un Pauvre sans doute, car il ne saurait conserver de fortune que celle que lui dispense chaque jour l'Archange invisible qui chemine a ses côtés. Il est parmi nous. Il nous guette et il nous attend. Il promène, comme Tarcisius, l'Eucharistie de son coeur à travers les hommes, et il est le dépositaire des langues de feu. Sous ses habits neutres il cache la splendeur du Thabor, et peut-être le salut du Monde. » * * *
Après qu'il se fut séparé de l'Institut fondé par Papus, Sédir donna dans Paris des conférences sur « LInvisible et la vie quotidienne ». Sur la feuille d'invitation il avait écrit : « Après avoir parlé pendant plusieurs années des paysages que lon découvre sur la route du Christ, je crois que le moment est venu de regarder quelques détails pratiques. Ainsi nous prendrons un contact plus direct avec les difficultés de la vie quotidienne qui sont par excellence le champ d'action du mystique, plutôt que la contemplation, la méditation ou les travaux de l' "esprit pur". »
En avril 1913 Sédir s'installa 31, rue de Seine. C'est l'apogée de sa carrière d'homme public. Ces changements coïncidèrent avec une transformation de son attitude extérieure. Il avait toujours aimé la bohème, où il apportait un surplus de noblesse personnelle. Les entraînements de culture physique où il excellait transformèrent sa silhouette. Il voulut avoir un chien il s'est attaché particulièrement aux chiens de Brie et le soigna fraternellement. Membre du Club des Briards, il écrivit un livre sur l'élevage de ces animaux admirables, Le Berger de Brie, chien de France. Sédir a toujours été attiré par le peuple ; il aimait les petits, les humbles dont il avait partagé la vie, les travaux. Son effort était d'exprimer les plus hautes vérités spirituelles sous la forme la plus simple, la plus accessible aux plus modestes. * * * La guerre finie, il reprit son apostolat, ses réunions, ses voyages. * * *
Le 30 mai 1921, Sédir avait épousé, en secondes noces, Marie-Jeanne Coffineau (Jeanne Jacquemin), qui devait mourir en octobre 1938.
Pendant les années qui suivirent la fondation des « Amitiés Spirituelles », l'activité de Sédir se poursuivit au sein de notre Compagnie, lettres, articles, réceptions, réunions, conférences à Paris, et dans plusieurs villes de France et de l'étranger (notamment en Pologne) où s'étaient formés des groupes de sympathisants. La dernière conférence publique de Sédir fut donnée le 17 novembre 1925 à l'Université Alexandre-Mercereau, boulevard Raspail. Cette année-là, depuis le retour des vacances, il demeurait chez un ami habitant Passy, 33, rue Henri-Heine. En janvier 1926, il se rendit avec un ami à L'Arbresle. Là ils furent accueillis par Jean Chapas, ce grand serviteur du Ciel qui continuait noblement et dans la plus profonde humilité l'oeuvre de Celui qu'ils appelaient leur Maître. Sédir avait annoncé pour février 1926 trois conférences sur Le Sacrifice (Le sacrifice antique, le sacrifice de Jésus-Christ, le sacrifice du disciple). La mort l'empêcha de prononcer ces conférences, qui furent éditées par Albert Legrand. Le 3 février 1926, après quelques jours de maladie, Sédir a été repris. Un service religieux fut célébré à l'église N.-D.-de-la-Miséricorde. Sa dépouille mortelle repose au cimetière Saint-Vincent, à quelques pas de la rue Girardon, proche de la tombe d'Alice Le Loup. * * *
Sédir nous a quittés voici presque un demi-siècle. Mais, pour ses amis pour tous ceux, proches ou lointains, connus ou inconnus, groupés au sein des « Amitiés Spirituelles » ou isolés dans leur action et leur prière pour tous ceux qui ont trouvé dans son enseignement une certitude et un réconfort il y a devant tous, ainsi qu'il l'a dit lui-même, « du travail pour des siècles ».
A l'intention des lecteurs qui ouvriront les livres de Sédir pour la première fois, nous ajouterons cette page afin de caractériser l'oeuvre abondante, originale et d'une richesse incomparable qu'ils vont aborder. De même qu'il y eut autrefois, avant la venue du Christ, des prophètes pour L'annoncer, il a existé, depuis deux mille ans, des hommes inspirés par le Ciel, des écrivains mystiques, dont le rôle a été de mettre l'Evangile à la portée de leurs contemporains, de les éclairer selon les connaissances et les lumières de leur époque, et de montrer que le Christ est toujours présent. Sédir fut l'un d'eux. C'est un écrivain mystique moderne. Il se distingue de ses prédécesseurs. Il parle et il écrit comme seul pouvait le faire un homme de notre siècle, un homme préparé à sa mission par des qualités exceptionnelles d'intelligence et de coeur, par son travail patient, par la fréquentation des maîtres passés et présents dans le domaine des sciences du visible et de l'invisible, enfin et surtout par la rencontre de Celui en qui il trouva, selon ses propres termes, « la ressemblance parfaite avec le Christ ». Aux chercheurs de merveilleux dont il a partagé les études dans sa jeunesse ; aux savants et aux inventeurs dont les productions sont de plus en plus étonnantes ; à tous ceux qui sont tentés de s'enorgueillir de leurs découvertes, il a montré que l'Evangile est un livre absolu, qu'il contient tout, absolument tout, car il est la Parole de Dieu. A ceux qui rangent l'Evangile parmi les ouvrages périmés du passé, ou à ceux qui ont perdu la foi et désespèrent d'y trouver la lumière, il prouve que l'Evangile est un livre vivant, actuel, qu'il répond aux questions et aux besoins, fondamentaux ou quotidiens, de chacun. Sédir donne aussi une réponse à tous ceux qui ne se trouvent plus à l'aise dans les églises, à tous ceux qui veulent quitter la grande route et prendre un raccourci, mais qui ont besoin d'être encouragés et guidés. A tous ceux qui aspirent au culte en esprit et en vérité, il dit : « Vous verrez dans l'Evangile que tous les commandements, tous les conseils, toutes les maximes se résument dans la seule ordonnance d'aimer le prochain pour lamour de Dieu. »
Émile Besson
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