Te voilà, mon bon chien, tout haletant de joie, parce que tu sais qu'on va partir et que tu te rendras utile. Oui, mon fils, oui, tout beau, tu viens avec moi, n'aie crainte, je t'emmène ; encore que tu ne sois qu'un chien, je suis sûr, durant cette longue route, d'avoir à prendre exemple sur toi. Déjà, dès le seuil, tu commences cet amble infatigable dont tu dérouleras jusqu'au soir, autour de moi, les anneaux vigilants. Tu n'épargneras ni ta fatigue ni ton inquiétude. Tu ne sais pas où je vais, mais, pourvu que tu accompagnes ton maîtrte, ton coeur est allègre. Moi, au bout des dures coursières, je me reposerai en contemplant, du haut des grands plateaux herbus, dans l'azur lointain, les neiges éternelles ou la mer violette ; les gaietés des villages distrairont mes lassitudes. Mais toi, bon chien, tu ne te permettras pas ces répits. Le détour du sentier, ou le buisson proche, ton claire regard cherchant le mien, à peine t'accorderas-tu quelques rapides lampées au ruisseau qu'on traverse, à peine relèves-tu quelques foulées d'une trace récente et vite, tu reviens, au galop, à ta surveillance en cercles. Brave bête, aux fortes pattes, le soir tu souperas de quelques croûtes et tu passeras la nuit sur le plancher. Je te soignerai bien un peu : j'enlèverai l'épine de tes pieds vaillants, ou la lingaste de ta fourrure flottante. Et tu me seras reconnaissant de ma maigre sollicitude, et tu ne dormiras qu'à demi, pour être plus vite prêt à me défendre et à mourir pour moi. Tu me fais honte, mon bon chien, moi qui me vante d'appartenir au Maître des Bergers. Combien plus mon Maître n'a-t-Il pas de prévenantes tendresses pour moi que je n'en n'ai pour toi. Comme ma rechignante paresse est laide en face de ton zèle émouvant ! Moi, qui prétends rabattre vers cet Unique Berger les agneaux perdus et les brebis indociles, comme je suis loin de ton zèle, bon chien aux yeux si beaux ! Quand mépriserai-je, comme toi, la fatigue, le sommeil et la soif et la faim ? Quand aimerai-je le dur travail ? Quand saurai-je enflammer mon indolence, assouplir mon humeur, concentrer mes forces distraites ? Quand pourrai-je sourire également à l'indifférence, à l'ingratitude et à l'insulte ? Je le sais pourtant. Ce qui ne demande pas de peine ne vaut rien. La vie d'une idée exige qu'on souffre pour elle. Et quand cette idée, c'est Jésus, que ne devrait-on pas dépenser à Son service ? Rien ne devrait sembler trop dur. La difficulté du pain quotidien passe alors au dernier rang. La lutte, ce n'est rien. L'insuccès, ce n'est rien. Le succès, ce n'est rien. Seule compte l'effusion dans l'effort, du coeur fluidifié aux flammes de l'amour. Je le sais tout cela ; pourquoi donc est-ce que je ne bouge pas ? Et puis, il est trop tard pour changer de route ; je suis engagé. Si même personne ne me connaissait comme un prétendu serviteur du Christ, de l'autre côté du Voile, des phalanges de créatures assoiffées de Lumière attendent, dans l'angoisse, l'eau vive dont le roc de mon coeur enferme la source incréée. "C'est bien long, le travail ; toujours des peines nouvelles", murmures des voix fatiguées. Est-ce que le chien se lasse des trop longues routes, pourvu qu'il se sente utile à son maître ? Serons-nous moins courageux à servir notre Christ ? C'est à la patience que se mesure l'Amour. Si l'on aime Jésus, tout conseil devient inutile : l'orgeuil, la confiance, la méthode, l'énergie ne paraissent alors que des mots à l'usage de ceux qui ne savent pas aimer. A celui qui ose parce qu'il aime, qu'importe le résultat ? Il y'a toujours un résultat quelque part. Qu'il fasse soleil en nous. Sourions à la vie ; acceuillons les difficultés : elles constituent le ciment le plus solide pour construire. Elles sont, précisément, les travaux pour lesquels nous sommes qualifiés. Débarassons notre Jésus du soin de nous-même ; qu'Il puisse un peu Se reposer sur nous de temps en temps. Sachons à l'avance que le poids sur notre épaule, la durée seulement d'un éclair, de cette main formidable nous fera fléchir et nous jettera sur le sol. Mais vous vous relèverez ; nous nous relèverons, quoique meurtris, avec une joie inéffable, nous aurons connu que nous sommes acceptés comme les chiens fidèles et infatigables du Bon Pasteur. Lettre à propos du chien... Chère Madalme, Je vous comprends : j'aime aussi les chiens, et j'en ai toujours avec moi. Le vôtre avait une tête admirable, et des yeux... Le chien est l'ami de l'homme ; il se trouve avec l'homme partout où il y a des hommes, dans l'univers ; nous devons en avoir, les aider à vivre, leur parler ; leur destin suit le nôtre, ils savent souffrir et ils nous accompagnent. Ne vous inquiétez pas pour le vôtre ; donnez-lui une sepulture, dans une petite caisse de bois blanc, bien enveloppé, bien chaudement. Les cadavres ont besoin d'avoir chaud. Et le Ciel ne trouvera pas mauvais que vous Lui parliez de cette humble créature. Si vous ne pouvez plus arranger sa petite sépulture, vous pouvez toujours prier. Vous lui donnerez du calme, oui. Vous savez, ou plutôt, on ne le sait jamais assez, Dieu ne Se formalise jamais de rien de nous qui soit un geste de confiance aimante. Tous mes voeux, Madame, les plus respectueux et les plus fervents. Sédir |