LES DEUX TESTAMENTS
Il est utile de rappeler parfois aux chercheurs la symétrie inversement analogique de la Genèse et de l'Évangile. Adam et Jésus, la désobéissance et l'obéissance, la chute et l'ascension, Eve et Marie, Caïn et les séides de la violence, Abel et les vrais chrétiens, ce sont des oppositions que, depuis les premiers Pères, un grand nombre de commentateurs religieux ont signalées et développées. Entre toutes, une nous intéresse particulièrement: c'est la double juxtaposition du Tentateur avec Eve, et de l'Esprit-Saint avec Marie.
Le vieil homme, comme dit l'Apôtre, le moi, l'égoïste, est membre d'Adam; le nouvel homme, l'altruiste, le régénéré, est membre du Christ. Le corps d'Adam, c'est toute l'humanité idolâtre, en prenant ce qualificatif dans son acception la plus large; le corps du Christ, c'est toute l'assemblée de ses disciples, adorateurs du seul Père, c'est l'Église véritable. Et ces deux corps immenses sont représentés dans les Écritures par Eve et par Marie. Dans les civilisations polythéistes ou païennes, la femme demeure l'esclave de l'homme; dans la civilisation chrétienne parfaite, la femme sera la servante du Seigneur; aussi voit-on les moeurs et les législations libérer progressivement la femme de son antique servitude, pour lui ménager, à travers bien des reculs, des excès et des tâtonnements, sa place légitime à côté de l'homme, compagne, collaboratrice et inspiratrice.
Eve a introduit réellement, physiologiquement, la mort dans le monde; Marie chasse cette mort, parce que le fils qu'elle nous donne est la vie; Jésus est la vie, non seulement la future vie éternelle dans le Royaume céleste du Père, mais aussi la présente vie terrestre, dès que l'humanité aura établi sur la Terre ce même royaume divin par l'obéissance et par l'amour. La Sagesse secrète des anciens, ravissant indûment à la Nature quelques-uns de ses mystères, inventa des procédés qui permirent à quelques-uns de ses adeptes, de prolonger pendant des siècles leur existence corporelle. Mais Jésus détient le véritable élixir de longue vie, le seul légitime; Jésus détient la véritable pierre philosophale, la seule légitime; Jésus détient le véritable grand-arcane, le seul universellement vrai. Et lorsque des disciples se rencontrent qui réalisent totalement l'Évangile, dans tous ses détails, dans toute sa plénitude, dans toutes ses applications, ces hommes-là ne meurent point, peuvent tout commander et connaissent tout. Si l'immense majorité des écrivains pieux n'entend les promesses évangéliques que pour la vie future, c'est que leur foi encore nuageuse n'ose pas saisir la réalité inhérente aux paroles de Jésus
Il en est ainsi à cause de la Vierge, servante parfaite du Seigneur, et de laquelle l'humanité pourrait tout recevoir, parce qu'elle s'est toute donnée.
Eve désobéissante enfante dans la douleur Caïn le meurtrier, image de Satan; puis Abel, la victime, image de Jésus, enfin Seth, le juste, image du chrétien. De la lignée de Seth naît Henoch, sur qui la mort n'a pas de prise, comme il en advient au soldat parfait du Christ, l'homme régénéré et libéré.
Sara, Rebecca, Rachel, Jahel, autant de figures prophétiques de Marie, quant à sa vie intérieure. Toutes les grandeurs de Marie sont secrètes, en effet; il lui a suffi de recevoir l'Esprit-Saint pour que sorte d'elle le type parfait de l'action: le Verbe même dans la magnificence de son oeuvre la plus étonnante. Ainsi l'oeuvre de la femme n'est pas sur les places publiques; son rayonnement est intime: dans le coeur de ses enfants, dans le coeur de son époux, dans le calme actif de son foyer. Comme Dieu, elle fera le bien en silence, et voilera ses vertus. Les douleurs à soulager, les chagrins à consoler, les peines à souffrir sans plainte, les justes condamnés partialement à réconforter: voilà les vrais travaux de la femme. Elle doit se tenir au pied de toutes les croix, souffrir avec tous les crucifiés, et, effort suprême, survivre comme Marie à la mort de ceux qu'elle aime.
En mourant, Jésus donne à sa mère un fils adoptif, son disciple bien-aimé. Qu'on voie dans ce testament le souci filial de faire se secourir mutuellement deux êtres qu'il aimait; ou bien le dessein d'une alliance perpétuelle dans son oeuvre entre l'amour et l'humilité; ou l'indication que, jusqu'à son retour triomphant, l'esprit de sa mère et l'esprit de son disciple, vierges tous deux, devaient, s'aidant l'un l'autre, transmettre le long des siècles le flambeau de l'amour pur, non charnel, dispensateur de tous les mystères et de tous les bonheurs. Eve, ce fut la synagogue, l'assemblée pénitente, courbée sous la rigueur. Marie, c'est, ce devrait être l'Église, l'assemblée pardonnée, travaillant joyeuse sous la liberté de la miséricorde. Et nous, les chrétiens, nous devrions être tous des saints Jean, indemnes des prostitutions de l'égoïsme, absorbés dans le Verbe, apercevant partout l'Alpha de l'Évangile et l'Oméga de l'Apocalypse et réalisant à toute heure le : Aimez-vous les uns les autres. ª
Marie: étoile des mers, sel de la mer, amertume de la myrrhe, c'est bien l'Église, étoile des foules, gardienne de leur santé, préservatrice de leurs conceptions. Marie sort de la race juive comme l'Église de la synagogue; Marie a été conçue sans péché, comme l'Église que le Christ a créée, sans égoïsme, non pas pour lui, mais pour les hommes. Marie est pourvue d'un époux apparent, comme l'Église, dont le véritable époux est le Christ, et dont le chef terrestre, le pape, ne vaut que dans la mesure où il obéit au Christ. Comme Marie, l'Église intérieure vit dans le silence, l'obscurité, la pauvreté; comme Marie elle souffre des crucifixions innombrables que les méchants font subir à l'esprit du Christ; comme Marie, enfin, l'Église engendre le Verbe car les travaux de ses enfants fidèles développent et multiplient les semences de la vie éternelle.
Sédir