NOËL
Relier les sens divers du mot verbe parait un jeu puéril; mais les jeux des enfants reproduisent quelquefois les mystères de la vie. Le Verbe divin Jésus Christ; le verbe humain, notre langage et le verbe grammatical, partie du discours dérivent l'un de l'autre et leurs significations profondes s'éclairent l'une par l'autre. Dans le langage en effet, il y a un Père: le substantif; il y a un Fils: le verbe; il y a un Esprit: la conjonction ou relation. Seulement si nous pouvions parler le langage de l'Éternité nos discours ne seraient jamais ni au futur ni au passé. Le verbe du Fils qui est aimer ne peut convenir qu'à l'actualité perpétuelle du temps présent: A chaque jour suffit sa peine dit Jésus; et pour entendre au mieux les paroles de l'Évangile, il faut les appliquer toujours à l'heure même que nous vivons.
Il y a eu la Noël cosmique à la création du monde; il y a eu la Noël historique; il y a chaque année la Noël astronomique; il y a, en des minutes innombrables mais secrètes, la Noël mystique dans le coeur des élus; il y a, chaque fois qu'une race entre dans le sentier de la Lumière, une Noël sociale; il y aura, lorsque le monde sera assumé jusqu'aux cieux, une Noël universelle; et ces naissances de six différentes formes du Verbe sont engendrées par la naissance éternelle du Verbe au sein de la Gloire virginale du Royaume de Dieu.
Le Précurseur, Jean Baptiste, que la chrétienté fête au solstice du 24 juin; le Messie Jésus, qui prend pied ici-bas au solstice d'hiver, le 25 décembre, constituent un couple inséparable dont les pérégrinations universelles se balancent perpétuellement. Partout le contemplatif aperçoit les figures surhumaines du Verbe et de son fidèle Précurseur: dans la construction des soleils, dans l'assemblage des cités stellaires, dans le percement des routes cosmiques, dans l'ensemencement des mondes, dans l'effort des multitudes, dans les enfantements de l'esprit humain, sur tous les visages de la vie, brillent les larmes du Baptiste et rayonnent les sourires du divin Nouveau-Né. Toujours, pour que Celui-ci croisse il faut que celui-là diminue; toujours Celui-ci surgit parmi le peuple et celui-là peine dans l'un ou l'autre désert; toujours Celui-ci est crucifié par quelque foule enténébrée et celui-la tué par quelque dieu d'ombre.
A toute lecture de l'Évangile, il faut se répéter: maintenant et toujours. Quel nom est attribué à l'Enfant Dieu ? Celui d'Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu parmi nous, Dieu en nous. En chacun de nous sont le village de Bethléem et la crèche, l'âne et le boeuf, Joseph et Marie les anges et les bergers; en chacun de nous en chacune de nos heures il se peut que soudain le Verbe naisse: ce Verbe qui vient comme un voleur.
Cette présence permanente du Verbe devrait faire briller sur nos âmes un Noël perpétuel; la vraie religion c'est voir combien Dieu est mêlé à notre vie; on devrait présenter au Christ tous les travaux de nos mains, tous les événements de notre destinée, nos plaisirs comme nos peines, nos joies comme nos douleurs, puisqu'Il est l'unique ami véritable de chaque être. Je n'entends pas qu'il faille atteindre cette exaltation qui rend si gênante la lecture des oeuvres de certaines extatiques; le sentiment qui doit nous unir au Christ, c'est la tendresse ingénue du tout petit pour son frère très sage et très grand, c'est la fidélité jusqu'à la mort de l'obscur soldat pour son prince, c'est la conscience sans cesse plus profonde que nous ne sommes rien et que Lui Il est tout; c'est un sentiment normal dont la profondeur et la solidité ne compromettent pas notre équilibre. C'est un sentiment où domine la saveur de la paix.
Pourquoi au moment de la Noël liturgique tandis que des âmes descendent travailler sur la terre par la route que le Christ ouvrit il y a vingt siècles ne nous déciderions nous pas à nous installer définitivement dans cette paix promise aux hommes de bonne volonté ? Sans doute notre volonté n'est pas tout à fait bonne, elle voudrait bien devenir moins mauvaise; et ce faible désir suffit pour que les anges de la Paix s'approchent de nous. Essayons de l'améliorer, cette pauvre bonne volonté, maladroite et qui traîne la jambe. Quand l'enfant Jésus ouvrit les yeux dans la nuit de Bethléem, un tel fleuve de bénédictions se déversa sur ce monde que les milliards de prières, les milliards de péchés, les milliards de maux émis, commis, subis depuis cette heure par les milliards d'humains, ne paraissent pas avoir diminué sa surabondante effusion. Si nous prenions tout ce que Dieu nous offre sans cesse ce monde serait depuis longtemps un paradis.
Comprenons-le donc, une fois pour toutes: ce n'est pas la connaissance des mystères qui nous fera avancer, comme le prétendent nos contemporains; c'est l'action. Il faut développer notre énergie, il faut la soumettre à l'entraînement méthodique que le Ciel nous offre; le plan de cette méthode, certes, nous ne saurions pas le découvrir, il n'est pas conçu selon les courtes vues humaines; mais il suffit de répondre à l'appel contenu dans les incidents qui se présentent à nous.
Ainsi nous deviendrons des hommes de bonne volonté.
SÉDIR
LA JOIE DE NOËL
Les Évangiles ne nous parlent que bien rarement de la Nature; ils ne nous disent pas l'universel renouveau et l'allégresse générale que la naissance de l'Enfant Jésus fit éclater tout alentour; et nous, qui nous croyons plus affinés et plus sensibles que ces Juifs d'autrefois, nous n'y pensons pas, non plus. Une fausse compréhension de la vie mystique nous fait séparer dans notre esprit les magnificences de la terre et les splendeurs des cieux spirituels. Nous ne réfléchissons pas que celles-ci sont cependant toujours les sources de celles-là. Les forces descendues des cieux temporels n'atteignent pas infailliblement les formes terrestres qu'elles doivent vivifier, parce qu'elles ne parviennent ici-bas qu'après des détours et de nombreuses réfractions. Mais les forces jaillies du Royaume éternel, atteignent toujours et en plein leur objet, parce que la densité d'aucun milieu ne saurait modifier leur trajectoire, parce que l'hostilité d'aucun adversaire ne peut leur barrer le passage.
Dieu, c'est la vie plénière et totale et toujours débordante; Dieu, c'est la joie des résurrections, des réconciliations et de toutes les accordailles; Dieu, c'est l'allégresse de la jeune espérance qui chemine par les sentiers terrestres en nous tenant par la main, comme une petite fille qui chante sur le chemin de l'école. C'est pourquoi le serviteur de Dieu, en qui l'Esprit habite, sème la vie autour de lui; le tronc mort sur lequel il pose le pied dans la forêt verdoie de nouveau, et l'animal malade qu'il touche retrouve sa vigueur.
Le sentiment infaillible des foules aux âges de la foi savait bien que le Verbe n'avait pas pris contact avec la Matière sans que celle-ci ne tressaille comme un chien somnolent qui, à l'approche de son maître, bondit et s'élance avec mille démonstrations. La plus profondément populaire des fêtes religieuses, c'est celle-là: celle du petit Enfant qui arrive et de qui le Monde attend tout.
A la minute même où Jésus naquit, ce ne fut pas seulement la terre, mais tous les astres qui bondirent de joie et qui goûtèrent les prémices de cette allégresse très pure au sein de laquelle se développeront à l'infini toutes leurs puissances éveillées, lorsqu'ils seront parvenus aux parvis éternels. De même qu'au Calvaire les rochers se fendront, les plantes sécheront, les animaux trembleront et le soleil se voilera, à Béthléem l'aurore de ce jour unique fut plus transparente, les animaux plus joyeux et plus doux, les fleurs plus parfumées.
Le bonheur que le Ciel nous apporte dans ses brèves visitations, nous est versé par les mains des Anges. Les légendes qui nous les décrivent familiers et secourables disent vrai. Non seulement près des formes terrestres vivent toutes sortes d'esprits et de génies mixtes, dans l'être desquels la Lumière et l'Ombre se combinent en proportions variables, mais encore les purs serviteurs de la Lumière pure se pressent pour nous transmettre les bontés du Seigneur.
Dans le Royaume, en effet, tout est un individu. Quand on regarde la terre du point de vue de l'Éternité, tout apparaît comme un être: l'eau, le vent, la pluie, chaque montagne, chaque continent sont devant nous alors comme des individus, avec de l'intelligence et de la liberté, donc parfois désobéissants. Chaque pensée de Dieu est un ange toujours obéissant. Les relations de Dieu avec la Nature et avec l'Homme, lorsqu'elles sont directes, sont des cohortes de serviteurs empressés que les contemplatifs voient sous la figure d'enfants avec des ailes, parce que leur obéissance est immédiate, joyeuse et totale.
Dans quelle immuable allégresse le disciple ne devrait-il pas vivre ? Entre lui et son Christ circule sans arrêt une double file d'anges montant ses vertus et lui descendant des bénédictions; qu'a-t-il à craindre, de quoi pourraît-il s'inquiéter, puisqu'il donne sans cesse ce qu'il reçoit et qu'il vérifie sans cesse la puissance des sollicitudes divines ? Si nous pouvions, chaque fois qu'il nous est donné de vivre une nouvelle nuit de Noël, nous souvenir de ces réalités, nous en nourrir, les faire passer jusque dans notre chair et dans notre sang, comme l'existence la plus morne s'éclairerait, comme nous serions heureux, comme nous rayonnerions le bonheur !
SÉDIR