Le nombre des êtres humains affectés d'un défaut plus ou moins grand de contrôle sur eux-mêmes augmente chaque jour. La hâte de 1'existence, l'incertitude du lendemain, la force des passions, le rejet des disciplines, l'abus des excitants, l'exemple général du désordre en sont les causes redoutables; et trop souvent nous nous trouvons devant l'un de ces vaincus de la vie dont les révoltes ne sont que les sursauts de son impuissance, sans pouvoir lui parler de Dieu, qu'il n'accepte plus, sans pouvoir lui fournir des considérations morales, que son égoïsme blessé considère comme des contes. Il faut ici inventer un discours qui l'atteigne personnellement, qui lui montre ses responsabilités personnelles dans la faiblesse dont il souffre, qui lui offre enfin un traitement raisonnable qu'il puisse comprendre et appliquer lui-même.
Voici, me semble-t-il, ce que l'on peut dire à ces malades difficiles.
L'intelligence est double: inconsciente et consciente; la première est le réservoir de la seconde, à qui elle fournit les perceptions sur la masse desquelles s'exercera le jugement, puis la volonté. Chez l'individu normal cette dualité apparait peu; chez le malade, elle s'accentue, parce que la maladie nerveuse, mentale, ou psychique est une rupture d'équilibre entre l'inconscient et le conscient. Cet équilibre c'est le contrôle, la maîtrise de soi-même qui fonctionne automatiquement en état de santé psychique.
L'absence totale de contrôle, c'est la folie. L'insuffisance ou l'instabilité du contrôle, c'est la psychonévrose, la psychasthénie. Elle se manifeste par un sentiment de malaise, un trouble, une somnolence cérébrale, ou une confusion d'idées tourbillonnantes, ou l'exagération d'une idée fixe; les sensations même se déforment, les actions sont indécises; le malade est distrait, obsédé, ou incapable d'agir. Ces troubles cérébraux en arrivent même à altérer le fonctionnement des organes, et se produisent les dyspepsies nerveuses, les entérites nerveuses, les tremblements, les troubles de la vue, de l'ouïe, les phobies, etc..., etc...
Les causes de l'insuffisance du contrôle cérébral peuvent être: l'hérédité, les chagrins, les soucis, les excès de tout genre. Parfois la maladie date de l'enfance, parfois elle survient brusquement à la suite d'un choc physique ou moral, parfois elle est périodique.
Les symptômes en sont: l'impressionnabilité exagérée, l'instabilité de l'humeur, l'indécision, la manie discutante, l'obsession du passé ou de l'avenir; ces troubles, d'abord accidentels, s'établissent peu à peu et s'aggravent parce que le malade s'aperçoit de son infériorité; il se fatigue, se décourage, s'inquiète, devient incapable de vouloir; en général la vue devient confuse, tandis que l'ouïe s'hyperesthésie (d'où les insomnies).
Les moyens curatifs connus sont d'abord la suggestion et l'hypnose; ces moyens artificiels ne guérissent pas réellement parce qu'ils n'apprennent pas au malade la façon de rééduquer son contrôle psychique; ils offrent d'ailleurs, au point de vue spirituel, des inconvénients déjà signalés ici même. Il faut réapprendre au malade à redevenir conscient. Voici quels exercices on peut lui faire faire, lentement, doucement, et pendant quelques minutes seulement:
S'il y a troubles musculaires, qu'il exécute des mouvements simples, de la main, des bras, des jambes, en regardant comment les muscles bougent, et en s'attachant à ce qu'il n'y ait pas de saccades.
S'il y a troubles sensoriels, qu'il saisisse un objet quelconque et qu'il en étudie la forme, la couleur, le poids, le contact. De même pour la vue, pour l'ouïe, etc...
En d'autres termes, il faut que le malade se dise au moment de la perception: Je vois, j'entends, je touche telle et telle chose. Et avant toute action: Je veux faire telle chose.
De même pour le contrôle de ses idées: que, plusieurs fois par jour, le malade note par écrit ce qu'il vient de faire, de dire ou de penser durant la demi-heure ou l'heure précédente, exactement et avec concision, sans romantisme.
Ces simples recettes, que vous aiderez le malade à exécuter en l'aidant de votre expérience, de votre calme, de votre patience, de votre sympathie, suffiront, si on les emploie tous les jours et à heures fixes, à reconquérir le contrôle.
Si toutefois il s'agit d'obsessions, de neurasthénie profonde, d'aboulie totale, s'il y a des troubles physiologiques graves, il faudra recourir à l'intervention du médecin spécialiste. Car ces courtes indications ne sont destinées qu'à servir dans les cas bénins, que nous sommes appelés à rencontrer si fréquemment dans nos rapports avec les malheureux.
(D'après une causerie de Sédir)