LES BERGERIES Envisagées au point de vue de leur réintégration, les créatures apparaissent comme divisées en deux camps : celui de la Lumière et celui des ténèbres; au point de vue de leur ontologie, elles se divisent en humaines et non humaines; au point de vue de leur évolution, elles se classent en loups et en brebis, en mangeurs et en mangés. C'est ce dernier aspect qu'étudie le chapitre X de l'évangile de Jean. D'autre part, il y a toutes sortes de bergeries; chaque planète, chaque soleil, chaque race, les humaines, les infra--humaines, les supra-humaines, en contient une. Chaque berger, qui est en même temps la porte de sa bergerie, puisque lui seul sait comment l'ouvrir, représente un aspect du grand Pasteur. Or, personne ne cherche à entrer dans le clos que pour soigner les brebis ou pour leur faire du mal. C'est pour cela que les appartements de la création sont fermés et qu'on n'y entre qu'après s'être fait reconnaître du gardien. Les initiations anciennes, par leurs pratiques de psychurgie basées sur le développement de tels ou tels organes de l'homme invisible, donnaient à leurs disciples le moyen de se faire ouvrir, au cours de leurs excursions dans l'invisible, les portes de ceux de ces appartements auxquels correspondait leur initiation personnelle. Le baptême était la clef commune; et les mots de passe des sociétés secrètes étaient, avant que celles-ci ne devinssent purement politiques, les symboles de ces précautions pneumatologiques. On peut entrer dûment ou indûment et, dans ce dernier cas, par ruse ou par violence. Pour être reconnu des brebis, du chien ou du berger lui-même, il faut appartenir à la même ferme, c'est-à-dire avoir vécu et travaillé avec eux, pour le même maître, et selon la même méthode. Le larron ou le meurtrier, c'est celui qui se sert de la magie volontaire ou de la cérémonielle, de la force tyrannique ou cauteleuse; un homme peut en exploiter un autre jusqu'à la mort; un dieu peut se nourrir de la vie de ses dévots, ici-bas, dans l'au-delà, ou dans l'en-deça. Jésus prononce ici une parole dont il est peut-être prudent de ne pas sonder toute la profondeur, car pouvons-nous démêler, nous qui ne sommes encore que dans les langes, quelles furent les intentions secrètes des grands chefs spirituels qui ont autrefois chargé nos ancêtres de rites, de lois et de défenses? « Tous ceux, dit-Il, qui sont venus avant moi étaient des larrons et des voleurs ». Ont-ils usurpé leurs trônes, ont-ils tiré de leur force quelque profit personnel, ont-ils sciemment déformé l'image de Dieu au nom de qui ils disaient agir ? Nous ne le savons pas; et, selon l'esprit de l'Évangile, il est mieux de ne pas le savoir, puisque les couronnes sont promises aux opprimés, aux faibles et aux innocents. L'assemblée choisie de tous les troupeaux forme la grande bergerie du Ciel, qui a le Verbe pour pasteur. Comme Il est le maître des bergers, Ses brebis sont libres; comme elles ne Lui appartiennent que parce qu'elles Lui obéissent librement, comme elles ne Lui obéissent qu'en réalisant Sa volonté, Il les nourrit Lui-même d'un aliment qui est Sa propre vie. Il est le seul Berger qui se donne ainsi sans attendre de récompense. Aucun des autres chefs de l'univers n'est ainsi tout à fait bon; les meilleurs même d'entre eux espèrent de leur travail un bénéfice et sont, en somme, des mercenaires. Le bon Pasteur connaît Ses brebis parce qu'Il a souffert pour elles; et elles Le connaissent parce que, en définitive, elles incarnent chacune l'une de Ses volontés. De même, le Fils connaît le Père parce qu'Il en est la volonté réalisée. Selon le point de vue surnaturel de l'Unité, le Fils est Lui-même ce plan un, la forme du Père. Il S'incarne progressivement pour construire le monde; Il lance çà et là des étincelles, qui sont Ses brebis. et qui vont par les collines cosmiques à Sa recherche. Il les connaît, puisqu'elles viennent de Lui, et elles Le connaissent, elles entendent Sa voix, puisqu'elles se consument à Sa poursuite. La vie du Fils est une continuité ininterrompue de dons et de reprises de Lui-même. Nous autres, dès lors, nous devenons un avec Lui chaque fois que nous donnons de nous, mêmes sans y être forces. Par suite, nous pouvons hardiment nous sacrifier, sans craindre la fatigue, le vide ou la mort, puisque le foyer éternel qui brille en nous luit au-dessus de tous les foyers de vies temporelles par quoi nous agissons, du plus bas des enfers au plus haut des paradis. Dans toute religion. si le fidèle l'accomplit parfaitement, il devient un dieu réel pour diverses hiérarchies de créatures invisibles. Jésus peut donc dire avec justesse : « Mon Père et moi, nous ne sommes qu'un », puisqu'Il accomplit la religion essentielle, puisqu'Il réalise la Loi divine, jusqu'à devenir réellement la Religion vivante et la Loi incarnée. Ainsi, la brebis est un dieu pour l'herbe qu'elle paît; ainsi le berger est un dieu pour le troupeau qu'il conduit. |