LA RENCONTRE DES DEUX COURANTS Ainsi, toujours un guide nous accompagne. Il est bien parfois un peu en avant, mais n'est-ce pas alors pour que nous pressions le pas ? Les erreurs et les ennemis qui seuls nous retardent, disparaissent pendant les trop courtes périodes de bonheur où nous jouissons de la présence matérielle de notre Guide. En dehors de ces instants, l'aide divine ne nous arrive plus que par l'un et l'autre inconscient, l'inférieur et le supérieur, dans la nuit desquels prennent aussi naissance les mobiles de nos actes. Ce double domaine, qui diminue dans la proportion de notre culture, se compose des sédiments apportés par les existences antérieures, par l'hérédité, l'atavisme, et l'influence actuelle de la race, de la religion, de la planète et du système solaire. C'est parce qu'il serait au-dessus de nos forces de nous diriger, si nous nous connaissions complètement, que nous recevons des conseils externes et internes. Voilà pour le moi. Quant au non-moi, nous y avons des ennemis visibles et invisibles, et ces derniers ne sont pas les moins nombreux. On ne nous met d'ailleurs en présence de ceux-ci que quand nous sommes déjà forts, quand, soit dans la veille, soit dans un sommeil quelconque, les manifestations psychiques ne nous affolent plus. Tout de même, on doit alors nous venir en aide. Les génies dont parle Agrippa dans sa Philosophie occulte ne sont pas des guides à proprement parler : ce sont des membres de telle tribu spirituelle influant, par périodes, sur la santé, la profession, le mental, etc.; ce sont les personnes, les génies, si vous préférez, qui dirigent les influences astrologiques. Nos vrais guides sont : ou un frère qui a déjà fait le chemin et qui revient pour nous sur ses pas; ou un exprès extraordinaire dépêché parce que nous nous trouvons être, à ce moment précis, sans le savoir, le pivot d'une grave entreprise; ou notre ange gardien; ou un soldat du Ciel avec qui nous cheminons pendant quelque temps. Notre responsabilité est d'autant plus grande que nous avons conscience plus nette de ce guide. Si jamais donc vous vous trouvez en contact avec un envoyé du Ciel, faites attention : il est beaucoup demandé à qui a beaucoup reçu. Rien de l'invisible n'acquiert sa stature complète si nous ne lui donnons une forme matérielle. Le fait que c'est du plan physique dont nous possédons ici-bas la conscience la plus pleine indique que notre oeuvre par excellence doit être le travail sur ce même plan. Croyez ces choses, même si vous ne les comprenez pas tout à fait : l'intelligence a besoin parfois d'être un peu bousculée. Vous ne savez pas comme il y a de la splendeur en nous. L'imagination ratiocinante ne peut se le figurer. Tout cet immense univers délègue dans notre esprit des représentants. Pas une force, pas une idée, pas une flamme, pas une forme, pas un démon, pas un génie, pas un dieu dont nous n'hébergions un ambassadeur. Tous les Olympes habitent aux régions profondes de nous-mêmes et dans notre centre secret réside la forme du Père, Son Verbe, Son Fils. Le difficile, c'est d'évoquer ces présences mystérieuses dans les cercles froids de l'intellect, dans les foyers fumeux de la passion, dans les boues du corps. L'air de ces régions conscientes leur est irrespirable, et leur éclat offusque les yeux du mental. Le labeur du sage est donc bien ce que les vieux initiés enseignaient : purifier les véhicules extérieurs pour qu'ils deviennent habitables aux dieux intérieurs. Ce sont déjà des travaux d'Hercule. Mais le labeur du chrétien est tout autrement formidable. C'est l'évocation du Surnaturel, de l'Incréé, de l'Infini. Voilà pourquoi, ô disciples du Fils, qui voulez devenir des "enfants de Lumière ", vos douleurs seront surhumaines; que votre courage ne faiblisse point ! Le sublime et candide Jacob Boehme disait avec raison que le monde est une magie. Il se rencontrait d'ailleurs avec les brahmanes préhistoriques, qui schématisèrent dans le sacrifice le procès universel et la roue du devenir. Toute existence est une évolution; toute évolution s'opère par l'invocation au supérieur objectif et l'évocation du supérieur subjectif au moyen des inférieurs correspondants. Rendre ainsi les cellules du corps matériel, instruments-nés du moi conscient, capables d'être aussi les instruments de l'inconscient intuitif, change et leurs propriétés physiques et leur composition chimique et purifie leur esprit vital. Ainsi, évoquer les pouvoirs surconscients qui proviennent de la Nature, c'est améliorer des plantes spirituelles et les transplanter dans des terrains meilleurs. Mais invoquer l'étincelle divine nécessite que la plante soit déracinée, puis transportée dans un sol pur. Ce sol pur ne se trouve pas dans le domaine du relatif : cette aura de l'étincelle divine est le lieu du Saint-Esprit, la Vierge éternelle en nous. De sorte que les facultés, ainsi devenues surnaturelles, croîtront les racines en haut et au centre, dans le Ciel, et les fleurs en bas, et en dehors, sur cette terre. Or donc, tous les hommes, tout ce qui porte une âme éternelle, possède, en son for le plus intérieur, la charité, la connaissance, la foi. Mais une très minime partie des hommes jouit seule d'un corps mental assez pur pour que la graine surnaturelle de la foi, par exemple, puisse y germer : une partie plus petite encore possède quelques cellules de la substance grise que peuvent toucher les vibrations fidéiques de la matière mentale : tels sont les écrivains pieux. Chez quelques-uns seulement, des cellules du corps fluidique vibrent en correspondance avec cette étincelle : ce sont les thaumaturges qui opèrent en priant. Et les deux ou trois hommes chez qui des cellules de tous les corps, y compris le corps physique, sentent ces radiations, sont ceux qu'aucune épreuve n'intimide : ce sont les vrais "soldats". Un tel travail fait descendre un feu déiforme, et procure la récompense éternelle parce que le propre de la Lumière est de monter. Quand elle a terminé sa course dans les champs de la matière, elle retourne à son principe, enrichie des substances physiques qu'elle a conquises, plus brillante des souffrances subies : et elle assume avec elle une partie de la créature qui fut le théâtre de sa mission. Il faut que la foi sorte de ses tabernacles intérieurs : il faut forcer les différentes enveloppes qui constituent notre personnalité terrestre, notre masque : plus celles-ci sont subtiles, plus volontiers elles acceptent celle-là. Il est donc plus facile de croire intellectuellement, philosophiquement : la foi du coeur est moins commune; celle du mental physique, de la vie courante est rare; mais la foi descendue jusque dans la vitalité est introuvable; c'est d'elle dont Jésus dit qu'elle peut transporter les montagnes. Vous pouvez établir la même échelle pour chacune des autres vertus morales et des autres personnalités qui dépendent d'une même âme. Tous les atomes, matériels, fluidiques, intellectuels, etc., qui ont reçu et assimilé un rayon de cette foi centrale sont déracinés de la terre naturelle et replantés dans cette terre des vivants que certains mystiques nomment la Vierge céleste. Comprenez bien que les vertus divines sont des forces; l'agilité est une vertu physique; la foi est une force spirituelle; c'est parce qu'elle est la base, la tige, le centre moteur de l'acte qu'on en parle d'abord. L'acte naît de la volonté. La volonté devient mauvaise ou bonne suivant son mobile interne, l'intention; or, la plus pure, la plus simple, la plus haute des intentions se découvre ou s'obtient par la foi. Ce travail d'acclimatation est commun à toutes les créatures; seulement les hommes ne possèdent que la sagesse du spiritus mundi, et les êtres inférieurs à l'homme le font dans le plan de la Nature, en attirant les dieux; le chrétien le fait dans le surnaturel. Pour aider les races inférieures, comme le minéral, le végétal, l'animal, il faut ne pas les exténuer à notre profit comme on a tendance à le faire notamment par la culture intensive; ne pas obscurcir leur instinct par le mauvais exemple; car le caillou que vous lancez sur un adversaire sent votre fureur; ne pas contrarier leur évolution, car les mauvais traitements exercés sur un cheval aigrissent son esprit. Nous sommes, en principe, les rois de la Nature; nous seuls portons les germes des vertus divines. Toutes les autres lumières de notre esprit, de notre intellect, de notre courage, de nos fluides, du corps; toutes les autres énergies de la pierre, de la plante, de la bête, de l'astre, du démon ou du génie ne sont que les jeux changeants et multiples des trois pures lumières divines sur les voiles substantiels des formes créées. Le domaine de la foi est la sphère religieuse. Mais de là elle rayonne sur les hypothèses du philosophe, les envolées de l'artiste, les entreprises du conducteur de peuples, avec plus ou moins d'éclat, selon que l'homme est plus ou moins religieux. Toutefois, dans tous les mondes, l'éclair jaillit le plus éblouissant de la nue la plus sombre; ainsi Jésus disparaît pour offrir aux êtres l'occasion de développer à Sa recherche une énergie plus intense. Si tout était donné tout de suite à tout le monde, personne ne travaillerait plus; dans nos meilleurs élans il y a encore de l'égoïsme. Dieu nous a mis au monde pour notre avantage et non pour le Sien; acquérir des mérites, c'est développer des vertus. Les systèmes philosophiques, ésotériques ou religieux qui tendent à faire sortir l'homme de l'action tuent la vie en lui et autour de lui; c'est l'oeuvre du Pervers, de l'Antéchrist. Si l'on n'a pas la foi, le mieux, c'est de travailler sans attendre de bénéfice personnel; si on a la foi, c'est de travailler pour Dieu. Ainsi, n'ayant pas lié nos actes à nous, ils ne nous lieront pas à eux. Offrant nos efforts à Celui de qui nous vient la force, nous en exalterons la portée jusqu'à Lui, par-delà toute forme, dans l'éternel. Il y a, en effet, deux degrés dans le processus par lequel le moi s'unit à son milieu : il perçoit d'abord les autres "moi" qui composent ce milieu, puis il se les assimile. La perception présuppose une sensation. Pour que celle-ci ait lieu, il faut un objet, un sujet et un organe transmetteur. Comme l'oeil est le plus parfait de nos organes, ainsi que le démontrent l'embryologie et l'anatomie philosophique, l'Évangile en fait toujours le type de perception; c'est pourquoi il appelle "aveugles" ceux qui ne purent ou ne voulurent pas croire; les premiers, parce que l'organe manquait, les seconds, parce qu'ils l'empêchaient volontairement de fonctionner. D'autre part, après avoir perçu un objet, nous l'assimilons, nous nous en alimentons; au physique, au fluidique, à l'intellectuel, au spirituel, selon l'ordre dont il dépend. Plus l'organe de cette assimilation est subtil, plus elle est rapide et fréquente, plus nous évoluons vite. Car la matière, depuis le granit terrestre jusqu'aux poussières étincelantes de l'empyrée, n'est jamais que l'instrument de la Force, le champ d'expériences de l'Esprit. Donc, plus l'individu se rapproche du néant, plus il est immuable, inaltérable, insensible, indifférent, fermé, dur. Plus il est près de la Vie, plus il est divers, mobile, ardent, compatissant, sensitif et ouvert. La Nature nous montre cela dans l'échelle de ses types, du spirituel au matériel, de l'adamantin au spiritueux. Voilà pourquoi l'Écriture appelle "endurci" celui qui ne peut comprendre les choses divines et "homme au coeur dur" celui qui ne peut recevoir la Lumière, parce que nous nous alimentons uniquement de ce qui nous est analogue, et que notre organe essentiel, celui qui nous caractérise, est le temple de Dieu, dont l'emplacement est réservé dans notre coeur. Quand on croit, sans oser l'avouer, à cause du qu'en dira-t-on, c'est que les appartements de notre esprit sont déjà occupés par les soucis de la respectabilité, de la tranquillité, de la position sociale; la foi alors s'étiole; et il faut que son retard se rattrape par des stimulants. Ainsi ces Israélites qui craignirent la synagogue, quelques siècles plus tard, lorsqu'ils revinrent, brûlèrent du désir intense de faire connaître le Sauveur à tous, malgré tout; ils furent des missionnaires et le martyre vint apporter à leur foi la force nécessaire pour regagner le temps perdu. Exprimons nos convictions sans fanatisme, sans parti pris, sans dédain, sans haine, sans crainte. Plus on souffre pour elles, plus de petits êtres meurent en nous à cet effet, plus elles croissent et avancent vers le triomphe. Il faut vivre notre idéal, par notre conduite, par nos pensées, par nos sentiments; peu à peu la forme même de notre corps, nos attitudes et nos gestes se modèleront sur lui, peu à peu nous l'incarnerons, et son ange habitera en nous. Car nous ne l'avons choisi qu'en apparence. C'est bien plutôt lui qui nous a élus ou qui a été envoyé vers nous; peut-être parce que nous lui offrons le terrain et les facilités les plus favorables à son développement; peut-être pour d'autres motifs. Si on se dérobe, cet idéal, au lieu d'être nourri et de grandir, s'étiole; et, comme la Justice veut qu'il vive, il vient un moment où l'homme paresseux doit souffrir beaucoup et faire, en peu de temps, beaucoup de chemin. Et plus l'idéal est haut et pur, plus le devoir de l'incarner devient impérieux, et la pénalité de notre indolence, lourde. C'est ainsi que certains vont au martyre et d'autres au suicide. Toutefois, on n'est jamais répréhensible de se rendre compte des choses avant de se mettre à l'oeuvre; il faut examiner ses tendances, surtout celles qui paraissent les plus hautes. Si elles sont conformes à ce que l'on connaît de la Loi, il faut les réaliser; sinon, les oublier. Encore une fois, tout est vivant; depuis cette feuille de papier jusqu'à la maladie qui nous guette peut-être derrière la porte; et tout se meut dans un espace propre, comme les corps physiques, comme les rêves, comme les abstractions cérébrales. Tout doit donc se traiter comme tel; et tous les moyens licites sont excellents pour procurer à notre idéal la nourriture à laquelle il a droit. N'employez jamais la ruse, le mensonge ou la violence; ne défendez pas une idée avec des armes contraires à sa nature. |