L'ÉNERGIE CHRISTIQUE 

 
 
   Quand la mère de Jacques et de Jean demande pour ses deux fils deux places d'honneur dans le Ciel, les autres disciples se scandalisent de cette hardiesse.  Et Jésus donne, avec une paternelle mansuétude, à chacun d'eux la même admirable leçon.  Le Royaume de Dieu se conquiert en effet; mais l'énergie du lutteur doit se diriger en sens inverse de sa tendance naturelle.  L'Absolu et le relatif sont deux modes contraires; personne ne peut vivre l'un et l'autre à la fois; il faut choisir.  En travaillant pour soi, on travaille pour le diable; en travaillant pour nos frères, on travaille pour Dieu.  Tout le monde n'a pas, comme Jésus, le courage de donner sa vie pour les autres; mais on peut la donner en détail, si je puis dire, et par fragments.   

   Si vous voulez un jour être reçus par le Père et connaître la joie inexprimable, la blanche allégresse de Son sourire, abaissez-vous, laissez-vous piétiner, que les gens vous prennent et vous jettent, comme un enfant fait du fruit qui l'a désaltéré; qu'on rie de vous, qu'on plaigne avec dédain votre bonasserie, qu'on blesse vos mains répandeuses de baume.  Laissez; le Fils de l'homme a dit : Soyez les serviteurs, et plus encore : les esclaves.   

   Il est évident qu'une telle conduite vous aliénera ceux de vos amis qui vous aiment par les obscures sympathies de la matière, des fluides et des affinités naturelles.  Jésus fut aussi rejeté par Sa famille; Ses disciples subirent aussi, pour la plupart, cet exil.  Les liens familiaux sont tressés des fils de la chair, de la possessivité, de la communauté des intérêts.  Et celui des enfants dont l'esprit vient de haut est souvent un étranger parmi les siens.  Les frères du Christ étaient des hommes ordinaires, tandis qu'en Jésus il n'y avait rien de terrestre.  Son corps physique était composé de ce qu'il y a de plus pur et de plus subtil dans toutes les variétés des mixtes créaturels; entre Lui et les autres hommes il ne pouvait donc y avoir d'autres sympathies spontanées que les lumineuses intuitions du coeur et, en effet, c'est par ce que notre coeur peut fleurir de plus noble que les fervents aiment et suivent leur Ami.   

   Il est le véritable Sur-homme, parce que rien de ce qui touche l'homme ne Lui fut étranger.  Les Juifs, en s'étonnant de Sa science des Écritures, montrent qu'ils ne L'avaient pas compris.  Il a connu parfaitement les Écritures parce que, peut-on dire, Il les avait dictées, Lui, l'auteur antéséculaire  
 du Livre de Vie et du Livre de la Loi.  Il a connu aussi les Écritures, en tant qu'homme, parce qu'il Lui suffisait d'en évoquer l'esprit par la force et sur le miroir très limpide de Son propre esprit.  Souvenez-vous sans cesse qu'Il est le Maître, pour Lui aucune barrière, aucun voile, pas de cryptes, pas d'abîmes.  pas de sommets inaccessibles, pas de geôliers, pas d'espions.  Toute chose Lui est présente; tout être, l'infiniment petit comme l'infiniment grand, se montre à Lui dans sa nudité réelle.   

   Mais cette méthode de connaissance et ce mode d'enseignement, personne ne peut consentir à l'une et pratiquer l'autre s'il ne recherche d'abord, à fond, l'accomplissement de la volonté de Dieu.  Tout autre but, si noble soit-il selon l'idéal humain, empêche la compréhension des choses de l'Évangile.  D'ailleurs, la bonté de la doctrine fait la sincérité mystique de l'apôtre.  Il y a bien des chances pour que ceux qui parlent en leur propre nom et qui pensent d'après leur propre autorité n'enseignent pas le Vrai.  En ces délicates matières il faut se défier des apparences.   

   Sur qui se tient dans cette simplicité intérieure sur-essentielle, les lois de la Nature et des hommes n'ont plus de prise.  Avant d'en arriver là, bien entendu, l'homme a eu tous les esclavages et toutes les expériences à subir.  Ainsi Jésus Se montre dans le Temple, y prêche et y guérit, malgré les colères grondantes contre Lui.  La volonté humaine, en effet, n'est pas toute-puissante.  Sans vouloir faire allusion ici aux entités métaphysiques de l'ancien pythagorisme, rappelons que tout évènement n'est en somme que la réalisation d'un cliché sur la route duquel nous place notre karma ou la Providence.  En théorie, nous pouvons, à notre gré, héberger ou chasser cet événement : en pratique, à cause de notre faiblesse volitive, nous n'arrivons qu'à mettre un peu de retard ou un peu d'avance à la réalisation de ce cliché.  Ainsi, le cliché de la Passion ne pouvait être modifié ni par la haine des Juifs, ni par la ferveur des disciples, ni quant à sa forme ni quant à sa date.  Jésus seul, brûlant du désir de terminer Son oeuvre, avait la force nécessaire pour commander à l'esprit figuratif de la Passion, comme à tous les autres êtres, parce que seul, Il pouvait écrire sur le Livre de Vie.   
 
 On peut discerner ici le motif pour lequel, dans les dernières semaines de Sa vie, Il rappela avec tant de force ceux des caractères de Son oeuvre qui blessaient le plus l'orgueil sacerdotal : Sa véracité, Sa filiation divine, Sa supériorité sur les prophètes, Son indépendance des rites traditionnels.