JÉSUS CIVILISATEUR 

 
   Ce que les hommes possèdent leur paraît sans valeur; ce qu'ils ne possèdent pas leur semble précieux.  Ainsi beaucoup qui regardèrent avec indifférence Jésus vivre au milieu d'eux, coururent à Sa recherche dès qu'Il disparut.  Quelques-uns même L'ont appelé à tous les carrefours des naissances et des morts, aux quatre coins de la terre, et ils ont crié après Lui des sommets des mondes; mais, comme le prédit le Roi-Mage (Proverbes I, 28) : « Ils l'ont oublié dans la joie, ils ne le trouveront plus dans le chagrin ».  Cet oubli et cette poursuite ont lieu sur les routes de la terre aussi bien que sur celles de l'âme.  Or, à certaines heures, les barrières sont ouvertes, et le passage gratuit; à d'autres heures, il y a un droit de péage; et, parfois même, on ne passe pas du tout.  Il faut attendre le jour suivant, que l'Astre des morts se soit levé de nouveau.   

   Symboles que tout cela ?  Non, réalités.  L'univers n'est une vaste tapisserie de symboles que pour le philosophe qui ne regarde qu'à travers la vitre de sa mentalité personnelle; le paysan qui sort dans la clarté du soleil et qui regarde avec ses yeux, voit la réalité.  Toutefois, si le symbolisme vous satisfait, restez dans le plan des symboles.  Mais, si votre humble coeur a faim et soif du Vrai, dépassez les vallons philosophiques; gravissez les hauts plateaux de l'Invisible; avancez vers les solitudes, vers les cimes où l'industrie humaine ne peut atteindre; voyez comme tout y est vivant, vrai, libre, simple, pacifiant et satisfaisant.   

   Vous sentirez alors pourquoi la dernière manifestation de Jésus a lieu au Temple, le dernier jour de la fête des Tabernacles, qui était le vingt-deuxième jour du septième mois; pourquoi Il a choisi cette fête, commémoratrice du voyage dans le désert, Lui, la Réalité dont Moïse fut le présage, comme l'ombre précède le voyageur qui marche vers le couchant.   

  Dans l'attente du Verbe, si magnifiques que furent les civilisations d'Atlantis, de Thèbes, d'Ayodhya et de Ninive, les hommes étaient au désert; qu'Il arrive, les voilà, s'ils le veulent, dans la Terre promise.  Personne ne peut imaginer, sans les avoir entrevues, ce que sont les richesses éternelles; aucun trésor, aucune béatitude, aucune énergie de toute cette immense création ne pourrait en payer une once.  La sagesse rationnelle est très au-dessous de la sagesse secrète des hommes; mais celle-ci n'est que l'ombre de la Sagesse cachée de Dieu.  Si vous n'avez pas goûté la saveur béatifiante de cette dernière.  vous ne pourrez sentir comme elle dépasse d'un fulgurant coup d'aile, comme elle surpasse d'un immense déploiement, comme elle efface de son éclat surnaturel les limites, les efforts et les lueurs de la science mystérieuse des Anciens.   

   C'est parce que rien ne peut la payer que la divine Sagesse est gratuite, inépuisable, totale et définitive; Jésus est le porteur de l'amphore.  Car celle qui existait avant les siècles aux côtés de l'Éternel est une eau, puisqu'elle fertilise tous les déserts, à commencer par celui du néant originel.  Sapience et sapidité sont de même racine.  Notre coeur est un roc; la seule baguette du Moïse divin peut en faire jaillir la source d'eau vive et, parce qu'elle vient du Ciel, chacune de ses gouttes en contient toute la vertu, tout l'inépuisable infini.   

   Si votre visage pouvait, durant une simple fraction de seconde, être effleuré du souffle des ailes de Jésus, fussiez-vous le Maître de la terre, fussiez-vous le dieu de la Voie lactée, vous apercevriez l'Esprit, air saturé de pure énergie, eau qui gonfle le coeur d'ineffable; vous apercevriez, au travers des anneaux planétaires, des orbes, des vols cométaires, des ouragans cosmiques, la descente prodigieuse du Fils entraînant cet Esprit dans Son sillage, puis Son ascension souveraine vers le Père, dans les remous flamboyants du Consolateur, tandis que les soleils et les étoiles ne seraient plus que d'obscurs points rougeoyants sur l'azur sans fond des abîmes supérieurs.