LE JUGEMENT MYSTIQUE Ruysbroeck l'Admirable a consacré un de ses livres vertigineux à l'explication de cette allégorie : c'est L'Ornement des Noces spirituelles. Le Christ, nous y enseigne-t-il, arrive vers nous par Son incarnation, par la grâce dans le coeur, et aux jugements de la mort et de la race. Sa venue s'effectue d'une façon incompréhensible selon Sa nature divine : mais, selon Sa nature humaine, par le moyen de Son humilité, de Sa charité et de Sa patience. Quant à nous, dit le vieil extatique de la Vallée-Verte, nous sortons à Sa rencontre simplement en allant à Dieu, en allant au prochain, en allant à nous-mêmes, et au moyen de la pratique des vertus : l'humilité, l'obéissance, l'abdication de la volonté, la patience, la mansuétude, la compassion, la générosité, le zèle, la modération et la pureté. En nous collaborent à cette sortie le libre arbitre qui habite l'âme concupiscible, avec ses conseillers de l'âme raisonnable, son juge, la conscience, dans l'âme irascible, et le peuple de toutes nos autres forces d'action suit. Mais, dans cette nuit profonde, il faut devenir voyant : et on ne le devient que par la lumière de la grâce, le dépouillement des images extérieures, la conversion de la volonté dont toutes les forces sont concentrées. L'Époux entre en nous soit par l'action ineffable du Ciel dans le coeur et dans l'âme concupiscible, soit dans les forces supérieures de l'âme raisonnable, soit dans l'unité de l'Esprit. Mais essayons de trouver à cette parabole un sens plus positif. On pourrait bien, à la suite du Philosophe Inconnu, spéculer sur les vertus remarquables du nombre dix et du double quinaire, qui jouent ici un rôle si important. Nous nous comprendrons mieux en laissant de côté le langage des adeptes. Le Ciel aime que Ses arcanes soient mis à la portée de tout le monde. Et d'abord certaines circonstances du récit comme le cortège, les lumières, la clameur nocturne, qui deviennent très importantes dans les interprétations symboliques, sont simplement les coutumes du mariage israélite. Il n'y a donc à retenir que le simple canevas de cette histoire. L'Époux mystérieux des âmes, le Berger du Cantique, le Verbe, Se prépare à célébrer Son union avec Ses serviteurs qu'Il aime, et auxquels Il Se donne dans la béatitude. Mais certains d'entre eux ont été imprévoyants : ils n'ont acquis ni la Lumière, ni les moyens de l'entretenir, bien qu'ils possèdent une lampe. Il est trop tard. On ne peut s'acquérir de mérites que pendant le jour, pendant l'activité de la création. Quand tout repose. il n'y a plus rien à tenter, jusqu'au jour suivant tout au moins, ou jusqu'aux noces prochaines. « Travaillez donc pendant que la Lumière est avec vous ». *Cette parabole des Vierges sages et des Vierges folles se renouvelle chaque jour devant nos yeux. Regardons-nous agir. Voyez-vous notre indolence, notre inattention à Dieu, et la vitalité de notre égoïsme ? Voyez-vous, des uns envers les autres, le platonisme inopérant de nos amitiés mutuelles, et cette raideur qui empêche nos âmes de se verser les unes en les autres, et cette froideur qui nous rend incapables de nous exalter les uns par les autres ? Voyez-vous pour quelle cause nous parvenons si mal à réconforter les lassitudes, à secouer les indifférences des gens du dehors ? C'est que nous sommes trop dans le vague, encore, trop dans l'irréalité de nos occupations personnelles, trop dans la nonchalance de nos toutes petites convoitises. Il faut sortir de soi, à tout prix, et de propos décisif ou, sinon, un jour, de durs bergers nous pousseront, avec des lances en guise de houlettes. Que n'avons-nous pas reçu ? Pour quelques périodes de mélancolie, combien d'exaltations et de joies intérieures ! Et ce que nous avons pu faire de beau, les uns ou les autres, nous ne l'avons accompli que parce que la force nous en a été offerte. Nous sommes donc débiteurs envers le Ciel, aujourd'hui plus que d'ordinaire. Et notre seul mérite ne sera jamais que d'accepter le don de Dieu. Si l'on pouvait voir l'avenir de splendeur que la souffrance nous prépare, comme on accueillerait cette dure visiteuse, comme on la rechercherait, comme on la saisirait avec transport ! Mais ce geste mystique, cet embrassement de la croix, cet embrasement secret, je ne puis pas vous y contraindre, je ne puis même pas demander à l'Ami de vous y incliner. Vous êtes libres, vous devez choisir et vous décider vous-mêmes. Je puis seulement vous redire : la Vérité, la Réalité, la Vie, elles sont par là. Je sais bien que nous sommeillons dans la nuit. Au moins que l'étoile unique de la foi y luise : que les grands souffles de l'Amour l'embaument. L'allégresse n'est pas dans les choses : elle sera dans notre coeur, si nous en avons versé les impuissances et les scories dans le coeur incandescent de notre Maître, qui, seul, nous aime perpétuellement. Nous ne sommes faibles que dans la mesure où nous nous appuyons sur nous-mêmes : nous ne sommes tièdes que si nous n'alimentons pas notre feu : nous ne sommes craintifs que si nous restons seuls. Appuyons-nous sur le Très-Fort; brûlons nos égoïsmes; attachons-nous au manteau du grand Haussons-nous à l'altitude des circonstances, oublions-nous; absorbons-nous dans l'unique soin d'alléger les souffrances environnantes. Quel d'entre vous n'a pas vérifié que Jésus entend les prières et les exauce ? Mais, pour que Jésus vous entende, Le chercher intérieurement par le désir et l'imploration ne suffit pas : cherchez-Le encore extérieurement, dans les endroits désolés dont Il déclare faire Son séjour : partout où l'on souffre, où l'on pleure, où l'on désespère. Allons toujours davantage vers les pauvres du corps, du coeur ou de l'esprit, même si nous nous sentons aussi pauvres qu'eux. En un mot, tentons toujours l'impossible : l'impossible est le domaine propre de Dieu. |