LA RÉDEMPTION Chaque être humain brûle du feu du moi, ardent, avide et consumant tout ce qu'il peut atteindre. Il est hors de notre pouvoir de détruire ce feu, puisqu'il est nous-mêmes. C'est une main autre qui, seule, peut le prendre et le transmuer en lumière. En dehors des hommes n'existent, de plus forts que lui, que certains dieux, le diable et Jésus. Les dieux vivent comme nous par leur moi; le diable ne cherche qu'à faire grandir notre égoïsme. Dieu seul peut donc nous régénérer. Mais il y a entre Lui et nous l'abîme sans fond qui sépare l'Infini du fini. Dieu, en tant que tel, demeurant dans Son Royaume, ne nous atteindrait que par des gestes lointains, transmis, réfractés de couche en couche du relatif. Dieu doit nous atteindre tels que nous sommes. Il Se fera donc identique à nous, promenant parmi les foules humaines une personne humaine sans déformation. Aussi deviendra-t-Il accessible à nos regards, à notre affection. à notre compréhension. Et la pureté de Son humanité rendant possible la présence de Sa divinité, tous les actes de l'homme Jésus-Christ, du Fils de l'homme, parfaits sans doute, mais humains, donc limités, recevront, de la cohabitation du Verbe Fils de Dieu, un rayonnement sans limites, une force infinie, une valeur toute-puissante. C'est cette transposition du mesurable à l'incommensurable qu'expriment les formules de l'Écriture et de la liturgie; Jésus nous a rachetés de notre esclavage au prix de Son sang; Il a acquitté notre dette sur le Calvaire; Il a satisfait à la Justice par l'immolation de Sa Miséricorde. Ce qui a rendu nécessaire le drame terrible de l'Incarnation du Verbe, c'est l'étincelle de la liberté que le Père déposa en nous en même temps que le germe de la nécessité. De celui-ci se développa notre moi immortel; de celle-là s'épanouira notre âme éternelle. Rien ne vaut, selon le réel, que ce que nous faisons librement, spontanément. Dieu S'était donc interdit de nous sauver malgré nous. Pour être sauvés, nous devons le vouloir. Mais, entraînés tout entiers dans l'avalanche sans cesse accrue des appétits du moi, comment pourrions-nous voir autre chose que cette avalanche, comment nous ressouvenir de l'étincelle incréée, enfouie tout au fond de l'amas de nos rapines ? C'est pourquoi l'immense Lumière d'où provint cette étincelle dut descendre, se revêtir d'un moi, d'une personne humaine, et remonter, alourdie de ce fardeau, vers son départ, après avoir fait tressaillir toutes les étincelles presqu'éteintes dans le centre de chaque esprit humain, les réveillant de leur léthargie, et secouant d'un frisson inconnu cet amas de substances et de forces jusqu'alors tendues vers leur seul accroissement. Jésus innocent a souffert jusqu'à la mort pour satisfaire à notre place à la Justice, parce que nos souffrances ne le peuvent pas. En effet, nos péchés sont des désobéissances à Dieu; leur valeur, leur dynamisme devient infini à cause de la grandeur infinie de Celui qu'elles offensent. Nos souffrances, elles, restent dans le relatif; si grandes qu'elles soient, elles n'atteindront jamais l'Absolu. Il faut donc que cet Absolu intervienne; cette intervention, c'est le Verbe rédempteur. Voilà les choses du point de vue de la Justice. Dans tous les ordres concrets ou abstraits, individuels ou collectifs, sensibles ou intelligibles de l'existence naturelle Jésus est le médiateur unique entre les relatifs et l'Absolu. Le Verbe S'est fait semblable à nous pour nous faire devenir semblables à Lui. |