L'AVENIR 

 
 
   Ce qui est plus précieux à notre réconfort, c'est la promesse faite par Jésus à Ses disciples, qu'Il sera toujours avec eux jusqu'à la fin du monde.  On peut comprendre cette présence de plusieurs façons. 
   Elle est d'abord une mémoire, un ressouvenir, une influence mentale ou psychique semblable à celle par laquelle l'oeuvre d'un homme de génie, d'un Platon, d'un Dante, rayonne encore des siècles après la mort de son auteur.  Dans ce sens, Jésus aurait simplement indiqué que jusqu'à la fin du monde les hommes se souviendraient de Lui, de Ses paroles, de Ses oeuvres, et que bon nombre d'entre eux modifieraient par ainsi leur conduite et leurs convictions. 
   Les théologiens enseignent qu'en outre Jésus a laissé sur la terre, dans les coeurs de tous les gens de bien, même des idolâtres, surtout dans le cercle de la chrétienté et spécialement dans l'Église romaine, une influence spirituelle active, par laquelle se perpétue la force des paroles sacramentelles, des rites, l'inspiration des conciles et des papes, la sainteté des fidèles et le progrès général de la civilisation.  Vous trouverez le développement de cette thèse dans les ouvrages d'histoire philosophique du christianisme, comme ceux de Chateaubriand, de Montalembert, d'Alexandre Vinet, d'Ozanam, 
 et de bien d'autres.  Tout ceci ne dépasse pas les bornes du rationnel, du probable et de l'intuition ordinaire. 

   Mais la promesse du Christ a reçu, depuis Son départ, dans de petits cercles d'amis inconnus, des confirmations temporaires bien autrement réelles et actives.  Là on affirme que, par intervalles, le Verbe Se manifeste physiquement, sous la forme d'un personnage anonyme, dont la réelle identité ne se laisse apercevoir que de quelques disciples rares.  Si tout est possible pour l'imagination du mystique, tout est encore bien plus facile à Dieu.  Rien ne peut infirmer une pareille opinion, rien ne peut la prouver; elle appartient à cet ordre de concepts qui sont au delà de l'intelligence la plus subtile ou de l'expérience psychique la plus hardie. 
   D'autre part, les dernières conversations du Christ avec Pierre et Jean peuvent servir de thèmes à bien des controverses sur la légitimité de l'institution sacerdotale.  Actuellement ni vous ni moi n'avons à prendre parti dans la dispute de Rome et de Genève; il nous suffit que quelque chose existe pour que nous l'acceptions, puisque rien ne peut être sans la permission divine et qu'en tout se trouve quelque bien. 
   Souvenez-vous, à ce propos, que, dans toutes les religions, coexistent une hiérarchie extérieure et une intérieure.  Vous trouverez cela, selon le modèle qu'en offre d'ailleurs la constitution de l'être humain, en Chine, dans l'Inde, dans l'ancien judaïsme, en Islam.  Ces deux organisations ont toujours coexisté dans le christianisme, et surtout dans le catholicisme; mais, comme nous faisons partie de ce système, il nous est assez difficile de nous rendre compte de son fonctionnement.  Il suffit de consulter quelque Histoire de l'Église assez complète pour s'apercevoir que bien des fois le pape ou le sacré Collège ont obéi, dans le domaine administratif, à une pression secrète. 

   Il y a, en outre, un second couple de hiérarchies dans toutes les religions; l'exotérique et l'ésotérique, la visible et l'occulte.  La première se réclame du chef des apôtres, la seconde se filie à Jean.  Il est d'ailleurs remarquable que toutes les sectes joannites, les gnostiques, les templiers, les albigeois, les mystiques erronés de toutes nuances, qui sont partis en guerre contre Rome au nom de la tradition, de l'occultisme, de l'Évangile, ont presque toujours compris à l'envers cet Évangile qu'ils prétendaient défendre et, à cause de cela, n'ont rien de commun avec la chaîne inconnue des disciples authentiques du Christ, recrutés par Ses soins et instruits intérieurement par Son Esprit. 
   Si l'on ne considère que le nombre de vaniteux ignorants, de charlatans, de maniaques et de fous qui se rangent de nos jours sous l'étendard des sciences occultes, on serait bien volontiers du même avis que l'Église, qui en proscrivait l'étude.  En somme, partout se trouve un mélange de l'esprit de malice et de l'esprit de sagesse, dans l'ésotérisme comme dans l'exotérisme. 

   Si le sacerdoce extérieur est double, à côté des dissidents plus ou moins rattachés aux anciennes initiations il y eut toujours de véritables disciples, instruits directement par le Ciel, et inconnus de la renommée, selon la parole; « Le monde ne vous connaît point ».  Ce sont eux les successeurs directs de Jean le Vierge, et non pas ces joannites, amateurs de syncrèses polychromes, où des bribes de mazdéisme, des fragments thébaïques, des ressouvenirs de kabbale, des intuitions soufies, des colportages bouddhistes sont raccordés en mosaïques artificielles à des interprétations symboliques de l'Évangile. 
   Quant à la tradition, commune dans l'Église grecque, qui veut que Jean ne soit pas mort, la plupart des théologiens catholiques la répudient.  On peut toutefois remarquer qu'il ne reste aucune relique certaine du voyant de Patmos.  Les chrétiens du Liban possèdent, si mes souvenirs sont exacts, une légende analogue, concernant saint Georges et El Khadir; les kabbalistes croyaient la même chose à propos d'Hénoch et d'Elie.  Il y a là un mystère remarquable et peu connu; nous allons essayer de le saisir. 

   Toute créature est l'expression matérielle d'une force spirituelle, d'une idée, dirait Platon.  Or elle passe sans cesse par la triple phase de formation, de déformation et de transformation; les naissances, les existences, les morts.  Sur terre, par exemple, d'une vie à l'autre, l'esprit de cette créature a besoin, pour réorganiser les éléments fluidiques de son nouveau corps, d'un point d'appui matériel.  C'est ce que la Kabbale enseignait, en termes clairs, lorsqu'elle prétendait que, du cadavre, un seul petit os demeurait toujours intact, pour servir de pôle d'attraction aux fluides et aux cellules microscopiques avec lesquels un nouveau corps était construit pour une nouvelle existence du défunt. 
   Appliquez ceci à un être plus vaste, par exemple à l'esprit collectif d'une religion; son corps visible contiendrait une cellule, de garde permanente, du commencement à la fin de son évolution, comme point de ralliement, pivot et centre de gravité biologique.  Et le fils du Tonnerre, le seul apôtre qui, s'étant tenu en dehors du cercle des attractions génératrices, ait mérité de devenir le fils adoptif de la Vierge, semble bien rassembler toutes les vertus nécessaires à ce rôle de témoin immuable du Maître et de pôle de Son Église véritable. 
   Depuis les pures communautés du christianisme primitif s'est perpétué un petit groupe d'amis secrets du Seigneur.  D'abord en Italie, puis en France, en Suisse, en Flandre, en Espagne, de nouveau en Italie et en France, ces inconnus ont joui en dehors de toute religion de la présence familière de l'Esprit de Vérité. 

   Tout en respectant le secret d'une telle bénédiction, on peut dire que cet Etre divin n'a cessé et ne cesse encore de soutenir, dans le mystère de l'oraison, une lutte incessante contre les formes les plus diverses et les plus subtiles de l'erreur.  Jamais Il ne repose, jamais Il ne ferme les yeux, jamais Il ne défaille.  Parce qu'Il lutte avec la seule épée de la douceur, avec le seul bouclier du pardon, Il paraît toujours vaincu, Lui, le Vainqueur par excellence. 
   Il connaît Ses fidèles, pour les avoir suivis pas à pas depuis le passé lointain qui les vit descendre du Ciel.  Pendant des cycles nombreux Il les a guidés, mois par mois, jour par jour; Il les a soignés, nourris, Il a porté leurs prières jusqu'au trône de Dieu, et appliqué les baumes célestes sur leurs blessures. 
   Il suit la marche du monde; mieux que les Rose-Croix ou que les adeptes de la Loge blanche, Il ménage les progrès de la civilisation, la descente des sciences, la culture de la fraternité.  Accessible sans lassitude aux humbles et aux faibles, les orgueilleux et les puissants L'ignorent ou Le cherchent en vain.  Il demeure, selon que c'est écrit, avec les amis de Notre-Seigneur Jésus; Il habite avec et en eux, par la Lumière; Il est l'aspect sous lequel le Verbe a promis de demeurer parmi nous.  Et tout l'Évangile ne contient que les moyens de Le joindre.