LE JOUR ET L'HEURE 

 
   Nous avons vu des guerres et des révolutions; partout royaumes soulevés contre royaumes, çà et là des famines et des épidémies.  Aurons-nous les vastes tremblements de terre et les grands prodiges dans les airs et dans les cieux annoncés par l'Évangile ? Et les chrétiens fidèles seront-ils persécutés partout comme ils le sont en quelques endroits ces dernières années? 

   Nulle part l'Évangile ne dit que ces jours terribles pourraient être évités.  La justice du Père est cependant toujours prête à se laisser vaincre par la constance d'une proportion infinitésimale de serviteurs intrépides; déjà, au début du présent siècle, il a suffi qu'une douzaine d'entre eux acceptent un surcroît de fatigues pour que les dates des tribulations prédites aient été reculées.  Pourquoi n'essaierions-nous pas d'obtenir des remises, des délais, des adoucissements, au bénéfice de cette foule pitoyable, nos frères, qui ne veut rien voir, ni rien entendre et dans les flots de laquelle il tient si peu à nos mérites que nous ne soyons pas emportés ?  Tout en nous présentant les catastrophes dernières comme inévitables, Jésus ne nous invite-t-Il pas à implorer quand même la Miséricorde éternelle, puisqu'Il nous donne des moyens pour échapper à ces malheurs, pour résister à ces séductions ?  L'homme, en face de Dieu, l'homme s'accrochant à Dieu, l'homme s'anéantissant en Dieu expérimente que toujours il faut tenter l'impossible.  Je veux vous emmener plus loin que les paysages connus du salut personnel.  Ouvrez vos yeux à un jour nouveau, respirez une atmosphère plus pure : je veux vous inviter à l'inquiétude du salut d'autrui : le salut non seulement pour ceux que vous aimez, pour tous ceux avec lesquels vous sympathiseriez, mais encore pour tous ceux que vous trouverez sourds à vos exhortations et insensibles à vos exemples, toute cette multitude enfin d'enfants prodigues pas encore rassasiés d'illusions ni d'amers plaisirs.  Voilà pour qui j'aimerais que vous peiniez, parce que c'est se tenir au plus près de notre Maître que de se fatiguer pour des indifférents, de se dévouer pour des ingrats, de prier pour des êtres qui ne sauront pas qu'on s'occupe d'eux et qui, même si on le leur disait, se refuseraient à le croire. 
 
   Je vous crois capables de vivre à cette altitude spirituelle.  Essayez, si votre foi vous y invite, et nous doublerons ensemble,  avec l'aide de Dieu, le passage mystique que la foule nomme le cap des Tempêtes, mais que nous savons être le cap de la Bonne Espérance. 

   Jésus vous donne plusieurs préceptes pour vous garder pendant ces épreuves, pour en retirer tout le bénéfice, pour aider le plus grand nombre de vos frères à les subir avec succès. 

   Tout d'abord, quant au spirituel, une mise en garde contre ceux qui se disent des christs ou qui annoncent le retour du Christ.  Personne, vous le savez, ne peut prévoir ce retour public, parce qu'il est lié à la date du jugement et que celle ci, le Père la fixera, l'avançant ou la retardant, sans en rien dire à personne, même à Son Fils.  Ces faux christs,  enseignant des choses merveilleuses, opérant des prodiges, commenceront toujours par prêcher l'amour du genre humain, la paix, l'unification.  Après avoir disposé ainsi en leur faveur les foules fatiguées de luttes et d'espérances déçues, ils leur prouveront que chacun peut devenir un Christ, s'il le veut., et ils démontreront que, pour atteindre ce but, il faut s'abstraire de la vie, ou bien développer par la volonté toutes les énergies du moi ou encore se rendre compte, par le seul exercice de la raison, du mystère universel.  Ils présenteront des synthèses en apparence inattaquables; ils commanderont à la matière, aux éléments, aux autres hommes crédules : et ils édifieront ainsi, peu à peu, sans que leurs élèves, insensiblement abusés, s'en aperçoivent, le culte de l'orgueil et de la force.  Le danger des psychismes, des mentalismes, des occultismes réside dans les éclaircissements que ces systèmes paraissent apporter à notre ignorance, dans les satisfactions qu'ils paraissent procurer à notre impuissance humiliante.  Souvenez-vous donc toujours, devant un miracle, qu'il peut être produit par les Ténèbres, et, devant une doctrine qui n'accepte pas le Christ comme Fils unique de Dieu et Dieu Lui-même, que l'Adversaire est dix mille fois plus subtil et plus intelligent que le plus sage des hommes.  Quand vous verrez le Christ, quand vous L'entendrez - car nous Le verrons tous, nous L'entendrons tous - , il s'élèvera au fond de vous une certitude et une paix inimaginables, incomparables, et qui vous procureront l'évidence définitive.  Sachez donc, devant les prodiges stupéfiants, devant les théories séduisantes, conserver le libre exercice de votre conscience.  Au besoin, si la séduction paraît trop forte, bandez vos yeux, bouchez vos oreilles; le Christ, quand Il viendra vers vous, saura vous dire les vraies paroles et Se faire reconnaître de vous. 

   Pour la vie pratique durant ces époques bouillonnantes, Jésus nous exhorte à la charité quand même.  L'ingratitude de tous ceux que votre bienfaisance aura secourus, le mépris de tous ceux dont vous porterez le fardeau, la raillerie et la haine de tous ceux que vous aimerez : parents, enfants, époux, compagnons : il faut que rien ne vous arrête de continuer à les secourir et à les chérir; vos intentions généreuses travesties, votre indulgence ridiculisée, votre franchise incriminée, que rien n'altère votre paix.  Vous serez sauvés par votre invincible patience.  Tenez-vous accrochés au Christ : car l'Adversaire est dix mille fois plus fort que le plus fort des hommes, et seul le Christ peut le vaincre. 
 
   Le Christ est la porte qui ouvre sur la vie éternelle : Ses amis sont les petites portes qui ouvrent sur le Christ.  Soyez donc vigilants : veillez sur votre corps et sur votre coeur.  Avant d'obéir à la moindre de vos impulsions, examinez si elle est conforme à l'Évangile : examinez vos appétits avant de les satisfaire.  vos paroles avant de les prononcer, vos désirs avant de les réaliser.  Toute passion, toute idée fixe, toute habitude, c'est un sommeil de notre esprit.  Restez éveillés : demandez sans cesse l'aide, l'aide indispensable dans la tempête. 

   Vous tous qui savez que Jésus est le Fils du Père, vous ne le savez que parce qu'Il S'est montré à vous, autrefois, sur cette terre.  Gardez soigneusement contre les voleurs cette perle inestimable.  Quand notre Christ reviendra, vous Le reconnaîtrez au premier regard et vous vous sentirez prêts à quitter par l'Esprit ce monde pour toujours.  Il vous emmènera vers d'autres champs, vers d'autres cieux, vers un soleil nouveau qui déjà depuis plusieurs années vous conforte à votre insu.  Votre avenir est affermi; vous pouvez ne rien craindre.  Employez donc toutes vos forces au bénéfice de vos frères moins clairvoyants : donnez-leur tout ce que vous avez reçu.  Vous ouvrirez ainsi leurs coeurs à l'Amour et l'Amour vous enrichira de trésors inconnus, vous régénérera de forces inépuisables, vous rendra libres enfin pour l'accomplissement éternel de la béatitude promise à tous. 
 
    Dans le trouble où nous voyons se débattre à peu près tout le monde, ne croyez-vous pas que l'exemple de votre calme, de votre certitude, de votre activité judicieuse attire à votre suite tant d'êtres qui, malgré leur assurance apparente, savent bien au fond d'eux-mêmes qu'ils ont perdu leur route ?  Je ne vous demande pas, ou plutôt le Ciel ne vous demande pas encore de partir à la recherche des difficultés; mais au moins n'évitez pas celles qui se présentent; accueillez-les sans crainte, comme des besognes nécessaires.  Le fait qu'elles se présentent devant vous signifie que vous êtes capables de les accomplir.  Dans chaque geste, dans chaque parole, dans un simple regard le Ciel peut transparaître; ne pas obscurcir Sa Lumière, tel sera votre souci constant.  Et chacun de vos jours luira pour vos frères d'un éclat plus attractif et plus libérateur.