LES AMIS 

 

   A ceux qui L'ont suivi Jésus déclare; « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père ». 
   Le serviteur reçoit des gages; il vit à part; il peut changer de maître.  L'ami n'attend point de salaire; son Ami plus riche lui offre des présents comme témoignage d'affection, mais non pas en dédommagement de ses peines; ils vivent tous deux en intimité, et ils sont l'un à l'autre pour toujours. 
   Le serviteur a du zèle, sans doute, dans une certaine mesure, mais qui tiédit ou s'échauffe selon l'humeur de son maître.  Le zèle de l'ami est sans mesure et toujours croissant; il n'obéit pas aux ordres d'un maître; il aime son Ami ingénument; "devoir" n'existe plus pour lui, puisque c'est par bonne volonté, par amour et gratuitement qu'il travaille.  Les fatigues 
 lui sont des bonheurs; il vit dans la joie, une joie profonde et calme, sans démonstrations, mais qui rayonne avec puissance et qui allège les tristesses d'alentour. 
 
   Voilà les sentiments où je voudrais vous voir.  Un trop grand nombre d'entre vous craignent Dieu plutôt qu'ils ne L'aiment et redoutent Son ineffable conversation.  Vous pensez devoir souffrir plus que votre compte à cause de votre qualité de disciples.  Rien n'est moins sûr, d'abord, et ensuite vous savez bien que la souffrance se proportionne surtout à notre façon de la supporter; la même douleur sera insignifiante pour un homme de caractère et insupportable pour un douillet.  Non, soyez plus libres avec Dieu; ne Le croyez pas marchandeur et mesquin.  Si vous sentez de la contrainte avec Lui, c'est que vous n'êtes pas assez humbles, ou pas assez croyants, ou pas assez bons.  Souvenez-vous sans cesse que les murailles d'un cloître ne vous défendent point, qu'aucune règle monastique ne vous guide pas à pas.  Vous avez voulu être des éclaireurs, des francs-tireurs; dans le personnage du Christ, ce qui vous a frappés, c'est Son isolement, Sa solitude, Son caractère d'unique.  Gardez donc, dans la réalisation de votre voeu, le même courage que vous avez mis dans sa prononciation. 

   Dites-vous bien que vous devez vous débrouiller tout seuls.  L'armée de la Lumière compte des troupes d'occupation et de consolidation; vous, vous avez voulu partir à la découverte.  Ne revenez point sur vos pas.  Abordez la vie avec calme, avec circonspection, surtout avec une silencieuse sympathie. 
   Les sourcils froncés, c'est l'effort qui redoute un échec; le visage impassible, c'est la force du demi-dieu blasé par le succès; mais le sourire, c'est l'innocente puissance irrésistible de l'Enfant mystique dont l'esprit sature la toute-faiblesse.    Parlez donc aux êtres avec une familière et souriante bonhomie.  Ne vous étonnez de rien; qu'aucun aspect du mal ne vous déconcerte; tâchez de tout comprendre, même les petitesses des gens; il faut que ceux qui viennent à vous sentent, quelle que soit leur inquiétude ou leur peine, que " vous avez déjà passé par là". 

   Et puis, quand l'épreuve arrive, ne vous croyez pas malheureux pour cela.  L'épreuve est le seul procédé divin de croissance spirituelle; l'épreuve est le seul travail réel de notre personne morale; l'épreuve est la seule méthode pour purifier la Nature.  Elle doit donc nous être une joie, une joie de bons ouvriers, un entrain de braves soldats.  Nous ne comprenons pas notre bonheur.  Regardez autour de vous, les jouisseurs des palaces et les jouisseurs des mastroquets; apercevez-vous des visages heureux ?  Non; ces pauvres agités disent qu'ils sont heureux; leur figure les dément; vous, au contraire, vous portez dans vos mains le bonheur essentiel, et vous vous croiriez malheureux ? 
   Ainsi donc, fixez vos contemplations sur la splendeur d'En Haut; Jésus vous parle très souvent; mais votre humeur morose vous empêche de L'entendre; ouvrez-vous, clarifiez-vous; appelez la joie des anges, répandez-la sans mesure autour de vous.  Vous verrez comme votre rayonnement grandira. 

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   A ces Amis le Christ adresse cette exhortation; " Vous aurez des tribulations dans le monde; mais prenez courage, j'ai vaincu le monde". 
  Qu'est-ce que le courage ? 
  Le vrai courage n'est pas d'ignorer la peur, mais de la dominer.  Le courage, ce n'est pas la bravoure soudaine qui enlève le contrôle de soi, c'est de garder sa lucidité dans le moment qu'on se précipite vers la mort.  Le courage, ce n'est pas de subir l'enivrement collectif, c'est d'être héroïque sans que personne ne le voie, quand on est tout seul dans la nuit.  Le vrai courage, c'est d'être à toute minute prêt; devant le danger moral déployer de la bravoure morale, devant le danger physique déployer de l'énergie physique, même si on est débile ou malade.  En un mot, répondre aux circonstances. 
  Pour faire face à ces obligations spirituelles, nous devons à notre idéal de n'employer qu'une seule force; la foi.