LE TESTAMENT DE L'AMI 

  
  
 On ignore le mystère que cache le règne végétal, et comme sa vie est proche de celle de l'Esprit.  La plante est la créature qui réalise le mieux la loi de l'Amour; voyez comment se développent ses racines, ses vaisseaux, ses cellules, comme elle émet ses fleurs, ses fruits et ses semences.  Dans le monde des esprits, autant que ces mots correspondent en nous à une notion précise, le Père est le vigneron, le Verbe est le cep, et nous sommes les sarments.  Nous ne pouvons vivre qu'en nous attachant au cep; séparés de lui, notre existence n'est qu'une mort.  Si nous ne travaillons, nous mourons, puisque nous ne sommes plus d'aucune utilité au plant dont nous faisons partie; nous passons alors, à l'hiver, par le feu de l'épreuve; et les cendres que nous laissons, remêlées au sol, ont une longue course à fournir pour redevenir à nouveau partie d'un cep.  

   Si nous travaillons, d'autres épreuves viennent pour nous sublimer; et nous arrivons à une sphère de vie plus haute, comme la substance de la vigne s'incorpore à l'homme sous forme de vin.  Mais, pour cela, il faut que le sarment vive de la vie du cep.  C'est ce que Jésus recommande lorsqu'Il dit; « Demeurez en moi ».  
   Alors la vie abonde, nos demandes sont accordées, nos travaux sont bénis et de la parfaite obéissance à la loi organique de notre être spirituel naît cette joie parfaite dont resplendissent ceux qui ont reçu la Paix du Christ.  Nous sommes alors des serviteurs fidèles, des collaborateurs conscients, des amis de Dieu.  
   Quelle est la vie du Verbe ?  C'est de Se donner au monde, Pour vivre de Sa vie, donnons-nous donc à la petite fraction du monde avec laquelle nous sommes en contact.  Mais il est fort logique que ceux qui se rattachent au principe d'égoïsme nous attaquent et nous persécutent.  
   Bénissons ces adversaires.  Ne sont-ils pas les meilleurs pédagogues que l'on puisse trouver pour apprendre l'Amour ?  
  
  Donner aux gens sympathiques, quoi de plus naturel ?  Mais consacrer ses soins aux gens antipathiques, c'est déjà de l'héroïsme; et se sacrifier à ceux qui nous haïssent, c'est du divin.  Ne pas haïr ceux qui nous aiment, puis les aimer; n'être ni hostile, ni indifférent pour ceux qui nous sont indifférents; ne pas haïr, ne pas rester indifférent, puis aimer nos ennemis; voilà sept stades de la charité.  
   La charité est l'école universelle.  Nulle part le Christ ne recommande l'étude; et, en effet, pourquoi sommes-nous ignorants ?  Parce que notre cerveau ne s'ouvre pas, notre mémoire défaille, notre attention vacille, notre raison dévie, notre jugement se fausse, nos conceptions rapetissent, notre intuition s'obscurcit.  Or, toutes ces infirmités proviennent du moi; c'est lui qui ferme nos horizons intérieurs, qui dessèche nos forces, qui nous rend obtus, obstinés, partiaux, inquiets et malades.  

   Qui a transmué en soi l'égoïsme n'est plus un ennemi pour aucun être; ne le craignant plus, on vient à lui; il n'a qu'à questionner pour que les esprits des créatures lui dévoilent leur secret, et que le vrai caché au centre de tout être, du caillou, du génie, du concept, de l'abstraction, ou du fait se présente à lui.  Ainsi fonctionne l'Esprit de Vérité.  A un tel homme les livres deviennent inutiles et l'intellect aussi; un avec le Christ, dans son coeur et dans toute sa personne, ce n'est plus lui qui oeuvre ou qui demande, c'est le Verbe; dès lors, il sait tout et il peut tout.  
 Tandis que nous autres, à peine de temps en temps un milliardième de notre individu arrive-t-il à faire le bien; c'est là l'origine de notre impuissance et de notre ignorance.  

   L'homme parvenu à un état d'abnégation aussi stable vit de la vie éternelle, où qu'il soit, même au fond de l'enfer.  Et, cependant, il n'a rien fait que d'obéir, progressivement, selon la connaissance qui lui était révélée de la Loi.  C'est ainsi qu'il a appris à reconnaître ce qui vient de Dieu, du diable ou de la Nature; il augmente la gloire du Verbe et, en retour, le Verbe le garde au Père et le fait résister jusqu'à la fin, souffrant avec joie, mais préservé du mal intérieur.  

   La Vérité sanctifie cet homme; il en devient une étincelle, car la Vérité, c'est la Vie et c'est en vue de cette transmutation que le Verbe est venu sur terre.  Ce serviteur fidèle transmet à d'autres les paroles de la Loi; mais tous, des premiers aux derniers, peuvent, s'ils le veulent, ne faire qu'un seul être; qu'ils s'unissent dans l'obéissance à leur Maître commun.  

 Voilà ce que le Verbe est venu accomplir; jeter dans le monde le germe d'une telle union, d'une harmonie semblable à celle qui règne dans le Ciel.  Ses disciples tirent de Lui toute leur existence; vivant de Sa force, ils sont partout où Il est, et Il est partout où ils sont.  Ineffable délivrance, que ni le vouloir, ni la science ne peuvent produire, mais que seul l'Amour opère.