RÉCAPITULATION 

 
  
   Jetons maintenant un coup d'oeil sur la carrière que nous venons de parcourir ensemble.  Nous y voyons l'histoire d'un être divin, débutant par la plus grande faiblesse temporelle, pour arriver, par une ascension ininterrompue, jusqu'à la plus grande puissance spirituelle.  Sa vie est la double antithèse de la vie du pouvoir politique, personnifiée par les Césars  
 romains, et de celle du pouvoir intellectuel, personnifiée par cet Apollonius de Tyane que tant de théoriciens ignorants égalent au Maître de Nazareth.  

   Ainsi, le monde marche toujours par ternaires; à tout instant de son évolution se distinguent, dans son état, les fauteurs fatidiques, produits des causes antérieures, les efforts de l'humanité cherchant à saisir les rênes de la suprématie et les secours divins s'offrant à elle sous la forme des envoyés providentiels.  
   Le récit des évangiles nous retrace la mission de l'un de ceux-ci, le plus grand, le plus pur, le plus sublime et le plus à la portée de tous.  Cette Lumière, la plus belle que la terre ait jamais vu briller, croit rapidement de l'étincelle imperceptible à l'éclat d'un soleil qui, bientôt, resplendira de l'une à l'autre extrémité du monde.  
  La naissance de Jésus, Sa vie humaine, Son enseignement, Ses miracles, Sa rédemption, Sa passion, et Son ascension constituent les sept phases d'un drame inouï qui présente au chercheur un tableau d'initiation plus complet que jamais les cryptes de l'Inde, les sanctuaires de Thèbes, et les monastères du Tibet n'en ont pu offrir à leurs néophytes.  

   Il faut avoir connu ces antiques théophanies jusqu'à leurs extrêmes développements pour oser, sans outrecuidance, les mettre en parallèle avec un livre aussi simple d'aspect que l'Évangile et aussi en désaccord avec ce que la sagesse humaine a toujours enseigné.  Si vous ne passez pas de longues années dans l'étude théorique et pratique de l'ésotérisme antique, il vous faudra exercer sur vous-mêmes une violence telle qu'à peine un homme sur cent mille en sera capable pour vous mettre dans l'état intérieur indispensable à la perception de la Lumière évangélique; mais, si douloureuse qu'elle soit, cette seconde méthode est préférable de beaucoup à la première.  
   Une fois cet effort héroïque accompli - l'Évangile appelle cela tout simplement le repentir - , examinez les versets limpides, de toute façon, à tous les points de vue possibles; vous en reconnaîtrez peu à peu la profondeur et l'évidence.  Vous y trouverez toute la science du monde, celle de l'homme et celle de Dieu.  La sagesse secrète des anciens s'y cache, bien plus profonde encore qu'aucun adepte ne l'a jamais connue; la vraie science des nombres, celle des prodiges, celle des signatures, celle de l'initiation, celle de l'esthétique, la sociologie, la musique philosophique y sont indiquées pour qui sait lire, avec leurs méthodes propres, et le grand arcane de leur maitrise, qui est le développement moral.  

   Les initiés qui élaborèrent les formes rituéliques du christianisme ont construit un admirable monument cérémoniel qui apparaît à l'oeil du connaisseur comme une oeuvre encore plus parfaite que celle des anciens brahmanes.  Ils ont employé le même plan du duodénaire connu de temps antédiluvien sous la forme du zodiaque.  Le Christ en est le centre; chacun des douze apôtres en est un signe; chacun des sept sacrements en est une planète; les premiers sont les bornes de la monade, les seconds, ses foyers de réintégration.  Noël et la Saint--Jean sont les deux pôles; le Carême, Pâques, l'Ascension, la Pentecôte, la Toussaint gardent une correspondance instructive avec les signes zodiacaux où ils tombent.  De sorte que sur cette circonférence, divisée régulièrement par le Père, le Fils et l'Esprit, auxquels mène la pratique respective de la Foi, de la Charité, puis de l'Espérance, la vie terrestre du Christ occupe de Noël à Pâques trois signes et une moitié; nombre mystérieux dont on connaît le rôle important dans les textes hindous et dans les prophètes juifs.  

   L'année liturgique reste un chef-d'oeuvre de symbolisme.  Qu'on l'étudie dans ses divisions chronologiques, dans ses décors, dans ses formules, elle offre à la sagacité du chercheur une mine d'observations et de découvertes qui est à peine entamée.  On ne connaît rien encore de la Kabbale du latin; on ne s'est jamais enquis des vertus occultes du plain-chant; à peine a-t-on comparé quelques nombres architecturaux et quelques symboles de pierre ou de vitraux.  On ne s'est jamais aperçu que l'ensemble des cérémonies de la Messe retrace tout le drame cosmique, toute l'épopée de la régénération; on n'a vu dans les sacrements que la lettre ou le symbole moral.  Il y a là de quoi faire travailler toute une cohorte d'érudits et de mystagogues.  
   En un mot, tout est dans l'Évangile; il recèle toute la sagesse des Védas, des Oupanishads, des Kings, des Avestas, du Zohar et du Koran.  Bien plus, encore, nulle autre part, dans notre système solaire, là même où resplendissent des civilisations auprès desquelles la nôtre n'est qu'une barbarie de Fuégiens, dans aucun de ces radieux séjours dont les habitants nous sembleraient des dieux, il n'existe de livre qui contienne plus de sciences et de mystères que l'Évangile.  

   Mais, par l'admirable élasticité de l'Esprit qui en sature les pages, ce livre garde seul ses secrets; il ne les dévoile qu'à celui qui se fond, en quelque sorte de tout son coeur et de toutes ses forces, dans l'Etre de Lumière qui en est le véritable auteur.  C'est pour cela, et aussi parce qu'il est à la portée de tout le monde, qu'il n'est besoin ni de longues études ni de pénibles voyages pour se le procurer, que les savants, les philosophes et les occultistes le connaissent peu et le tiennent en général en piètre estime.  
   Il est temps de réagir contre cette défaveur.  Ce serait une belle oeuvre, et j'espère qu'elle va être bientôt entreprise.  
  Pour cela, la philologie et l'exégèse sont inutiles.  C'est la seule pureté de coeur et l'humilité qui procurent ici la connaissance.  Les modernistes, en attendant de la science des résultats qu'elle est incapable de leur fournir, prennent l'ombre pour la réalité, et s'engagent dans une fausse route.  
   Le texte connu n'est pas le texte primitif.  Celui-ci, comme saint Jean le fait pressentir dans son dernier chapitre, était très volumineux.  
  Certaines paroles du Christ ont été supprimées ou faussées par des politiciens peu scrupuleux; beaucoup de récits authentiques - je ne parle pas des apocryphes - ont été anéantis; certaines dates ont été arrangées pour les besoins du symbolisme par des Alexandrins imbus des mystères d'Egypte; de sorte qu'on a obtenu un ensemble qui cadre à peu près avec les légendes initiatiques de l'Orient.  
   Il est inutile que je précise davantage; rien d'essentiel n'a été altéré.  
   Mettons-nous donc à l'oeuvre.  Comme je vous le disais en 1900, en commençant ces entretiens, il faut d'abord faire passer dans la pratique, réaliser dans la vie quotidienne tout ce que l'on sait, avant d'apprendre autre chose.  Avec le peu que nous avons compris de la pensée de Jésus, nous avons devant nous pour des siècles de travail; mais ce temps passera vite si, perdus dans la joie de l'Amour divin, nous consacrons avec constance à l'Ami toutes nos fatigues et tous nos efforts.  
  

 Cette réédition  a été imprimée  LE 10 JUILLET 1965