CETTE RENCONTRE EST UN ÊTRE La notion essentielle du christianisme est l'identité des Personnes divines. Les vieux hymnes liturgiques, ceux que, seuls, des bénédictins connaissent, énoncent parfois cette mystérieuse et harmonieuse antinomie avec une grandiose puissance. Dans l'opération de l'Absolu, la réalisation est synchronique de la conception; et tout le relatif reflète, selon les variations indéfinies de ses plans innombrables, cette parité du premier mouvement, le Verbe, avec le premier mobile, le Père, par le moyen du premier moteur, le Saint-Esprit. C'est là le fondement de l'ancienne science magique des correspondances, mère de la science des signatures. Ainsi contemplée de l'extérieur, la vie cosmique est d'une complexité qui défie l'analyse; vue de l'intérieur, elle est une. De sorte que les ésotéristes ne sortent de l'analyse des sciences positives que pour rentrer dans un plan qui paraît synthétique par rapport au premier, mais qui n'est tout de même que de l'analyse à un autre point de vue. Il en est ainsi, parce que la conception que l'on se forme du monde est toujours correspondante à notre propre état intérieur. Est-on dispersé ? nos connaissances sont éparses; si l'on parvenait à être un, depuis le fond du coeur jusqu'au bout des doigts, notre science serait une et un notre pouvoir. Les perceptions, dont nous parlions dernièrement, viennent de deux sources profondes; l'instinct pour en bas, l'intuition pour en haut. Or, la première intuition que l'homme ait de Dieu, c'est la foi; sa première perception, c'est l'illumination intérieure; la première assimilation, c'est la naissance nouvelle. Le Messie est l'artisan de ces trois oeuvres; Il est la couronne de la création, parce que Lui seul a maintenu avec Son Père cette unité que tous les autres êtres ont rompue; Il est la colonne qui soutient le monde, comme dit le Zohar; Il est le moment solennel, qui a lieu partout à la fois, où les hommes égarés se retournent vers leur Centre. Aussi est-Il venu pour les sortir des ténèbres, Lui, le fleuron où aboutissent toutes les lignes du Temple universel, la réponse vivante au cri de douleur et d'espoir des générations anciennes; la Lumière par quoi tout vit, même les ténèbres, le mal, l'ignorance et la mort; la réalisation de tous les désirs de la foi, la réalité de tous nos idéals, le médecin de toute maladie, physique, sociale, intellectuelle, morale, scientifique ou philosophique; car il n'existe pas de situation, d'état d'âme, de misère, dont notre Jésus ne contienne, ne soit et n'offre le remède. Il est, en Lui-même, volontairement et organiquement, un zéro, afin que tout en Lui vienne du Père. Examinez, par exemple, l'un de nous; il a différents ego; son physique est individualisé, séparé, parce qu'il y a en lui une notion Je, sans laquelle il ne serait plus rien qu'une parcelle amorphe du grand Tout; le même raisonnement peut s'appliquer à chacun des autres ego. Si donc le moi central, le coeur, la volonté devient un néant, il se produit une exaltation hors de la Nature et une identification de l'Absolu. C'est ainsi que le Christ Se considère comme un néant, et qu'Il est le véritable enfant de Dieu, le Fils, du haut en bas de Son être total. Il guérit, Il souffre, Il juge, Il parle dès que le Père veut qu'Il fasse ces choses, et seulement alors. C'est pour cela qu'Il nous présente le type parfait du sauveur, du médecin et du guide. Comme aucune des forces qu'Il émet n'est à Lui personnellement, elles deviennent, en ce monde relatif, les formes de la volonté du Père; et Ses actes, n'étant pas de Lui, mais du Père, possèdent une existence propre, une libre spontanéité, grâce à laquelle ils demeurent immortels et féconds; ce sont des anges, messagers du Père, et qui passent par l'être du Christ pour s'y revêtir de certaines choses. Ces étincelles de pure Lumière ne peuvent pas, en effet, être absorbées directement par nous; elles sont trop éclatantes, trop fortes, trop inconnues pour que nos différents organismes ne s'effraient pas à leur aspect. Il est utile qu'elles subissent une accommodation; mais leur intermédiaire doit être assez vaste, assez sensible, assez puissant, assez sage, pour que rien de ce que contient cette immense Nature ne lui soit étranger; il doit contenir toutes les essences mondiales, tous les types créaturels; il ne peut être que le Verbe Lui-même, dans Son aspect cosmique. C'est ainsi que ces anges très purs, très innocents, étrangers à ce bas monde, qui sont l'essence même des paroles et des actes de Jésus, et que nous ne comprendrions pas s'ils se présentaient à nous à découvert, revêtent, s'ils passent par le Très-Compatissant, quelque chose de tendre et de familier, qui nous apprivoise. En effet, ce qu'il est possible d'apercevoir de la perpétuelle activité du Christ, de sa constance et de son étendue nous démontre combien elle est complexe. Le Christ est un; le geste rédempteur du Fils de Dieu est unique; sa force reste toujours égale à elle-même. Mais, dans le relatif, le salut s'offre à toutes les créatures, selon les nuances infinies de leurs réceptivités individuelles. L'unité initiale éternelle de la miséricorde du Père se dissocie dans le temporel, innombrablement. Chacun de ces rayons fragmentaires est un ange, au sens propre de la théologie chrétienne. Les anges des autres religions sont des esprits, des génies ou des dieux mixtes, où se mélangent, en proportions variables, le bon et le mauvais, le vrai et le faux, la force et la faiblesse. Seuls les anges serviteurs du Christ sont de purs esprits, des entités indépendantes de l'espace et du temps, des volontés intelligentes et puissantes. Ces volontés sont les volontés mêmes du Père; sinon l'ange déchoit du rang de pur esprit, et devient une créature semblable à nous, une créature naturelle. Ainsi l'ange voit Dieu constamment; il ne voit jamais que deux objets; Dieu et le but où Dieu l'envoie. L'armée des anges, l'univers angélique a Dieu pour centre; il est ce Royaume des cieux dont Jésus parle sans cesse; il pénètre tous les autres mondes, et les sature. Il est, comme le dit Jésus, au-dedans de nous, car rien n'est réfractaire à son rayonnement ni opaque à sa splendeur. Enfin, il se développe indéfiniment, parce qu'il est la Vie par excellence, parce que chaque activité du Père est un ange, et que le Père agit sans arrêt. Ainsi, la sollicitude du Père est un véritable monde surnaturel parmi les milliers de mondes naturels, un monde avec ses astres, ses océans, ses terres et ses créatures; un monde répandu dans toute la création et la pénétrant toute, depuis ses planètes les plus denses jusqu'à ses plus subtils éthers; un monde d'Esprit pur, dont les habitants vivent d'obéissance et de ferveur; un monde où tout est lumière sans ombres et mouvement sans obstacles; un monde enfin dont la population s'accroît à chacune de nos prières et à chacun de nos désespoirs, parce que les unes comme les autres provoquent une réponse du Père, toujours, même si nous ne l'entendons pas. Fixez sur ce spectacle les regards de votre coeur. Voyez Jésus surveillant tous les êtres, et chacun des sentiments qui passent dans Son coeur immense devient un ange en s'envolant vers l'objet de Sa sollicitude. Entendez Jésus écoutant tous les cris, toutes les plaintes et toutes les implorations, et chaque mot de Ses réponses devient un ange pacificateur, un ange consolateur, un ange thérapeute, Chaque mouvement de Son être magnifique, chaque geste, chaque clin d'oeil, crée un ange; et nous autres, qui nous efforçons de devenir Ses disciples, plus nous L'approchons, plus nombreuse devient la cohorte des anges intermédiaires qui nous relient à Sa gloire, plus rapide devient leur zèle, et plus puissante leur obéissance. Mais, ne vous y trompez pas; vous n'attirerez les anges autour de vous que si vous servez le seul Jésus, si vous priez le seul Jésus. Que votre coeur, par défaut de foi, s'arrête une seconde sur un intermédiaire entre Jésus et vous, et les anges s'enfuiront; des êtres mixtes les remplaceront; vous sortirez vers l'externe. Car, essentiellement, l'ange est l'acte de Dieu et, pour faire agir Dieu, il faut ne voir que Lui seul et ne s'adresser qu'à Lui. Et plus vous atteindrez Dieu profondément, plus l'ange de Sa réponse sera beau et pur et fort. Mais vous devez, pour cela, oublier qu'il y a des génies et des dieux, oublier qu'il y a des saints, oublier même qu'il y a des anges. Chaque fois que vous ferez jeûner l'égoïsme, vous nourrirez un de ces anges. Comme vous ignorez le chemin par où il plaît au Berger de vous conduire, pratiquez tous les modes d'abstinence spirituelle dont l'occasion se présentera; ainsi vous vous établirez dans le monde de la grâce vous en deviendrez un membre; vous répondrez aux questionneurs et vous direz juste, sans vous être servis de moyens d'information; un malade dont on vous parlera sera guéri sans que vous sachiez comment; vous réconforterez un malheureux avec quelques paroles qui vous paraîtront bien ternes et bien insuffisantes. En un mot, vous marcherez vers ce néant du moi dont parlent les livres mystiques et où vous vous figuriez être déjà parvenus lorsque vous débutiez dans l'effort évanglique. Vous savez maintenant que ce chemin est bien long; ne vous découragez pas; vous arriverez au bout. Mais pas de quiétisme; remuez-vous, donnez-vous du mal, fatiguez-vous dans les bonnes oeuvres. A ce prix-là seulement vous recevrez ce sens du divin par lequel notre coeur s'oriente vers le seul Jésus. Ce que vous venez de lire n'a d'autre but que de vous fournir l'occasion d'un dépouillement un peu plus difficile que ceux où vous êtes déjà parvenus. * * * Le Christ est le rendez-vous de toutes les antinomies; Il est le Libre par excellence et l'Esclave complet; l'Omniscient, le Tout-puissant, et Il proclame ne rien savoir, et ne rien pouvoir que ce qu'Il tient du Père; leur amour réciproque, qui est l'Esprit, les identifie l'Un à l'Autre, A cause de la gravité de ces conceptions, c'est là tout Ce que la prudence et le respect permettent d'en dire. Ce que le Père ordonne est vrai, réel, et vivant; et tout cela, c'est le Fils. Chaque parole et chaque acte de ce dernier est donc une forme de la vie éternelle. En nous, la faculté d'expression, qui est un engendrement hyperphysique, est morcelée, démembrée, dans la forme du corps, le geste, l'attitude, la voix, la mimique, le regard et l'oeuvre; en Dieu, elle est une; en nous, elle est agonisante; en Dieu, elle est immortelle; en nous, elle est chétive; en Dieu, elle est victorieuse. En somme, le Verbe Jésus, depuis l'instant de Sa vraie naissance, à l'aube de la création, jusqu'à la gloire de Son épanouissement total, au crépuscule du monde, aura obéi sans cesse, sans une seconde d'interruption, sans que jamais Son étreinte avec le Père se soit relâchée, sans que jamais Son regard se soit détourné. De là viennent les caractères de simplicité, de définitif et d'absolu de Ses paroles. Et leur puissante influence se fait sentir encore aujourd'hui, jusque dans les formes des pierres, des plantes et de toutes choses, malgré les désordres que les hommes et les diables ont multipliés dans ce monde. |