TÉRATOLOGIE 

 
   Le disciple bien-aimé place ici le miracle de l'aveugle-né, que les partisans de la réincarnation proposent souvent pour preuve de leurs théories.  Je tiens ces dernières pour vraies, mais je ne crois pas leur connaissance indispensable à notre salut.  En effet, si l'on s'en tient à l'essentiel de la morale évangélique, il devient inutile et même embarrassant de prévoir des existences multiples.  Bien que ce fait nous soit un signe de la miséricorde du Père, il peut aussi nous décourager ou nous attiédir.  Bien rares sont ceux dont l'ardeur se hausse jusqu'à envisager avec joie la perspective d'une longue suite de luttes et d'épreuves sans cesse renaissantes.  La grande masse n'aspire guère qu'à un paradis de repos plus ou moins esthétique et, si l'homme ordinaire sait que son âme a devant elle une série de siècles pour s'amender, n'y a-t-il pas de grandes chances pour que le zèle se relâche et que ces petites récréations qu'on appelle des péchés reviennent plus souvent ?  Combien il est vrai que tout savoir entraîne une responsabilité !    

   La guérison de cet aveugle cache autre chose que ce que les spiritualistes modernes ont cru y voir.  Son enseignement n'est pas symbolique, quoique l'Église l'ait laissé entendre lorsque, dans les premiers siècles, elle avait choisi, pour lire ce passage, le mercredi de la quatrième semaine de Carême, jour consacré au baptême des catéchumènes.  Il y a, dans l'univers, toutes sortes de créatures.  
Ici, on parle, on voit, on goûte; mais, dans certains lieux, on est muet, ou aveugle, ou démuni de facultés rationnelles : ou, ailleurs encore, le non-moi est perçu par beaucoup plus de cinq sens.    

   Cet aveugle innocent venait d'une autre planète.  Tous les jours nous rencontrons des créatures à forme humaine qui sont ici-bas pour la première fois.  Quand l'ésotérisme enseigne que tout se tient dans le monde, ces relations universelles n'ont pas lieu qu'au moyen des vibrations des éthers cosmiques; si tous les centres reçoivent des nouvelles les uns des autres, c'est surtout par des messagers.  Il faut que les créatures évoluent en passant par un grand nombre d'états ontologiques, sinon par tous.  Ce n'est qu'ainsi qu'elles apprennent à s'accommoder aux divers milieux.    

   Le Christ n'a jamais déclaré toutes Ses raisons d'agir.  Un homme politique, par exemple, ne le fait pas non plus, et il ne peut pas le faire s'il tient à ce que ses projets réussissent à plus forte raison, le Christ, centre et pivot du monde, doit-Il être infiniment discret, Lui entre les mains de qui aboutissent non plus les quelques centaines de rouages d'une nation, mais les milliers de milliards de fils des destinées de l'univers total.    

   Il avait non seulement à apporter au monde quelque chose de neuf, mais encore à régénérer ce que le monde possédait déjà; c'est dans ce dernier but qu'Il utilisa souvent des méthodes connues.  Ainsi, nous savons par Pline (Histoire naturelle XXVIII, 7), Tacite (Histoires IV, 8) et Suétone (Vespasien VII) que la salive et la boue étaient autrefois couramment employées pour les ophtalmies.  Jésus Se servit de cette recette, mais en y incorporant une étincelle de la force créatrice, grâce à laquelle tout l'appareil oculaire, qui n'existait pas chez cet aveugle, fut développé instantanément.  Remarquez aussi que Jésus Se servit de la terre du chemin; Il n'alla point en chercher ailleurs, car la Nature place toujours le remède à coté du mal.  La centaurée ou la bourrache qui croissent auprès de votre maison vous guériront bien mieux que celles que vous seriez allé chercher à la ville, chez l'herboriste.    

   Jésus est donc, à la fois, la Lumière du monde et l'ouvrier à qui cette Lumière permet de travailler; nous, Ses disciples, ne sommes que des cellules du corps de cet ouvrier.  Ce que nous faisons n'a de valeur et de sérieux qu'autant que nous l'accomplissons en Lui, par Lui, sous Sa direction, par Son ordre et au moyen de Sa puissance.  Ceci nous dispose à mieux comprendre cette sentence paradoxale : « Il est venu afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles ».  Sur le plan matériel, Il guérit les aveugles qui croient en Lui; tandis que les incrédules qui ont les yeux sains arrivent en deux ou trois incarnations à devenir réellement aveugles.  Sur le plan moral, ceux qui sont assez humbles pour se défier de leur savoir, jusqu'à se sentir tout à fait ignorants, Il leur donne la certitude; et ceux qui, pleins d'eux-mêmes, prétendent posséder la vérité, Il les laisse s'enfoncer dans l'erreur.  Savoir, c'est voir avec les yeux de l'intelligence; or, toute la science humaine ne se développe que sur les rapports apparents des objets.  A force de chercher ces rapports, si variables et si complexes, à force d'en expérimenter l'instable et le provisoire, le dégoût naît, puis la lassitude, puis l'inaction qui engourdit et oblitère nos facultés.    

   L'agent de nos chutes est donc, de toute façon, l'orgueil.  Si le pharisien était inintelligent, il ne serait point coupable de méconnaître la Lumière; mais, s'il se tient pour judicieux et cultivé, il devient responsable de son erreur.